vendredi 31 août 2018

31 Août - Granite Butte Lookout

J'ai bien dormi et le froid extérieur ne m'a pas gêné. Le vent n'a pas cessé de souffler toute la nuit et il ne semble pas décidé à se calmer. Bien au contraire.

Mes seuls visiteurs de la nuit ont été des vaches qui après s'être désaltérées à l'abreuvoir, installé spécialement pour elles, sont venues dormir à l'abri du vent. Tout ce qu'on peut dire c'est que ce charmant animal n'est pas des plus discrets et se comporte avec les branches comme un éléphant dans un magasin de porcelaine.

En sortant de la forêt, je m'aperçois de la puissance du vent et je ne suis pas prêt d'enlever mes couches thermiques.

Près de l'abreuvoir, il y a 2 hikers en train de se ravitailler en eau. Pour ma part, je n'ai pas besoin de le faire. Sans que je comprenne trop comment, j'ai réussi à conserver 2 litres d'eau. Je pense qu'avec le froid, ma consommation a drastiquement chuté. Je fais un signe de salut de loin à mes camarades de jeu sans identifier de qui il s'agit. Je ne sais même pas s'ils sont Nobo ou Sobo.

Pour commencer la journée et se réchauffer un peu, il faut grimper au sommet de la "Black Mountain" à 2529 m soit plus de 500 m de dénivelé. Voilà qui met en jambes. D'ailleurs les 2 hikers de l'abreuvoir me rejoignent. En fait, je les connais. Bugs et son camarade de jeu me doublent comme s'ils marchaient sur du plat. Impressionnant la puissance de ces gars. Ils font le forcing pour retrouver les australiens qui sont juste devant. Bonne chasse !

Le sommet permet de voir loin dans les environs. Le vent commence à chasser la fumée et la vue se dégage petit à petit.

Il amène aussi tout un front de nuages noirs. Mis à part quelques gouttes sans importance, les nuages couvrent le soleil et la température dégringole. Nous voici revenus en hiver en quelques minutes. Je me couvre en conséquence car le vent ne mollit pas. Tant mieux d'ailleurs car une heure après, il a chassé les nuages. Et nous voici revenus en été. A ce rythme, mon corps va avoir du mal à s'adapter à ces brusques changements de saison et je suis bon pour tomber malade...

Le sentier suit la crête et passe montagne après montagne. Les parties les plus exposées sont les prairies où le vent donne toute la mesure de sa puissance.

Après déjeuner, je reprends le Trail et tombe sur les Australiens amputés de Chippy qui fait cavalière seule depuis 2 jours. Ils me donnent le bonjour de Jack, mon taxi pour Helena qui les a embarqués juste après m'avoir laissé à l'hôtel. Le monde est vraiment petit. Ils n'ont pas vu Bugs et son acolyte. Étonnant, je ne comprends pas comment ils se sont loupés.

Une des australiennes - dont j'ai oublié le Trail Name - me demande si je suis excité d'arriver au bout du CDT. Nous sommes tous dans le même état d'esprit. Nous considérons tous que le voyage est terminé alors qu'il n'en est rien. C'est vraiment étrange que nous suivions tous le même système de pensée. Nous allons ressasser la fin du voyage pendant un mois. Moi même j'y pense tous les jours. Je ne peux pas m'en empêcher.

A 15h je vais faire le plein d'eau en descendant 1 km en dessous du Trail alors que les Australiens vont tenter leur chance au suivant. Cette section a un vrai problème de points d'eau. Je vais encore devoir me coltiner l'eau pour le "dry camping" de ce soir. Avec les montées de compétition qui se succèdent c'est un vrai bonheur.

Le vent m'accompagne en cette fin de journée. Je cherche un endroit plat à l'abri. Pas évident et je dois m'exposer un peu au vent pour une zone plate. Je suis sous le lookout "Granite Butte". J'irai le visiter demain si je ne suis pas congelé par le froid cette nuit.

jeudi 30 août 2018

30 Août - Dana Spring

Mon sommeil a été perturbé toutes les heures par un train. Je suppose qu'il y a une mine à proximité et qu'ils utilisent le rail pour transporter leur production. Il s'agit donc d'un train "privé". Le chauffeur est un grand malade mental qui joue du klaxon sans discontinuer. Le son raisonne dans toute la vallée et monte jusqu'à moi comme si le train était à côté de moi. Toutes les heures, il amène sa machine à la mine et toutes les heures il klaxonne comme un forcené.

