samedi 30 juin 2018

30 Juin - Cabin Creek

Le programme de ce matin est connu. Il faut grimper. Quand je regarde la carte, il s'agit de faire le sommet du pic James à 4056 m. Comme je suis actuellement à 3100 m, la matinée va faire physiquement très mal. Je m'inquiète pour mes 30 km quotidien. De toutes façons, je dois prendre mon parti sur les 3 jours pour atteindre Grand Lake, Mais j'aimerais arriver tôt pour pouvoir partir le lendemain. J'ai vraiment accumulé trop de retard à chaque arrêt en ville.

Pour l'instant, je me concentre sur le pic James. J'ai lu dans mes notes que cette portion du CDT est nouvelle. Et effectivement le sentier a été ouvert récemment à la hache. On est allé au plus court et la montée est un mur. C'est tellement pentu qu'ils ont placé des pierres pour faire des escaliers. 7 km à ce régime et je vais finir sur les rotules dès le commencement de la journée.

À ce sujet, ma respiration va bien et je n'ai pas pris de Ventoline. J'en suis à l'avant dernier jour de mon traitement d'antibiotiques et j'espère que mes sinus refonctionnent correctement. Je serai heureux que les problèmes de santé soient derrière moi. J'ai encore 3 mois à crapahuter.

En passant la ligne des arbres, la pente se radoucit et j'ai une vue grandiose sur une cascade qui se jette dans un lac au pied d'une montagne. Une petite récompense de mi parcours que j'accueille avec bonheur.


Je vois un hiker devant moi mais à la vitesse où je le rejoins et à la blancheur de sa peau, ce n'est pas un Thru-hiker du CDT (note : le Thru-hiker est celui qui fait tout le CDT d'un coup par opposition au section hiker qui n'en fait qu'un morceau). Il est effectivement de Denver et il est venu faire le pic James pour la journée. Quand je pense que j'enchaîne tous les jours 1 à 2 sommets à 4000, je me dis que je ne suis pas loin d'être le plus heureux des hommes.

En tout cas, le pic James se mérite parce que les 7 km de sa montée sont au niveau Alpin. Pas de zone de repos et une pente excessivement raide jusqu'au sommet.
Le GPS me confirme les 948 m de dénivelé. Il est quand même 10h et je n'ai fait que 7 km...

Je bascule sur l'autre face et la descente est du même calibre que la montée. Je sais que je vais passer pour un malade mais, comme en VTT, je préfère les montées aux descentes. Je conçois néanmoins qu'on va plus vite en descente et c'est ce dont j'ai besoin. Celle-ci se stabilise à flanc de montagne car il est hors de question que le CDT descende dans la vallée où je peux voir des villes. Ça serait beaucoup moins drôle.
D'ailleurs le CDT vire à droite et repart en montée. Là aussi, ce passage à l'air d'être utilisé uniquement par les hikers du CDT. Pour tout dire, il n'y a aucun sentier et uniquement des poteaux en bois plantés dans la prairie qui recouvre le flanc de la montagne.

Puisque l'endroit est totalement exposé, le vent en profite pour se déchaîner et les nuages arrivent de l'ouest en rangs serrés. Visiblement la pluie annoncée se profile. Le thermomètre chute à la vitesse grand V et je suis frigorifié. À tel point que je mets mon pantalon, ma doudoune et mes gants. Le vent est tellement violent que je me demande comment je vais pouvoir déjeuner. Il est midi et je meurs de faim surtout depuis que je suis rationné.

Outre le vent, le chemin, même s'il n'y en a pas, est un cauchemar. Marcher dans les touffes d'herbes avec leurs trous et leurs bosses n'est déjà pas drôle mais il y a des pierriers absolument partout.

Je déteste ce passage et je me demande bien quel est l'intérêt de nous faire galérer dans ce cirque. Il suffit de s'approcher de la falaise pour le comprendre et la couleur bleu de la glace qui fond dans le lac est facinante.

Néanmoins le passage est très long. Le vent ne se calme pas et j'en ai assez de me tordre les chevilles dans l'herbe. Je longe une route depuis longtemps et je vois sur la carte qu'elle va au même endroit que le CDT, c'est-à-dire au col de Rollins. J'abandonne le tracé officiel et je me jette sur la route où je rejoins le parking du col.
Parmi toutes les voitures des randonneurs qui sont stationnées, il y en a une qui est ouverte et où le chauffeur fait les 100 pas pour se réchauffer. Lorsque j'arrive, il se jette sur moi pour me demander si je suis un Thru-hiker. Comme je lui réponds par l'affirmative, il me demande si je sais ce que c'est qu'un Trail Magic. Là ça devient plutôt intéressant ! Il me demande de passer de l'autre côté de la voiture. Il y a 2 fauteuils de camping et il m'invite à prendre place. J'ai droit à un Coca, une part de gâteau et des fraises avec de la chantilly. Génial ! En fait, il est venu de Denver passer la journée pour offrir des Trail Magics aux Thru-hikers. Il a fait le PCT l'année dernière et a reçu plein de Trail Magics. Le CDT est réputé pour n'en avoir aucun et il a voulu apporter sa pierre à l'édifice. Voilà qui tombe à pic pour moi qui n'ai eu qu'une tortilla avec un morceau de fromage pour tout repas à midi. J'engloutis la part de gâteau sans même la déguster tellement j'ai faim. Entre temps, c'est un puis 2 puis 5 Thru-hikers qui se trouvent à mes côtés. Ils se connaissent tous et je n'en connais aucun même de nom. Je suis complètement décalé par rapport à toutes les personnes que j'ai fréquentées durant tout le Nouveau Mexique. J'ai pris beaucoup de retard au Colorado. Ceux ci sont tous partis en mai. Cela ne nous empêche pas de discuter mais nous n'avons pas les mêmes expériences. Entre autre, ils ont connu l'incendie de Durango lorsqu'il a touché le Trail ce qui n'est pas mon cas...

Je leur demande ce qu'ils viennent de faire et tous sans exception me disent qu'ils ont pris la crête entre les monts Flora et James. Ils ont fait 7 km au lieu des 17 que je me suis envoyés sans compter l'ascension Quand je leur demande si c'était dangereux ou effrayant, ils me répondent que le seul problème était que ça montait et descendait entre chaque sommet. Oui évidemment ! J'enrage d'avoir pris la mauvaise décision. Quand je leur parle de la crête du mont Torreys, personne ne l'a faite sauf le Trail Angel qui me demande si j'avais des envies de suicide. Vraiment je suis à côté de la plaque.

Pendant que nous discutons, le vent a calé - enfin je n'en pouvais plus - et les nuages nous sont tombés sur la tête. Un épais brouillard a envahi le trail et on y vois plus à 10 m. Je m'inquiète pour la fin de la journée. Je décide de reprendre le Trail et laisse tous ces hikers qui se connaissent bien à leurs histoires communes. J'ai le sentiment que je n'arriverai pas à intégrer un nouveau groupe. Il y a trop d'écarts entre nos expériences. C'est pas grave, je suis bien aussi tout seul. Il y a tellement de choses qui se passent continuellement.

Je marche dans la purée de pois mais le sentier est bien visible sous mes pieds. D'ailleurs au bout d'un moment, je sors du brouillard et vois le nuage jouer avec le sentier. Il m'enveloppe puis se retire en quelques minutes. Cela me permet de faire quelques photos rigolotes.

Globalement le sentier descend et se retrouve dans une forêt comme à chaque fois que l'altitude baisse. Entre l'ascension du pic James, la galère de l'herbage plein de rochers et le Trail Magic, je n'ai pas fait d'étincelles niveau kilométrage. J'arrive tristement à 28 km au compteur mais avec 1400 m de dénivelé cumulé.
Il reste 45 km pour atteindre Grand Lake.

