samedi 30 juin 2018

30 Juin - Cabin Creek

Le programme de ce matin est connu. Il faut grimper. Quand je regarde la carte, il s'agit de faire le sommet du pic James à 4056 m. Comme je suis actuellement à 3100 m, la matinée va faire physiquement très mal. Je m'inquiète pour mes 30 km quotidien. De toutes façons, je dois prendre mon parti sur les 3 jours pour atteindre Grand Lake, Mais j'aimerais arriver tôt pour pouvoir partir le lendemain. J'ai vraiment accumulé trop de retard à chaque arrêt en ville.

Pour l'instant, je me concentre sur le pic James. J'ai lu dans mes notes que cette portion du CDT est nouvelle. Et effectivement le sentier a été ouvert récemment à la hache. On est allé au plus court et la montée est un mur. C'est tellement pentu qu'ils ont placé des pierres pour faire des escaliers. 7 km à ce régime et je vais finir sur les rotules dès le commencement de la journée.

À ce sujet, ma respiration va bien et je n'ai pas pris de Ventoline. J'en suis à l'avant dernier jour de mon traitement d'antibiotiques et j'espère que mes sinus refonctionnent correctement. Je serai heureux que les problèmes de santé soient derrière moi. J'ai encore 3 mois à crapahuter.

En passant la ligne des arbres, la pente se radoucit et j'ai une vue grandiose sur une cascade qui se jette dans un lac au pied d'une montagne. Une petite récompense de mi parcours que j'accueille avec bonheur.


Je vois un hiker devant moi mais à la vitesse où je le rejoins et à la blancheur de sa peau, ce n'est pas un Thru-hiker du CDT (note : le Thru-hiker est celui qui fait tout le CDT d'un coup par opposition au section hiker qui n'en fait qu'un morceau). Il est effectivement de Denver et il est venu faire le pic James pour la journée. Quand je pense que j'enchaîne tous les jours 1 à 2 sommets à 4000, je me dis que je ne suis pas loin d'être le plus heureux des hommes.

En tout cas, le pic James se mérite parce que les 7 km de sa montée sont au niveau Alpin. Pas de zone de repos et une pente excessivement raide jusqu'au sommet.
Le GPS me confirme les 948 m de dénivelé. Il est quand même 10h et je n'ai fait que 7 km...

Je bascule sur l'autre face et la descente est du même calibre que la montée. Je sais que je vais passer pour un malade mais, comme en VTT, je préfère les montées aux descentes. Je conçois néanmoins qu'on va plus vite en descente et c'est ce dont j'ai besoin. Celle-ci se stabilise à flanc de montagne car il est hors de question que le CDT descende dans la vallée où je peux voir des villes. Ça serait beaucoup moins drôle.
D'ailleurs le CDT vire à droite et repart en montée. Là aussi, ce passage à l'air d'être utilisé uniquement par les hikers du CDT. Pour tout dire, il n'y a aucun sentier et uniquement des poteaux en bois plantés dans la prairie qui recouvre le flanc de la montagne.

Puisque l'endroit est totalement exposé, le vent en profite pour se déchaîner et les nuages arrivent de l'ouest en rangs serrés. Visiblement la pluie annoncée se profile. Le thermomètre chute à la vitesse grand V et je suis frigorifié. À tel point que je mets mon pantalon, ma doudoune et mes gants. Le vent est tellement violent que je me demande comment je vais pouvoir déjeuner. Il est midi et je meurs de faim surtout depuis que je suis rationné.

Outre le vent, le chemin, même s'il n'y en a pas, est un cauchemar. Marcher dans les touffes d'herbes avec leurs trous et leurs bosses n'est déjà pas drôle mais il y a des pierriers absolument partout.

Je déteste ce passage et je me demande bien quel est l'intérêt de nous faire galérer dans ce cirque. Il suffit de s'approcher de la falaise pour le comprendre et la couleur bleu de la glace qui fond dans le lac est facinante.