Il a fait très chaud hier dans la journée et du coup la nuit a été douce. J'étais trop couvert traumatisé par les conditions météorologiques d'il y a 3 jours. On passe de l'hiver à l'été en quelques heures. Il paraît que c'est normal au Montana. Drôle de région.

Cette nuit j'ai entendu des grognements que je connaissais pas. J'ai d'abord cru à un cerf qui brâmait mais c'était trop différent.
Je reprends le Trail avec en fond les coups de klaxon du train. Il faut vite que je mette de la distance entre nous pour éviter que je trucide le chauffeur.
Tout au contraire, il semble que le Trail me rapproche de la mine. J'entends maintenant le moteur de la locomotive. D'ailleurs je croise l'ancienne voie dont le pont, avalé par les arbres et la mousse, subsiste.

Je monte une butte et passé le sommet, je tombe sur un Grizzli. Voila l'origine des grognements de cette nuit ! L'animal est monstrueux. C'est clair que s'il charge, j'ai sacrement du souci à me faire. Pour l'instant, il ne m'a ni vu ni entendu. Je pense que le bruit du train a masqué le mien. Il monte tranquillement le sentier devant moi et arrivé en haut de la côte, il bifurque dans la forêt pour suivre la crête. Les arbres couchés sur le sol ne le dérangent absolument pas et il passe dessus comme si c'était de simples brins d'herbe. C'est surprenant de voir l'agilité d'un animal aussi imposant. Il disparaît rapidement derrière les feuillages.
C'est à mon tour de grimper le sentier et je ne voudrais pas surprendre l'animal s'il fait demi tour. Au pas tranquille auquel il se déplaçait, il ne sait pas que je suis là. Je décide donc de faire du bruit. Je me mets à chanter "A la claire fontaine". Vu mon talent de chanteur, la pauvre bête doit encore être en train de courir et sera demain au Canada.
En tout cas, j'ai vu mon premier Grizzli. Et je ne suis pas prêt de dormir avec de la nourriture dans ma tente.

Il y a de plus en plus de prairie sur les sommets ce qui permet de voir le paysage. La visibilité s'est un peu améliorée mais la fumée reste présente. En tout cas, c'est bien mieux que d'être dans les arbres.

Le CDT me fait des blagues. Les marques et les signes ne correspondent pas avec le tracé de mon GPS. Comme la dernière fois, ça s'est mal passé pour moi, je suis le GPS en priorité. En fait, j'ai récupéré d'anciennes traces mais elles fonctionnent. Les sentiers sur j'emprunte ne sont pas entretenus mais j'ai connu bien pire au Colorado. Une affiche clouée sur un arbre me donne la réponse. La zone est considérée comme dangereuse à cause des arbres décimés par les insectes. Là encore, j'ai traversé des 10aines de forêts décimés dans un état bien plus critique. Il y a du y avoir un accident qui les a rendus paranoïaques.

En final, je me retrouve sur une route forestière qui suit la crête. Il y a du vent des nuages voilent le soleil. Il fait froid et je garde ma veste tout l'après midi.

Vers 16h, au détour d'un virage, je tombe sur un puma. Le vent a masqué mon odeur et le bruit de mes bâtons. Dès qu'il m'aperçoit, il se fige puis détale à toutes jambes. C'est un jeune puma car sa taille n'excède pas celle d'un chien. J'espère juste qu'il ne vit pas chez ses parents. Je n'aimerais que ses géniteurs débarquent.
Je sais que j'ai beaucoup de chance de voir un puma car habituellement ils se tiennent éloignés des humains.
En tout cas c'est ma journée "nos amis les animaux".

Le seul problème de cette section est l'absence d'eau. Je me suis trimbalé tout l'après midi 3 litres pour faire un "dry camping". Comme j'ai fait 30 km, j'arrive à un nouveau point d'eau (conclusion, j'ai traîné mon eau pour rien). Le prochain ravitaillement en eau est à 15 km à vol d'oiseau. Je décide donc de camper à côté de ce point d'eau providentiel pour faire le plein demain matin en repartant. Je pourrai passer la journée sans ravitailler. Le seul problème est que je suis sur la crête et que le vent a forci. Mais "l'eau c'est la vie" et je vais rester près d'elle. Je me réfugie dans la forêt la plus proche pour me protéger du vent. C'est plus ou moins efficace mais surtout il y fait très froid. La nuit risque d'être fraîche. Mais au moins je n'aurai pas le train et son chauffeur fou à lier pour me réveiller toutes les heures.

mercredi 29 août 2018

29 Août - Priest Pass

Je me suis endormi à 1h et réveillé à 5h. Ça devient la norme quand je dors à l'hôtel. C'est totalement ridicule. Je ne m'explique pas cette volonté de mon esprit de m'épuiser quand je suis supposé me reposer. Je suis bon pour une psychanalyse en rentrant.