Ce soir, je dîne d'un sachet de riz Knorr pour tout repas. J'ai des crampes d'estomac et mon ventre se plaint en gargouillant. En fait, nous riches occidentaux, dont je suis un des privilégiés, nous ne connaissons pas la faim. Nous sommes tellement habitués à ouvrir la porte du frigo à la moindre fringale que nous n'avons strictement aucune notion de ce qu'engendre le manque de nourriture.
Attention, je ne suis pas à plaindre car j'ai quelque chose dans l'estomac et que je ne meurs pas de faim. Mais cela fait plusieurs jours que la faim ne me quitte pas et que manger devient une obsession. Je ne pense qu'à ce que je vais m'offrir au restaurant quand je vais arriver en ville. Je me demande même si je vais aller me laver avant ;-)


vendredi 29 juin 2018

29 Juin - Mackino Lane

L'endroit où j'ai campé est un bel endroit et c'est même le plus beau où j'ai jamais campé sur le CDT. J'ai une vue sur la vallée et les montagnes environnantes. Hier soir des élans sont venus boire au bas de l'immense névé qui domine le site. La fonte de ce névé a créé un mini lac où visiblement les animaux viennent se désaltérer. Les élans m'ont bien sûr parfaitement repéré et me regardent entre chaque lampée.

Cette nuit, juste après le coucher du soleil, j'ai entendu le va et vient d'avions au dessus de la zone. Comme ce matin je ne vois plus de fumée, je pense que les bombardiers d'eau ont fait leur office et ont maîtrisé l'incendie. C'est étonnant car c'est l'inverse chez nous : dès qu'il fait sombre, les Canadair s'arrêtent. Maintenant c'est vrai que le vent cale au coucher du soleil et que ça paraît plus logique d'intervenir quand la tempête de calme. Si le feu est maîtrisé, la fumée a envahi toute la vallée qui faisait face à l'incendie et l'horizon est carrément bouché.

J'ai un peu étudié la courbe de dénivelé de ma journée et je sais qu'il y a 2 sommets au programme avec des côtes de compétition. J'espère pouvoir tenir le rythme des 30 km mais il va falloir que je donne de ma personne.

Le Trail commence facilement par une pente qui descend légèrement. Je suis au dessus de la ligne des arbres et je contemple la vue.

Le sentier descend plus brusquement et replonge dans les arbres. Il descend vraiment raide et je ne me souviens pas d'une telle configuration dans mon analyse de la veille. Je sors mon GPS et m'aperçois que j'ai raté une bifurcation. Je dois me ravaler tout ce que je viens de descendre. Voilà qui ne m'aide pas du tout pour mes 30 km...

Ma bêtise réparée, le sentier se met à grimper. Le vent se lève et comme la veille et se déchaîne comme je ne l'ai jamais connu. Le résultat ne se fait pas attendre et à nouveau d'immenses volutes de fumée s'élèvent. Le vent a ranimé l'incendie. Tout est à refaire pour les bombardiers d'eau.

Je me concentre sur la montée mais je dois me rendre à l'évidence. Il me faut prendre de la Ventoline pour arrêter de galèrer. La montée est longue. Au sommet, je vois 2 silhouettes. Je pense d'abord à 2 hikers mais quand je m'approche, il s'agit de 2 jeunes filles avec des petits sacs à dos qui randonnent pour la journée.
Je monte à mon tour au sommet mais le vent est tellement violent que je ne tiens pas debout.
Je regarde mon GPS : le mont Stanley cumine à 3819 m et m'a coûté 484 m de dénivelé. Voilà de quoi bien commencer une journée !

Je redescends l'autre face du Stanley et je ne cesse de croiser des randonneurs. Je comprends pourquoi quand j'arrive sur une route avec un immense parking du col Berthoud. Ça me rappelle le col Monarch sauf qu'ici il n'y a malheureusement pas de restaurant. Dommage j'aurai réglé mes problèmes de nourriture.

Traverser la route pour reprendre le Trail de l'autre côté revient à jouer avec sa vie. Il y a une circulation de tous les diables. Les vacances battent leur plein pour nos amis américains. Le chemin monte et j'attaque le 2ème sommet de la journée. Je me dis qu'il est préférable de les faire avant de manger comme cela je pourrais abattre du km cet après midi.

Mais ce 2eme sommet grimpe énormément. Il y a beaucoup de monde. Enfin vu de l'œil du hiker qui aime la solitude. Beaucoup de gens m'arrête et me pose toujours les mêmes questions : faites vous le cdt ? Depuis quand ? Vous venez d'où ? Où allez vous dormir ce soir ?
Ce sont surtout les "vieux" qui sont les plus sociables. Les jeunes disent à peine bonjour.

De papotage en papotage, je finis quand même au sommet. Il est 13h30 et j'ai gravi le mont Flora à 4001 m avec 1200 m de dénivelé cumulé.

Je suis léssivé et je dois manger. Mais avant je veux voir la suite du programme. Déjà je n'aurais pas dû monter jusqu'au sommet puisque le sentier part en dessous de celui-ci. Je redescends et j'arrive à l'endroit prévu : pas de sentier ! Qu'est ce que c'est que cette histoire ?

Je reprends mes notes et je m'aperçois qu'il s'agit de faire 3 sommets en suivant la ligne de crête entre chaque mont. Comme il n'y a pas de sentier, je n'ose imaginer ce que ça doit être. Je me suis fait avoir au mont Torreys, je ne vais pas provoquer ma chance outre mesure. À force, ça va mal finir...

La seule alternative est de rester sur le CDT officiel, ce qui rajoute 10 km de plus au compteur !!
Pour une tuile, c'est une vraie tuile. J'étais déjà super limite pour faire la distance en 2 jours alors en ajoutant 10 km, je suis bon pour 3 jours avant de rejoindre Grand Lake. Il faut que j'augmente le rationnement de nourriture. Ce n'est pas comme ça que je vais reprendre des kilos.
J'étudie le dénivelé de cette portion surprise et il y a 10 km de descente et 7 de montée.
Je remonte au sommet du mont Flora pour basculer de l'autre côté. Visiblement mis à part les hikers du CDT, personne ne passe par là. C'est un immense pierrier et les cairns sont difficiles à voir.

Le chemin à quand même été un aménagé car certaines pierres sont à plat pour faire une sorte de sentier. Pour ne rien arranger, le pierrier est très pentu ce qui oblige à de nombreux zigzags. Certains portions ont connu des avalanches et les pierres sont en vrac, ce qui rend l'avancée difficile.  Il y a aussi des névés à traverser. Il est 15h et la neige est heureusement malléable et s'enfonce sous mon poids.

Le fond de la vallée est rempli d'eau de fonte. Cela me permet de récupérer de l'eau. La zone est infectée de moustiques. C'est là où "Bar Tender", une hikeuse du CDT à décidé de s'installer pour la nuit. Bon courage à elle !
Pour ma part je décide de continuer. Mon idée est de couvrir toute la descente aujourd'hui et de garder les 7 km de grimpette pour demain matin à la fraîche.
Je dois serrer les dents pour le faire car les 2 sommets du jour m'ont bien entamé.
J'arrive au fond de la 2eme vallée qui est habitée et dont les chemins sont praticables par des 4x4. C'est d'ailleurs un défilé permanent. Les Américains sont en vacances et profitent de leurs montagnes même dans les coins les plus reculés. Je cherche un endroid où dormir discrétement au bord de la rivière. J'évite les panneaux "propriété privée" et finis par trouver l'endroit convoité.