Néanmoins le passage est très long. Le vent ne se calme pas et j'en ai assez de me tordre les chevilles dans l'herbe. Je longe une route depuis longtemps et je vois sur la carte qu'elle va au même endroit que le CDT, c'est-à-dire au col de Rollins. J'abandonne le tracé officiel et je me jette sur la route où je rejoins le parking du col.
Parmi toutes les voitures des randonneurs qui sont stationnées, il y en a une qui est ouverte et où le chauffeur fait les 100 pas pour se réchauffer. Lorsque j'arrive, il se jette sur moi pour me demander si je suis un Thru-hiker. Comme je lui réponds par l'affirmative, il me demande si je sais ce que c'est qu'un Trail Magic. Là ça devient plutôt intéressant ! Il me demande de passer de l'autre côté de la voiture. Il y a 2 fauteuils de camping et il m'invite à prendre place. J'ai droit à un Coca, une part de gâteau et des fraises avec de la chantilly. Génial ! En fait, il est venu de Denver passer la journée pour offrir des Trail Magics aux Thru-hikers. Il a fait le PCT l'année dernière et a reçu plein de Trail Magics. Le CDT est réputé pour n'en avoir aucun et il a voulu apporter sa pierre à l'édifice. Voilà qui tombe à pic pour moi qui n'ai eu qu'une tortilla avec un morceau de fromage pour tout repas à midi. J'engloutis la part de gâteau sans même la déguster tellement j'ai faim. Entre temps, c'est un puis 2 puis 5 Thru-hikers qui se trouvent à mes côtés. Ils se connaissent tous et je n'en connais aucun même de nom. Je suis complètement décalé par rapport à toutes les personnes que j'ai fréquentées durant tout le Nouveau Mexique. J'ai pris beaucoup de retard au Colorado. Ceux ci sont tous partis en mai. Cela ne nous empêche pas de discuter mais nous n'avons pas les mêmes expériences. Entre autre, ils ont connu l'incendie de Durango lorsqu'il a touché le Trail ce qui n'est pas mon cas...

Je leur demande ce qu'ils viennent de faire et tous sans exception me disent qu'ils ont pris la crête entre les monts Flora et James. Ils ont fait 7 km au lieu des 17 que je me suis envoyés sans compter l'ascension Quand je leur demande si c'était dangereux ou effrayant, ils me répondent que le seul problème était que ça montait et descendait entre chaque sommet. Oui évidemment ! J'enrage d'avoir pris la mauvaise décision. Quand je leur parle de la crête du mont Torreys, personne ne l'a faite sauf le Trail Angel qui me demande si j'avais des envies de suicide. Vraiment je suis à côté de la plaque.

Pendant que nous discutons, le vent a calé - enfin je n'en pouvais plus - et les nuages nous sont tombés sur la tête. Un épais brouillard a envahi le trail et on y vois plus à 10 m. Je m'inquiète pour la fin de la journée. Je décide de reprendre le Trail et laisse tous ces hikers qui se connaissent bien à leurs histoires communes. J'ai le sentiment que je n'arriverai pas à intégrer un nouveau groupe. Il y a trop d'écarts entre nos expériences. C'est pas grave, je suis bien aussi tout seul. Il y a tellement de choses qui se passent continuellement.

Je marche dans la purée de pois mais le sentier est bien visible sous mes pieds. D'ailleurs au bout d'un moment, je sors du brouillard et vois le nuage jouer avec le sentier. Il m'enveloppe puis se retire en quelques minutes. Cela me permet de faire quelques photos rigolotes.

Globalement le sentier descend et se retrouve dans une forêt comme à chaque fois que l'altitude baisse. Entre l'ascension du pic James, la galère de l'herbage plein de rochers et le Trail Magic, je n'ai pas fait d'étincelles niveau kilométrage. J'arrive tristement à 28 km au compteur mais avec 1400 m de dénivelé cumulé.
Il reste 45 km pour atteindre Grand Lake.

Ce soir, je dîne d'un sachet de riz Knorr pour tout repas. J'ai des crampes d'estomac et mon ventre se plaint en gargouillant. En fait, nous riches occidentaux, dont je suis un des privilégiés, nous ne connaissons pas la faim. Nous sommes tellement habitués à ouvrir la porte du frigo à la moindre fringale que nous n'avons strictement aucune notion de ce qu'engendre le manque de nourriture.
Attention, je ne suis pas à plaindre car j'ai quelque chose dans l'estomac et que je ne meurs pas de faim. Mais cela fait plusieurs jours que la faim ne me quitte pas et que manger devient une obsession. Je ne pense qu'à ce que je vais m'offrir au restaurant quand je vais arriver en ville. Je me demande même si je vais aller me laver avant ;-)


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