Autant que je reparte dans la brousse dormir au milieu des Grizzlys, ça se passe beaucoup mieux.

Ce matin j'ai décidé de prendre mon temps. Je vais prendre le petit déjeuner dans un café recommandé par Jack. C'est tout petit et très mignon. Il y a même des mugs au nom du café. Ça me rappelle mon premier voyage au US quand j'étais étudiant... Hier quoi !

Je retourne à l'hôtel pour faire mon sac. Je dois aussi changer les embouts de mes bâtons. Le service client m'a expliqué que je dois les faire bouillir pour les retirer. Je pars au fond du parking du motel avec mon rechaud, mon eau et mes bâtons. Je monte mon petit atelier. Les clients vont et viennent. La plupart est en partance. Il y a une faune des plus bigarrée. Des mexicains s'entassent à 6 dans une voiture cabossée de toutes parts. Un ferrailleur transvase son butin d'un 4x4 en ruine à un camion qui n'en vaut pas mieux. Un gars part travailler avec son attaché case. Visiblement, il vit au motel...
De mon côté, je ne détone pas trop de l'ambiance avec mon réchaud, assis à même le sol, en train d'ébouillanter mes bâtons.

Bien sûr ça se passe à merveille pour un bâton et très mal pour l'autre. Ça finit à coup de couteau suisse mais l'opération est un succès.

Je libère ma chambre, laisse mon sac à la réception et m'occupe de ce que je n'ai pas pu faire hier.

Je vais au magasin de sport spécialisé en course à pied. Je veux leur avis sur les chaussures que j'ai acheté à Butte. La propriétaire ne connais pas ce modèle. Moi je connais tous les modèles qu'elle vend et qui sont excellents. Je ne suis pas avancé. Je n'arrive pas à me dire que je vais jeter une paire de chaussures que j'ai porté 5 jours. Toujours ce principe que si j'ai fait une erreur, je dois l'assumer. J'espère que je ne vais pas payer cher l'application de mes principes d'un temps révolu. Mais on ne se refait pas. Question d'éducation. Si on ne s'accroche pas à ses fondamentaux, on perd ses bases. "On est des gagne-misère mais on est pas des peigne-cul" dit Jacques Gamblin à Michel Serrault en refusant la grosse somme d'argent que ce dernier veut généreusement lui offrir pour le sortir de la misère (Les enfants du marais).

Je file à la bibliothèque pour récupérer d'autres podcasts. Je les consomme à une vitesse phénomènale. Helena est une ville de 40 000 habitants avec sa banlieue et la bibliothèque est en conséquence. Il y a une 50aine d'ordinateurs à disposition. La connexion Internet est fulgurante. Je ne sais pas quelle est la technologie utilisée mais c'est bluffant. Par contre ma session est limitée à une heure. Tant mieux ça m'évitera de m'accrocher comme la moule à son rocher.

Je vais manger dans le resto recommandé par Jack. Hier soir j'ai fait celui recommandé par TripAdvisor. Dans les 2 cas, je suis déçu. Qu'il est donc difficile de manger équilibré et avec un peu de saveur aux USA. Spécialement dans le Montana. Jack m'a expliqué que les gens d'ici considèrent la nourriture comme un carburant. Ils mangent pour fonctionner et pas pour avoir du plaisir. J'ai peur qu'il ait raison.

Il est temps de rejoindre le Trail. Je sais que ça va être compliqué. Car s'il est facile de faire du stop à l'extérieur d'une ville pour s'y faire amener, l'inverse est beaucoup plus compliqué.