Je suis au bord de la rivière, à côté du trail qui est une route pour 4x4 - très fréquentée - et je suis caché par la végétation. J'ai presque fait mon contrat avec 29 km.
Je mange ma ration mais j'ai encore faim quand je l'ai terminée. Malheureusement il va falloir attendre la prochaine ville pour remédier à ce problème.
Qui dort, dîne. Donc je vais me coucher surtout que demain la pluie est prévue au programme...


jeudi 28 juin 2018

28 Juin - Vasquez Peak

Mon objectif est de rejoindre l'endroit où le CDT rejoint l'alternative depuis Silverthorne. Je n'ai pas vu un seul hiker - du CDT j'entends - depuis 2 jours. Je pense que la majorité a sauté la boucle de Grays Peak pour passer uniquement par Silverthorne. J'ai perdu du temps entre l'approche pour Grays et la crête du Torreys. Au moins une journée... Et je n'ai que 5 jours de nourriture. Enfin je n'avais car nous sommes le 3eme jour depuis que j'ai quitté Frisco. Il me reste donc 2 jours pour arriver à Grand Lake sinon je devrai me serrer la ceinture.

Le parking du Trail Head de Grays est bourré à craquer alors que je passe devant à 6h30 du matin. Ce sommet relativement facile d'accès attire énormément de randonneurs. Il y a des voitures en double file. Je dois descendre au niveau de l'autoroute et pour cela j'emprunte la route forestière (FR). C'est un défilé permanent de voitures qui monte vers le Trail Head. Je ne vois pas où ils vont se garer. Il est temps que je fuis à grandes enjambées, il y a bien trop de monde.

La route se trouve quand même à 8 km. Mais mis à part une dose excessive de poussière blanche, la descente de fait sans problème. Mes articulations me font mal et je pense que la crête m'a fait puiser dans mes réserves. Ça m'inquiète pour mon objectif de la journée.

La suite consiste à prendre une piste cyclable qui est aussi un trail et plus particulièrement le CDT. Il est 8h et je suis seul sur la piste. Même si c'est du goudron, je ne vais pas me plaindre car l'environnement est joli. Par contre, l'autoroute en parallèle fait un boucan d'enfer. Je mets mes écouteurs avec un volume sonore suffisant pour atténuer les nuisances sonores de l'autoroute.

Je croise un premier cycliste vers 8h45. À partir de 9h, c'est une horde continue de cyclistes qui me croise. Ils vont tous dans le sens opposé au mien. Certains groupes atteignent une 50aine de vélos. Ils arrivent à pleine vitesse. C'est clairement dangereux d'être sur cette piste même si je suis dans mon plein droit. Je n'ai qu'une hâte c'est de la quitter. Ce moment arrive enfin. Le CDT traverse un pont, payé par l'Alliance du CDT et me renvoit en direction de l'autoroute où se trouve une route qui passe dessous et amène à un Trail Head.

Le Trail qui en part est donc commun avec le CDT. Là aussi, le parking est plein de voitures de gens qui sont allés randonner. Mis à part une ou deux voitures, tous les véhicules ont des plaques du Colorado. Les gens qui habitent ici profitent de leur environnement.
J'attaque le Trail et je suis seul. Le CDT fait un virage serré et je tombe nez à nez avec un... ours. Ce n'est pas un bébé. Il remonte lui aussi le Trail et il ne m'a pas vu. Je me fige jusqu'à ce qu'il tourne la tête dans ma direction. Dès qu'il me voit, il s'enfuit sans demander son reste. Ça m'évitera de le faire.

Je continue le chemin et passe au niveau où l'ours a disparu. J'ai beau regarder, je ne vois rien. J'ai pas eu le temps de faire une photo...

Je suis rejoins par d'autres randonneurs et j'en double aussi. Il y a beaucoup de monde sur ce Trail. Nous remontons une vallée, avec sa classique rivière. Ça sent le col à plein nez.

Le CDT fait encore un virage serré et quitte le sentier principal. Enfin de retour dans des zones sans personne. Mais cela n'empêche pas les cols.

J'en passe un premier mais je vois le sentier qui continue de grimper. Je me suis préparé à manger de la distance mais pas vraiment à monter des cols de malades. En fait, ce n'est pas un col mais un sommet vers lequel je me dirige. Mauvaise préparation veut dire retour des difficultés respiratoires... Je ne veux pas m'arrêter dans la côte mais cette montée me fait vraiment souffrir. Je marque des pauses pour retrouver mon souffle. Question souffle, le vent est déchaîné. Je ne l'ai jamais vu souffler avec une telle violence. J'ai du mal à rester debout. Il alterne des accalmies totales avec des bourrasque dantesques.
Alors que je pense atteindre le sommet, ce n'est qu'un col. Comme le vent à décidé de prendre une pause, je fais la même chose pour déjeuner et prendre de la Ventoline.

Je repars en pleine forme et en pleine tempête de vent. Quand j'arrive au sommet, le GPS m'indique 4018 m d'altitude et 994 m de dénivelé grimpé pour 20 km parcouru.

Par contre face à moi il y a 2 autres montagnes encore plus hautes à grimper. Je vais devenir l'expert des 4000. Je pensais que la journée d'hier était unique, visiblement ce n'est pas le cas car je recommence aujourd'hui.

Le GPS marque successivement 4046 puis 4112 sur les 2 sommets suivants. Le Trail devient un sentier sur la ligne de crête, large et sécuritaire celle-ci, qui oscille entre 3900 et 4000.

La vue est sublime. Je suis en train de me dire que je marche sur le toit du monde et que je suis le plus heureux du monde.

Malheureusement j'aperçois un départ de feu sur la montagne qui me fait face.
Comme à chaque fois, ça me fait mal au cœur.

Au niveau aérien, il ne se passe rien. Ni Canadair, ni hélicoptère... Rien.
Avec le vent qui souffle comme un diable, en 1 heure, le feu à pris une dimension des plus inquiétante.

À priori, ils ont décidé de le laisser brûlé. Ça me fait encore plus mal au cœur. Le Trail me fait passer devant le feu. Les flammes montent à une trentaine de mètres au dessus de la fumée. Le soleil est obscurci par le nuage de fumée. Je dois mettre ma veste pour ne pas avoir froid... Quel gâchis !

Je connecte enfin avec l'alternative de Silverthorne et le verdict tombe : 97 km jusqu'à la ville de Grand Lake. Les bras m'en tombent. Je m'attendais à 50 km, au pire 75. Mais 97 lorsqu'on a 2 jours de nourriture, ça ne peut pas le faire. Il faut donc que je fasse 30 km par jour et ça commence aujourd'hui. J'ai déjà fait 25 km, il faut que j'en fasse 5 de plus. En plus à 4000 m d'altitude, il n'y a pas d'eau et peu  d'endroit où camper. Je règle le 1er problème en regardant sous les névés qui continuent à fondre. Quand au 2ème on regardera lorsqu'on aura fait 30 km.

Ce moment arrive alors que je suis à flanc de montagne escarpée et qu'il est impossible de planter une tente. Je suis harassé mais je n'ai pas le choix que de continuer. Heureusement en passant un nième col, je tombe sur la vallée merveilleuse sous le pic Vasquez où il y a des petits arbres, de l'eau et un terrain plat. Ça sera donc mon lieu de villégiature pour la nuit.

Il faut rationner les portions et bien dormir pour couvrir ce qui reste en 3 jours. On parle des 91 km restants avec les 31 km que j'ai réussi à couvrir aujourd'hui...


mercredi 27 juin 2018

27 Juin - Triple 4000

Je me lève ce matin avec un moral d'acier. Les montagnes qui me font face sont à moi. Je le sais depuis hier que je les observe.

Rien ne m'empêchera de les gravir, les unes à la suite des autres. Je sais c'est un brin prétentieux mais vraiment je sens bien ce challenge. J'ai même rêvé de ma grand mère qui a fait de l'alpinisme à Chamonix. Je sais qu'elle est avec moi aujourd'hui et rien ne pourra m'arriver.

1ére étape : Argentine Pass. Le sentier est à flanc de falaise. Il est visible depuis la vallée où il fait une saignée sur la montagne. Il fait froid ce matin mais le soleil n'est pas assez haut pour me réchauffer. La côte le fera sans problème.
Je m'attaque à la montée et comme je ne vais que faire ça toute la journée, j'écoute mon corps. Je ne veux pas que cette saleté de barre en haut des poumons pointe son nez. Il y a trop d'ascensions à faire.

À mi chemin, il y a un névé. Je n'y prête pas plus attention que ça - un de plus- jusqu'à ce que je pose le pied dessus. C'est de la glace à l'état pur. J'ai beau taper avec mes chaussures, rien ne bouge. Je traverse un peu crispé en visant les très vieilles traces pour ne pas glisser. J'espère qu'il n'y aura pas beaucoup de névés de ce type sinon ça va être très compliqué. Il manquerait plus que je regrette mes crampons. Un comble alors que je les ai traînés des jours durant pour rien.

La côte ne présente aucune difficulté supplémentaire et j'arrive à Argentine Pass. Le GPS marque 4025 m d'altitude pour 600 m de dénivelé. Voilà un bon début.

1er sommet : Edward Peak. Il a pas l'air bien méchant avec sa face herbeuse.

Il n'y a pas de sentier mais des cairns que je suis méticuleusement. Autant ne pas chercher la bagarre. J'arrive au sommet et je suis stoché sur place. L'autre côté du mont Edward est une falaise qui tombe à pic comme toute la chaîne à laquelle est rattaché ce mont. Le GPS marque 4218 et 784 m de dénivelé cumulé. Le physique est toujours au top, prêt à enchaîner la suite.


2eme sommet : Grays Peak. Là il y a comme un problème. Effectivement on peut aller de Edward à Gray mais il n'y a ni sentier ni cairn. La seule solution est de marcher sur la ligne de crête qui relie les 2 monts.

Sur la gauche, il n'y a pas de question à se poser. C'est une falaise donc non praticable à moins de savoir voler comme le corbeau qui ne cesse de croasser au dessus de ma tête.
À droite ce n'est pas bien mieux et le faux pas sera tout aussi fatal qu'à gauche. En résumé, l'objectif est de marcher sur une zone plus ou moins large pendant plusieurs km. Pour ne rien gâcher, ça monte  et ça descend. Je n'en mène pas large. Mais ce tracé est connu et à déjà été pratiqué par d'autres. Pas de raison de faire demi-tour. Je me lance dans la traversée et j'ai le cœur qui bat à tout rompre. Je ne regarde que mes pieds et j'assure chacun de mes pas. Je sais que tant que j'ai peur, je reste concentré et je ne ferai pas d'erreur. La seule question que je dois régler c'est où passer exactement car il faut contourner les pics rocheux. J'ai de la chance, le ciel est parfaitement bleu et le vent tout léger. Les conditions sont avec moi.
Je prends mon temps mais j'avance. Je finis même par voir les gens qui passent sur le sentier depuis la vallée opposée à la mienne. Quand ils me voient, ils s'arrêtent, me font de grands signes et prennent des photos. Comme ils voient la falaise et moi en train de faire le clown sur le dessus, ça doit être du plus bel effet.

Je tombe sur ma première chèvre des montagnes. Elle est couchée sur un névé et elle suce la neige. Je profite de sa concentration pour faire des photos.

La crête avant le sommet est couverte de névés. Là ça ne peut pas passer ! Mais un sentier contourne le 1er névé, se décale de la crête et monte en zigzaguant jusqu'au sommet. Je suis le seul sur ce sentier. J'arrive donc au sens opposé de toutes les autres personnes. C'est rigolo de voir leurs têtes qui se demandent d'où est ce que je peux bien sortir. La vue est bien sûr fantastique comme à chaque sommet. Et on ne s'habitue pas. Le GPS marque 4251 m d'altitude et 1050 m en cumulé. Je suis toujours en pleine forme et prêt à en découdre.


Il est midi et je décide de manger avant de faire le dernier sommet. Je descends au col qui sépare les deux 4000 et je m'installe derrière un mur établi avec des pierres sèches par un quelconque fou furieux qui a passé une nuit là.

3ème sommet : Torreys Peak. Je vois parfaitement le sentier depuis le col.

C'est tout bêtement un mur. C'est très raide. Il suffit de mettre un pied devant l'autre. Ce n'est pas compliqué. Une chèvre et son chevreau m'accompagnent dans la montée, pas du tout effrayés de ma présence.

J'arrive facilement au sommet même si c'est mon 3eme. Mise à part la séance d'adrénaline sur la crête, les sommets sont proches et il n'est pas nécessaire de descendre beaucoup pour passer de l'un à l'autre.
Le GPS affiche 4339m d'altitude et 1144 m de dénivelé cumulé.

2 marmottes au sommet du mont Torreys. Mais qu'est ce qu'elles font là ?

À priori je pense avoir fini ma journée mais je suis très loin de la vérité. Mon plan est de descendre la face opposée par laquelle je suis monté. Il s'agit de suivre la crête Kelso. Elle est connue et pratiquée, ce qui me rassure. D'ailleurs un gars est au sommet qui vient de la faire à la montée. Il m'explique que la zone proche du sommet - le final pour lui - est difficile, qu'il y a quelques passages qui font peur mais que ca se fait sans problème. Il attend ses 2 potes qui sont en train de finir.
Je peux faire exactement le même commentaire sur la crête entre Edward et Grays. Je suis donc en confiance et commence à descendre sur la crête. Je croise rapidement les 2 potes en question. L'un d'entre eux est en train de vomir son petit déjeuner. Il est complètement déshydraté et je lui donne l'eau de ma réserve. Je continue ma descente. Ce qui est dangereux c'est que la pente est très raide et que les cailloux roulent surtout après le passage des 3 gars qui sont montés. Il faut chercher des prises car lâ encore la moindre glissade sera mortelle. J'arrive sur le 1er pic rocheux et ne vois pas de contournement. Normal, il n'y en a pas. Il faut rester sur la crête et faire de la varape pour redescendre. Wow on est sur une autre histoire ! Faire de l'escalade avec un sac à dos de 20 kg est autre chose que de monter avec un petit sac à la journée comme l'ont fait mes amis. Je me dis qu'il s'agit de la fameuse difficulté "finale" et que derrière, tout va bien se passer. Je me mets le doigt dans l'œil jusqu'au coude. La suite est du même acabit. J'enchaîne les pics rocheux les uns à la suite des autres. Je dois jeter mes bâtons devant moi au risque de les perdre au bas de la falaise. De cette manière, je peux assurer des prises avec mes mains. Mon sac est heureusement un sac d'alpinisme et ne me gène pas dans mes mouvements ni pour passer entre les rochers. C'est seulement quand je veux glisser d'une marche sur une autre qu'il me pousse en avant. C'est du délire cette descente ! Et avec ce que j'ai franchi, je ne peux pas faire demi tour. Il n'y a pas d'échappatoire non plus. De chaque côté de la crête, les pentes sont trop escarpées pour les descendre. Je suis piégé sur la crête. J'en veux au gars de ne pas m'avoir mis en garde surtout qu'il avait bien vu le sac à dos que je traîne.