L'autoroute qui va au col Mac Donald traverse Helena. Je m'installe sur cette autoroute entre 2 feux rouges. Ça ne fonctionne pas du tout. Les voitures sont sur 3 voies, collées les unes aux autres. Personne ne va prendre le risque de freiner et de traverser des voies pour me récupérer.
Au bout d'une heure, je décide de changer d'endroit. Je me mets au niveau d'un supermarché où il n'y a plus que 2 voies et bien de la place pour s'arrêter. Je suis là depuis 1/4 d'heure quand une dame sui roule dans sa voiture sur le parking du supermarché m'interpelle "Est ce que vous êtes un hiker du CDT ?". Sa voiture est pleine à craquer et regorge de matériel de marche et de camping. Elle me dit que sa fille fait le CDT et qu'elle va la rejoindre au col Mac Donald. Cette dernière lui a demandé d'acheter des Bretzels pour ce soir d'où sa présence en ce lieu. A ces mots, le déclic se fait dans ma tête. "Êtes vous la mère de Casper ?". Elle est un peu sonnée par ma question mais me répond par l'affirmative. C'est le fameux trail Magic raté dans le désert avec Paul et Jules où nous n'avions pas été invité. D'ailleurs elle me reconnaît et m'explique que ce jour là, elle a été complètement débordée par les évènements. Elle s'est retrouvée avec 15 hikers en train de squatter sous son abri alors qu'au départ elle n'en connaissait qu'un seul.
Sa voiture est un capharnaüm sans nom qui monte jusqu'au toit de son véhicule. En plus des Bretzels, Ingrid a acheté de la glace pour renouveler celle de ses glacières. La plus grosse regorge de boissons de toutes sortes pour les hikers. Elle suit sa fille et toutes les 2 dorment en faisant du camping. Visiblement elle a beaucoup de plaisir à accompagner sa progéniture de 26 ans et à rencontrer des hikers.

J'apprends que Casper et beaucoup d'autres hikers ont pris la même option que moi suite à l'incendie et sont allés directement à Butte. Que Casper est très frustrée car le morceau que nous avons sauté est soit disant très beau.

J'apprends aussi qu'il y a 2 autres incendies au Nord dont un qui a condamné l'accès au CDT. Par contre, un contournement a été mis en place qui passe par un autre Trail.
La 2eme fermeture est à Waterton donc directement à l'arrivée au Canada. Il semblerait que ça soit préventif. Finalement j'espère qu'il a plu ou qu'il pleuvra rapidement sur cette zone pour que je puisse finir. Ça serait très frustrant d'arrêter si près du but.

Ingrid m'accompagne jusqu'au départ du Trail. J'ai commencé à faire du stop à 14h et il est maintenant 16h. Je n'irai pas bien loin aujourd'hui. Mais ce n'est pas grave, je suis de retour sur le Trail.

Je grimpe sur une FR pour me retrouver sur le sommet le plus haut du coin.

Il regorge d'antennes de toutes sortes y compris téléphoniques. La ville d'Helena s'étale sous mes pieds.

Après etre monté aux relais, le CDT suit la crête. Nous alternons prairies et forêt.
Très surprenant cette partie de la forêt entièrement recouverte de mousse.

Je croise ma dernière source d'eau de la journée et il s'agit d'un filet d'eau boueux. Encore une séance de filtrage qui me fait perdre un temps fou. Aujourd'hui je fais tout sauf marcher.

En traversant un chemin carrossable, je vois 2 voitures garées. Une dame et 2 Messieurs discutent. Quand j'arrive à leur niveau, je vois sur le sol des fusils à lunette et des cibles. Ils sont venus s'entraîner sur le CDT. Je trouve cela très particulier. Je leur demande si la chasse aux hikers est ouverte. Nous échangeons des plaisanteries sur le sujet. En fait, ils n'ont aucune idée ce qu'est le CDT... En leur expliquant, ils me prennent pour un malade. Nous voici sur un pied d'égalité.

Je n'ai fait que 9 km mais il est 18h. Il fait nuit dans 2h. J'installe ma tente qui est encore trempée des dernières intempéries. Je viens de faire ma plus petite journée depuis que je suis sur le CDT...

mardi 28 août 2018

28 Août - Helena

Quand j'ai monté la tente hier, elle était encore mouillée de la veille. Ce matin l'eau ruisselle à l'intérieur. L'endroit de mon duvet où je me mets mes pieds est trempé car j'appuie sur la toile. C'est impressionnant l'effet de l'humidité extérieure sur l'intérieur de mon habitacle.

Je n'ai pas eu froid et je n'ai pas ressenti l'humidité. La qualité de mon duvet y est pour beaucoup. L'eau qui ruisselle n'a jamais pénétré.

Il ne pleut plus mais je n'ai aucun endroit sec à l'extérieur pour m'installer. Je déjeune donc à l'intérieur de la tente. C'est vraiment agréable d'avaler quelque chose de chaud dans cet environnement détrempé.