Il me faudra 3 heures pour descendre la montagne que j'ai mis 30 minutes à monter par le sentier. Je manque 10 fois de me tuer. Je cherche les meilleurs passages mais il y a des traces dans tous les sens : l'eau de fonte, les chèvres, les randonneurs... Une seule est valable et toutes les autres sont potentiellement mortelles. Cette descente me tape sur les nerfs. Je veux que le cauchemar s'arrête. Chaque fois que je passe un piton, il y en a un autre derrière. C'est à devenir fou cette roulette russe façon montagne.
Pour couronner le tout, je vois de gros nuages noirs s'accumuler devant moi. Il manquerait plus que je prenne un orage alors que je bataille dans ce cirque !

Il doit y avoir un Dieu pour les imbéciles, ou plutôt ma grand mère a bien veillé sur moi car je finis par passer le dernier obstacle. Je suis totalement vidé. J'entends le tonnerre gronder. Il est 17h et la journée est finie pour moi. Il faut vite que je dresse la tente avant l'orage. De toute façon je ne serai pas aller bien loin dans l'état de fatigue dans lequel je suis.
Je trouve un endroit au bord de la rivière au milieu d'autres campeurs avec leur voiture. Je n'ai pas le temps de faire la fine bouche.

Si je fais le bilan, je suis toujours vivant, je ne suis pas blessé et j'ai enchaîné trois 4000 dans la même journée. Un deuxième record battu ! Je suis sûr que Mathieu aurait adoré cette journée. Je pense à lui - et à ma grand mère bien sûr.

mardi 26 juin 2018

26 Juin - Argentine Pass

Ma journée va être très compliquée. Mon idée est de retourner sur le CDT mais pas là où je l'ai quitté à Copper Mountain, la station de ski. Ça serait trop simple. Je veux partir dans l'Est pour faire 3 sommets : Edward à 4218 m, le Grays à 4252 m et le Torreys à 4351 m. Les 3 sont côte à côte et il est possible de les enchaîner dans la même journée. Bien sûr c'est un gros challenge mais après avoir gravi le mont Elbert, tout me semble possible.

Initialement j'avais prévu de dormir à Silverthorne pour prendre le 1er bus qui partait pour Keystone où après 15 km de marche je rejoignais la zone des sommets.
Mais ce plan est complètement remis en cause car je suis à Frisco et que je n'ai pas acheté de nourriture.
Je commence par attendre le petit déjeuner de l'hôtel qui n'est servi qu'à 7h30. Comme me l'avait précisé Claire et Mathieu, il est exceptionnel. Œufs, saucisses, fruits, gaufres... Même le hiker affamé que je suis ne peut pas en faire le tour.

Je boucle mon sac et je fais mon checkout.  La réceptioniste me fait un rabais supplémentaire de 10$.  Sympa ! Je commence à me dire que les gens du Colorado sont vraiment acceuillants. J'avais déjà eu un aperçu hier soir au restaurant où  Bill, mon voisin de chaise m'avait payé un verre de vin italien qu'il voulait me faire goûter. Je colle mon sac sur le dos et me voilà parti pour faire mes courses chez Walmart (le Carrefour local). Pour cela je dois prendre le bus car le magasin est à côté du terminal.

Je patiente quelques instants à l'arrêt et le bus arrive. Le chauffeur m'accueille avec un grand sourire et me pose plein de questions. Il me demande mon Trail Name et me donne des nouvelles de hikers que je connais et qu'il a pris dans son bus. C'est vraiment une attitude très amicale !

Je fais mes courses. C'est un petit magasin comparativement aux autres Walmart que j'ai déjà fréquenté. Je m'étais habitué à l'agencement et là je ne retrouve pas mes marques. Je perds un temps fou à trouver ce que je cherche. Dehors sur un banc, j'exécute le rituel du déballage, remballage dans des Ziploc de ce que je viens d'acheter. Je suis enfin prêt pour le Trail.

Je me dirige vers le terminal de bus. Il est plus de midi lorsque qu'arrive le bus qui doit me mener à Silverthorne. Il faudra que j'enchaîne avec un autre bus pour Keystone. Tout cela sent très mauvais pour ma journée...

Dès qu'il me voit, le chauffeur du bus quitte son siège et vient discuter avec moi qui ne suis pas loin de lui. C'est un fanatique de marche et son rêve est d'aller dans les Alpes et dans l'Himalaya. Il a fait tout le Colorado en long et en large et connaît tous les sommets.
Il discute tellement passionnément qu'il en oublie l'heure et saute sur son volant et démarre sans cesser de me parler.
Pendant que nous discutons, je vois un hiker qui passe sur le trottoir. Nous nous regardons et nous mettons un moment à nous reconnaître. C'est Swiss Monkey avec son sac sur le dos. Visiblement il est de retour sur le Trail. Je suis content pour lui. Nous nous faisons de grands signes mais le bus part et je ne peux pas lui parler.

Les voyageurs qui sont proches de moi me posent des questions. Avec le chauffeur qui continue de me donner des informations, j'ai l'impression d'être au centre de toutes les conversations. Les gens qui descendent me souhaitent plein de succès pour mon voyage. Visiblement les gens du Colorado adorent tout ce qui touche aux activités extérieures et les gens qui les pratiquent. En tout cas depuis ce matin, je n'ai rencontré que des gens sympas alors que je suis en ville, ultra touristique de surcroît et qui doit vraiment voir passer du monde.

Je finis seul avec le chauffeur dans son bus qui calcule quel est le meilleur arrêt pour faire ce que j'ai prévu. Il m'explique en détail la suite de mon périple pour rejoindre les sommets que je veux faire.
Il me serre la main et me souhaite beaucoup de succès. Je suis complètement sidéré par cet acceuil. J'essaye de me rappeler le dernier chauffeur de bus français qui ne me faisait pas la gueule quand je suis monté à bord... Non je me rappelle pas. Mais j'ai mauvaise mémoire maintenant...

Je me retrouve sur la route et je dois aller à Montezuma pour attraper le Trail. Il y a une 10aine de km. Comme jusqu'à maintenant ça se passe bien avec les locaux, je décide de pousser la chance et de faire du stop. Il y a peu de voitures. Un petit camion arrive et je tends le pouce sans conviction. Je le baisse même alors que le camion est loin et reprends la marche. À ma grande surprise, le camion s'arrête à ma hauteur. Le chauffeur est le portrait craché de Christophe Lambert - qu'il ne doit  pas connaitre - et arbore un immense sourire qui ne quitte jamais son visage.
Le camion n'a plus d'âge, la cabine n'a qu'un siège et est rempli de pièces mécaniques de toutes sortes. Je pense être tombé sur un ferrailleur mais lorsque je cale mon sac à l'arrière - "attention à la graisse" me dit-il - , il s'agit plus d'une dépanneuse.
En réalité, je suis tombé sur Géo Trouvetou, le Léonard de Vinci de la clé à molette. Il travaille pour des particuliers mais beaucoup pour l'administration qui l'appelle chaque fois que ses confrères ne trouvent pas de solution. Là il part chez un client qui a décidé de construire sa maison dans une zone d'avalanche à Montezuma. Elle doit résister à tous les chocs et il va s'occuper de mettre en place un groupe électrogène qui répondent aux critères de résistance. La difficulté du chantier le passionne.
Il est bien sûr fanatique de marche et à fait beaucoup de stop quand il était jeune. Il est plein de joie de vivre et c'est un bonheur de passer un moment avec lui. La route est trop courte. Il y a des gens qui dégage de bonnes vibrations. Il en fait partie avec son sourire et son rire cristallin.

Je regarde mon GPS et nous avons dépassé le Trail Head de 2 km. Je repars à pied dans l'autre sens. Il est 14h et je ne sais plus ce que je vais faire.

J'attaque la route forestière (FR).

Visiblement d'après le GPS, je vais devoir avaler une 10aine de km. La FR est très poussièreuse et surtout énormément fréquentée dans les 2 sens. A manger de la poussière, j'ai la tentation de refaire du stop mais je me dis qu'il faut que je marche un peu aujourd'hui et que je profite du paysage. L'activité minière de la vallée que je remonte est marquée. Je trouve que ça a son charme dans le contexte.

Et plus j'avance et plus les montagnes deviennent grandioses. Dire que c'est ce que je vais grimper demain.

J'arrive d'ailleurs à l'intersection du trail qui part vers Argentine Pass, 1ere étape de mon ascension vers les 2 sommets. Je vois distinctement le sentier à flanc de montagne. Il est 17h et cela ne fait aucun sens d'attaquer l'ascension à cette heure tardive. Ça sera pour demain. Je suis aux premières loges. J'installe ma tente et me couche dans l'herbe juste devant. J'ai mon MP3 avec la musique qu'il faut et le soleil comme compagnon au spectacle de ses magnifiques montagnes. C'est bon d'avoir le temps par moment, surtout celui de contempler. Quand est-ce que j'ai fait ça pour la dernière fois ? Je ne parle pas du coup d'œil furtif avec photo à l'appui qu'on regardera quand on aura le temps - c'est à dire jamais. Non, je parle de rester une heure à regarder un paysage évolué sous le jeu des lumières du soleil et des nuages. Pour ma part, cela fait des années... Trop d'années... C'est beau et c'est bon, surtout avec Brassens qui me chante "un petit coin de paradis" dans les oreilles.




lundi 25 juin 2018

25 Juin - Frisco

Le gel à fait son grand retour. Je pensais en être débarrassé pour l'été. J'aurai dû me douter de quelque chose car il n'y avait pas de moustiques hier soir alors que j'étais proche d'un point d'eau.

L'intérieur de la tente est couvert de givre. Le duvet est mouillé à l'extérieur. Retour aux pires moments des sommets du Colorado. Je n'ai pas eu froid de la nuit comme cela est le cas depuis que j'ai ma feuille d'insolant en Tyvek.

Néanmoins il faut bien sortir de la tente et je suis au milieu d'un champ de givre. La gelée blanche à tout saisi dans son grand manteau blanc. Je dois quand même déjeuner, et plutôt copieusement, pour digérer mes médicaments sans que les effets secondaires ne soient trop lourds.
Je n'ai trouvé que du porridge à Twin Lakes. Il faut être anglais pour inventer un déjeuner pareil. Quelle horreur !!! Mais je dois reconnaître que ça tient au corps. C'est ce qu'il faut pour les antibiotiques.

Hier je suis gentiment descendu tout l'après midi dans la vallée. Visiblement il va falloir ce matin payer l'addition de ce moment facile et remonter une autre vallée. Et pour grimper, ça grimpe sec et ceci dès les premiers pas qui m'envoient sur un sentier à flanc de falaise. Il fait un froid sibérien. Malgré mes gants, j'ai les doigts gelés. Les pieds souffrent énormément aussi. J'ai beau être dans un côte de compétition, je n'arrive pas à me réchauffer. Il faudra que j'attrape le soleil sur les hauteurs de la montée pour faire tomber le carcan de froid qui me tient prisonnier.

Le sentier suit la rivière qui se termine en bas en cascade auprès de laquelle j'ai campé. C'est un torrent bouillonnant du fait de l'importance de la pente. Il y a peu d'endroit où planter une tente et chaque emplacement est occupé. Je ne peux pas savoir s'il s'agit de hikers du CDT ou du CT (Colorado Trail). C'est le grand chassé croisé entre les 2 groupes et cela fait beaucoup de monde - enfin tout est relatif p/r aux Alpes - sur le même chemin.

Juste sous le 1er col, la vue se dégage enfin, la pente se radoucit un peu et le soleil fait pleinement son office. Tous les bonheurs d'un seul coup. Mais la montée a été raide et j'aurai souhaité un peu plus de douceur dans ce réveil de glace.


Le sentier croise le fameux cours d'eau, à cette hauteur plus petit et plus sage où un hiker s'est installé pour prendre son café. Steve, qui fait le CT dans le sens opposé au mien, a reconnu mon accent et me parle un français presque parfait malgré son accent. Il a passé un an à Paris il y a... 23 ans. Certains sont plus doués que d'autres pour les langues ! C'est la 2eme personne qui parle Français que je rencontre sur le Trail. Les Américains sont en principe totalement incultes des langues étrangères. C'est vrai qu'ils n'en ont pas besoin puisque tout le monde s'évertue à parler anglais. Et aucun habitant de ce pays ne s'étonne de savoir où vous avez bien pu apprendre à maîtriser leur langue. C'est tellement normal pour eux. L'avantage par contre et qu'il y a toujours eu des immigrants et qu'ils sont habitués à entendre leur langue massacrée. Au moins pas de complexe à essayer de communiquer !

J'arrive au Col Kokomo - quel nom bizarre - à 3664 m où je fais le malin en prenant une photo. Je me suis envoyé 700 m de dénivelé pour digérer mon porridge.


Je n'ai pas regardé où partait le chemin... Je dois rajouter 100 m de dénivelé pour atteindre un sommet. Visiblement celui là est moins célèbre car il n'y a pas de panneau. Mais la vue à 360 est vraiment très belle. Quel plaisir d'être sorti des arbres et de se placer au niveau des montagnes.


À partir de ce point se succédent montées et descentes dans une vallée bien exposée au vent. Je ne sais pas si le phénomène est dû à la présence de névés mais le vent est glacial. J'ai bien du mal à lutter contre le froid malgré un grand ciel bleu.
La succession rapide de montées descentes me fait du mal après la longue montée de ce matin. Ma respiration me pose des problèmes et la barre fait sa réapparition. Je prends de la Ventoline que m'a laissé Mathieu. Je repars comme neuf. Je me rassure en me disant que l'infection des sinus doit être à l'origine de ces problèmes respiratoires.

Je croise des hikers du CT. Je commence à maîtriser les salamalecs d'usage entre marcheurs. Au fameux "How are you doing today?" (Comment ça va aujourd'hui ?), on peut répondre "Fine" oú "Good" (bien), "Not Bad" (Pas mal), "Awesome" (top génial), "Can't complain" (je ne peux pas me plaindre)... Et enchaîner avec un "Have à good one" (Bonne journée), "Take care" (Prenez soin de vous), "Happy Trail" (Heureux Trail) "Enjoy your hike"...
Au moins on peut varier les combinaisons d'un hiker sur l'autre. Certains hikers m'arrêtent et me posent des tas de questions sur le Trail. Effectivement je monte vers le Nord et eux descendent vers le Sud. Ils veulent savoir dans quel état est le Trail. S'il y a de la neige, s'il y a des rivières à traverser, des endroits où dormir. Il s'agit principalement de personnes qui viennent de commencer et vont faire les 20 jours que prennent le CT. Je réponds bien volontiers à leur questions et les rassure sur l'absence totale de neige de cette année qui transforme le CT en promenade de santé - ou presque.

Au passage du dernier col, je tombe sur 2 cyclistes. Déjà bravo pour être montés jusque là même si je ne connais pas encore le sentier qu'ils ont suivi puisqu'ils dans le sens opposé au mien. Mais ce qui me fascine, c'est que l'un des 2 est monté en vélo de route ! C'est le 2eme que je croise. Comme le 1er était sur un Trail Head, donc un parking, je pensais que le gars avait fait autre chose que le Trail. Mais ici, aucune ambiguïté : le gars est montée au col par un sentier avec un vélo de route sans aucune suspension. Ça doit être un nouveau sport réservé aux poids ultra légers qui ne cassent pas les cadres !
Je le recroiserai 3 heures plus tard au bas de la montagne en train de descendre sur son vélo.

Pour l'instant il s'agit pour moi de redescendre. Encore une fois, une grande vallée me fait face avec en fond de magnifiques montagnes. Je distingue une rivière au creux de la vallée. Le sentier descend au dessous de la ligne des arbres et je vais retourner dans le tunnel vert.

Néanmoins l'après midi est agréable et coule doucement comme la rivière que je longe.
Vers 15h, j'entends un bruit d'une circulation automobile importante. J'approche de Copper Mountain une station de ski ouverte toute l'année grâce à ses multiples activités dont le vélo.

Il y a un système de bus gratuit dans la région qui relie les différentes villes. Mon idée est d'aller à Silverthorne et pour cela je dois passer d'abord par Frisco, Colorado - Ne pas confondre avec San Francisco qui se trouve en Californie.
À l'arrêt de bus, je tombe sur Claire et Mathieu qui attendent leur bus Greyhound pour Denver qui est en retard. Je ne m'attendais pas à les revoir. Ils me vendent la ville de Frisco et plus particulièrement un hôtel et un restaurant qu'ils ont beaucoup aimés. Je suis leurs conseils et décide de m'établir pour la nuit à Frisco.
L'hôtel est un bed and breakfast fort sympathique avec apéro offert - fromages et saucisson incluse. Le restaurant quant à lui est italien et est un des mieux côté de la ville. Comme je suis seul, je m'installe au comptoir et je fais rapidement connaissance avec Bill, mon voisin de chaise et avocat, avec qui je papote durant le repas. La soirée se finit avec le chef, d'origine italienne qui est un mordu de VTT. 

Comme entre temps j'ai réussi à faire ma lessive, il ne me restera qu'à ravitailler en nourriture pour repartir.

dimanche 24 juin 2018

24 Juin - Tennessee Pass

Les antibiotiques me vident de toute énergie. Je dors dans un état comateux. Je suis incapable de me lever ce matin. Alors que ma routine du rangement du matin est réglée comme du papier à musique depuis des semaines, je commence tout et ne termine rien. Il me faudra 2 heures pour arriver à boucler mon sac. J'ai pour m'accompagner autant de moustiques que la veille et un peu de grêle pour l'ambiance.

Je suis complètement à plat alors que le CDT enchaîne les montées descentes. Les 2 sont incompatibles et je me traîne sur le chemin. Pourtant la vue devrait me donner plein d'énergie tellement elle est belle.

J'avais prévu de faire un sommet, le Galena à 3743 m, en alternative au tracé du CDT mais je n'ai pas la force de le faire. Je reste sur le CDT qui m'amène sur de très beaux sites de lacs (mention spéciale pour Mathieu).


À 10h alors que je m'arrête pour souffler, ce que je ne fais jamais, je me fais doubler à quelques minutes d'intervalle par 4 hikers que je n'ai jamais vu. Je les retrouve au point d'eau suivant et ils ont l'air de bien se connaître. En fait, j'ai perdu de vue ceux avec qui je traînais depuis le début et je me retrouve avec d'autres hikers. Mais aujourd'hui je ne suis pas d'humeur à lier connaissance. Je reste dans mon coin pour remplir ma gourde.

À midi, je m'arrête, toujours dans les arbres, pour déjeuner. J'enlève le mode avion de mon téléphone et contre toutes attentes, j'ai du réseau. J'en profite pour téléphoner à la famille. Ça me fait un bien fou de leur parler alors que je suis au fond du trou. Je passe une heure au téléphone et je n'ai pas vu le temps changé et les nuages noirs s'accumuler. Je m'en aperçois alors que je parle à Paul et raccroche rapidement. Je boucle mon sac et je reprends la marche sur le Trail. Je n'ai pas fait 100 m qu'un déluge de grelons s'abat sur moi.  Je m'équipe de mes affaires de pluie et marche le plus rapidement possible afin de me réchauffer. Malgré mes vêtements les plus chauds, je grelotte de froid. Le sol est couvert de grelons. On dirait qu'il a neigé.


Alors que la grêle s'arrête, j'arrive au Tennessee Pass. Il y a un Trail Head où seulement une voiture est garée. De l'autre côté de la route, il y a un mémorial sur la 2ème guerre mondiale et un autre pour la 10 ème Division Alpine. Visiblement le coin est très orienté militaire.

Je reprends le CDT qui s'élargit. A bien regarder ce chemin, on dirait une ancienne voie ferrée. Trop étroite pour un train, elle devait servir pour des wagonnets de mine.
En tout cas la descente est douce et très agréable. On descend la vallée ce qui permet d'accélérer le pas surtout maintenant que j'ai le moral requinqué.

Je descends de la colline sur une vaste plaine. Une pancarte indique que la zone est minée.

Visiblement un ancien terrain militaire comme en témoigne l'alignement des bunkers qui me font face. Le nombre est impressionnant. Je n'ai aucune idée à quoi ils servaient.

Mais la plaine devait servir de terrain d'entraînement d'où les restes potentiellement explosifs dont il faut se méfier.

Je continue ma route pour trouver un endroit plus acceuillant qu'un champ de mines. Je finis à côté d'une cascade.

Bien au soleil, j'en profite avec bonheur jusqu'à ce qu'il se couche.

J'ai couvert 34 km et 960 m de dénivelé. Mis à part ce matin très laborieux, j'ai bien mouliné cet après midi et la descente m'a bien aidé à faire du km. J'espère que demain sera plus facile au niveau physique et donc moral.

L'homme qui essayait de marcher plus vite que son ombre... Et qui n'y arrivait pas.

samedi 23 juin 2018

23 Juin - Retour Sur Le CDT

J'ai dormi assommé par les antibiotiques. Autrement dit je n'ai cessé de faire toujours le même cauchemar et de me réveiller régulièrement. Néanmoins j'ai dormi même si j'ai un mal de crâne niveau gueule de bois...

À 5h, Claire fait sonner son réveil. Bien sûr je suis sur le pont avec elle ce qui me permet à nouveau de leur dire au revoir.
Ils s'en vont et je me recouche en sachant pertinemment que je ne vais pas dormir.
À 7h, je pense qu'un café sera ouvert pour prendre un petit déjeuner avant la route.
Je remonte la rue principale où les concurrents pour le meilleur BBQ sont en train de préchauffer leur machine. Il y a de la fumée partout.
Des mini bus sont alignés devant une place où a lieu un briefing pour une course de VTT. Je suppose que les mini bus sont pour les nombreux participants. Ça me fait envie mais aujourd'hui - comme les autres jours - ça sera randonnée.

Je trouve une boulangerie et déjeune copieusement d'un burrito et d'un muffin... aux myrtilles. Eh oui, on ne se refait pas question fruit préféré.

Je rentre à l'hôtel et après avoir bouclé mon sac, je m'attaque à la difficulté du jour : retourner sur le Trail, là où nous l'avons quitté, c'est à dire au niveau d'un camping perdu au milieu de la brousse.
Ce camping est quand même situé à côté du parking qui permet de gravir le mont Elbert. Vu la quantité de randonneurs qui vient se frotter quotidiennement à ce sommet des Rocheuses, je décide d'utiliser cet angle d'attaque. J'ai demandé au propriétaire du motel de me donner un bout de carton, ce qu'il a fait avec un sourire et un certain zèle car j'ai de quoi écrire un roman avec ce carton taillé pour emballer un frigidaire...

Je m'attele à écrire "Mr Elbert Trail Head" (Parking du départ du Mont Elber) que je vais utiliser sur le bord de la route en faisant du stop. J'espère tomber sur un randonneur afin d'aller directement à l'objectif. En faisant juste du stop, il y a 3 changement de direction/route et le chemin de terre croise plein d'autres chemins... À mon avis ce n'est pas jouable.

Me voilà parti avec mon sac sur le dos et ma pancarte à la main. Première étape : sortir des limites de la ville. En effet hier j'ai vu sur un panneau qu'il était interdit de faire de l'auto stop dans ces fameuses limites. Je ne vais pas jouer avec la police locale. Je me rappelle m'être fait interdire de séjour par le Shérif d'une ville de Floride pour avoir dormi sur la plage. Le résultat à été de me faire escorter hors de la ville comme un bandit de grand chemin. Très mauvais souvenir. Comme je n'ai aucune envie d'avoir maille à partir avec la police locale de Leadville, qui est déjà sur les dents avec le festival, je dois donc sortir de la ville avant de tendre le pouce. Du côté où je pars, je ne vois pas la pancarte spécifiant la limite. Je dois marcher au moins 3 km pour qu'enfin elle apparaisse.
Dès que je la dépasse, je tends ma pancarte d'une main et je lève le pouce de l'autre. La première voiture que je croise s'arrête. C'est un record, j'ai juste eu le temps de lever le pouce pour être pris en stop. Comme j'ai du mal à croire à ma chance, je demande au chauffeur s'il va bien au parking du mont Elbert. Il me répond par l'affirmative.

En fait je suis tombé sur Paul, un enfant du pays. La soixantaine, il connaît absolument tous les chemins vicinaux, les trails et toutes les alternatives. Il m'explique que c'est grâce à son père, chasseur invétéré, qui d'ailleurs a été le 1er à monter une jeep Willis (la fameuse jeep utilisée par l'armée américaine lors de la 2ème guerre mondiale) au sommet du mont  Elbert. Ceci se passait après la guerre dans le cadre d'une pub pour jeep. Il faudra que je vérifie cette histoire sur Internet...
Paul me demande ce que je cherche à faire. Je lui explique le pourquoi du comment. Il me propose alors de prendre une alternative à ce que j'ai fait et de me lâcher à 2 miles du CDT. Comme ça à l'air de lui faire plaisir et que ça me fait gagner du temps j'accepte. Paul m'explique qu'il va m'amener sur un chemin qui a été fermé par l'USFS (United States Forest Service, l'équivalent de nos eaux et forêts). Il me parle alors du "Wilderness Act" établi en 1975 qui est une catastrophe pour la forêt.
L'USFS à interdit l'accès de la majorité des chemins aux véhicules à moteur avec l'idée de protéger la forêt. Hors l'ensemble de la population allait chercher du bois dans la forêt pour se chauffer et donc au passage l'entretenait. Dès qu'un arbre tombait, il était débité. Lorsqu'un bug mangeait un arbre, celui-ci était évacué pour éviter la propagation. L'exploitation du bois permettait d'espacer les arbres : les incendies s'arrêtaient d'eux mêmes par manque de carburant et les bugs ne pouvaient plus sauter d'un arbre à l'autre.
Depuis l'interdiction de circulation, la forêt est livrée à elle-même, les feux de forêt se multiplient et les bugs ravagent des milliers d'hectares de pins...
J'essaie d'argumenter sur le réchauffement climatique mais il me dit que cet argument est pour les fatalistes qui ne veulent rien faire. En autre le Colorado n'est pas une jungle tropicale humide et qu'il y a toujours eu des périodes sêches. Il l'a même prouvé à son ami le shérif qui utilisait le même argument que moi. Il suffit de regarder les stries du tronc d'un arbre coupée. Les années humides font grossir l'arbre plus vite, et la strie est plus grosse. Sur 50 ans la situation n'a pas évolué et on retrouve les mêmes types de stries avec des largeurs équivalentes à ces dernières années. Le réchauffement climatique n'a pas amené plus de sècheresse au Colorado que par le passé. C'est l'absence d'entretien de la forêt qui est en train delà détruire. Depuis 2 mois que je discute de ce problème avec tous ceux que je croise, c'est la première fois qu'on me fait une réponse sensée.

Pour se rendre sur le chemin de Paul, il faut d'abord passer à travers une propriété privée avec des panneaux qui le précisent. Paul m'explique que la propriété à été achetée par un gars de Floride qui a mis des barbelés partout et à planté ces signes d'interdiction. Ca me rappelle étrangement le comportement des Belges et des Parisiens qui achètent des propriétés en Provence...
Le gars de Floride a coupé l'accès au chemin ce qui est illégal. La propriété est privée mais le chemin reste public. D'ailleurs les chaînes qui empêchaient l'accès ont été arrachées et ont été jetées sur le bas côté.

Nous sommes secoués comme des pruniers sur le chemin qui devient de plus en plus technique. L'idée est de se rendre jusqu'à la limite à partir de laquelle L'USFS interdit l'accès. Nous y parvenons et Paul me montre les marques qu'il fait sur les troncs des arbres à la hache et qu'il faut suivre. C'est le classique double rectangle que j'ai déjà repéré sur le CDT. Paul me demande de le suivre dans la forêt pour qu'il me positionne sur le bon chemin qui me mènera sur le CDT. Je ne sais pas comment il se répère dans cette jungle de pins mais après un bon quart d'heure de marche il me place sur un chemin qui n'a pas été utilisé depuis des années et qui ressemble à tant d'autres que nous venons de croiser. Paul, en chasseur expérimenté, chuchote quand il est dans les bois. C'est visiblement un réflexe car il parlait normalement dans la voiture. Je le remercie vivement pour avoir fait le détour et m'avoir mené au cœur de la forêt. Il s'en va et le silence autour de moi est impressionnant. Je ne verrai pas un humain avant de rejoindre le CDT. Personne n'est passé ni ne passera plus par ici. Peut être Paul viendra chasser l'élan un de ces jours. Bizarrement, je me sens bien dans ce coin oublié des hommes. Je ne suis pas perdu et j'ai confiance en Paul. Et puis j'ai mon GPS au cas où les choses se passent mal. Paul m'a expliqué que le CDT se trouvait en hauteur proche de la limite des arbres.

Le chemin de Paul grimpe sec et je suis vite dans l'ambiance. Comme j'ai fait beaucoup de VTT sur des chemins abandonnés, je n'ai pas de mal à le repérer. Lorsqu'il y a une intersection, je cherche les marques du double rectangle pour prendre la bonne direction. Après quasiment 2 heures de grimpette, j'arrive pile poil sur le CDT. Merci Paul. Encore un gars avec le cœur sur la main qui a gâché une partie de sa matinée pour faire plaisir à un inconnu. Avoir du plaisir à faire plaisir, voilà un concept perdu par les Européens...

Je suis dans les arbres et je resterai dans le tunnel vert toute la journée.
Une clairière dans le tunnel vert

Une mini vue entre 2 arbres

Un ruisseau bien aménagé

Je pense à Mathieu qui n'aimerait pas ça. Je croise des hikers mais ils sont tous dans le sens opposé au mien. Il s'agit de gens en vacances qui font une partie du Colorado Trail.

À 18h15, j'ai fait 21 kms et 1200m de dénivelé. Je décide de planter la tente dans les arbres parce que je n'ai rien d'autre sous la main. Je cherche un endroit sec et exposé au vent car les moustiques sont de sortie. L'endroit choisi qui répond pourtant aux critères n'est pas mieux loti qu'un marécage. Je suis noyé au milieu des moustiques pendant que je mange et me réfugie le plus vite possible dans ma tente. Comme il est tôt, je vous écris un roman de la journée. Vous allez vite me pousser à marcher plus et à finir plus tard :-)

25 août - Sospel > Menton

Il est 6h, l'heure des braves et de l'apparition du soleil. Je suis tellement proche d'eux que je réveille les squatteurs du jar...