Je remets mes vêtements mouillés qui bien évidemment n'ont pas séché dans la nuit. Le pire reste les chaussettes et les chaussures qui ont l'effet immédiat de me frigorifier les pieds. Je ne garde pas les vêtements de pluie de la veille à l'exception de mes guêtres car je vais devoir passer les herbes recouvertes d'eau de pluie.

Je me mets en route le plus rapidement possible pour me réchauffer.

Le soleil se lève et je vois un grand ciel bleu à l'horizon. Voilà qui change tout ! Les nuages sont partis durant la nuit.

Je marche sur un chemin pour 4x4 peu fréquenté. Je me plonge dans mes réflexions et me dis que j'ai mal abordé ces 2 derniers jours. J'aurai dû suivre les préceptes de Pascal et plier comme un roseau au lieu de vouloir résister comme un chêne qui se déracine sous la tempête. Je me suis vu piégé par le froid et la pluie pour les jours à venir. Mon moral a chuté sans voir la lumière au bout du tunnel. Il faut que je vive les choses au jour le jour car tout est possible, dans un sens comme dans l'autre. Me pourrir l'existence ne règlera aucun problème. Il est vrai que je ne m'attendais pas à une telle intempérie si tôt. Me voilà prévenu. A moi de plier comme un roseau et les choses se passeront mieux.

Perdu dans mes réflexions, j'en oublie de vérifier mon GPS. Quand je le fais, c'est pour m'apercevoir que j'ai fait 2 km de trop. J'ai raté une bifurcation. J'ai descendu le chemin, doucement carressé par les premiers rayons du soleil. Il faut remonter maintenant. Je viens de perdre 1h de marche. Autant de temps de moins de repos à Helena.

Je retrouve l'intersection et effectivement un sentier peu visible part à droite au milieu des hautes herbes. En quelques secondes, mes chaussures et mon pantalon sont totalement trempés. Plions ! Cela sèchera puisque le soleil est de la partie. Il a un sacré boulot parce que toute la végétation regorge d'eau.

Le sentier me ramene sur un chemin de crête. Pas beaucoup de surprise de ce côté là. Par contre arrivé au sommet, la vue se dégage car il y a une immense prairie à la place de la sempiternelle forêt. La vue est toujours brumeuse mais je ne sais pas si c'est à cause de la pluie ou de la fumée.

J'ai moins de 20 km à faire avant d'arriver au col Mac Donald où je ferai du stop pour Helena. Je ne suis pas stressé par l'heure qui tourne. Je respire à pleins poumons. Ça fait du bien ce soleil et cette vue. Je revis.

De montées en descentes, de forêts en prairies, d'herbages détrempés en sentiers boueux, je finis par atteindre mon objectif.
La route semble très passante. En fait c'est une autoroute et les gens roulent vite.

Comme d'habitude, je range mon chapeau et mes bâtons avant de m'installer sur le bord de la route. Pendant cette opération, un 4x4 arrive pour se garer sur le parking et s'arrête à mon niveau. Le chauffeur, barbe et chapeau de camouflage militaire, me demande si je fais le CDT. Il me congratule et repart. Il fait 5 m et stoppe à nouveau son véhicule. Il me demande alors si je vais à Helena. A la suite de ma réponse positive, il se propose de m'emmener. Je suis étonné car il vient d'arriver et il est supposé partir camper dans la montagne. Il me dit avoir le temps et que la montagne attendra son retour. Il va donc faire 50 km pour me faire plaisir. Est ce que je dois encore m'étonner ? Nouveau record battu : je n'ai même pas eu le temps de me mettre sur le bord de la route et de lever le pouce.

Jack, 52 ans sans les faire, est un ancien militaire de l'US Air Force. Après 25 ans de bons et loyaux services, ses placements prospères et sa pension militaire lui ont permis de prendre sa retraite. Il était partie pour aller pêcher et camper pour une nuit quand il m'a croisé. Il n'est pas pressé. Non seulement il m'amène en ville mais me l'a fait visiter en me montrant les magasins qui peuvent m'intéresser. Comme je lui dit que je dois changer mes gants, nous voilà tous les 2 dans le magasin adéquat en train de choisir le bon modèle. Comme je lui demande où se trouve la poste, il m'y amène et attend que je récupère mon colis.

Je veux lui offrir à boire car il a déjà mangé. C'est le minimum que je puisse faire. Il m'amène dans un bar à vin où il commande du fromage et de charcuterie car il sait que j'ai sauté le repas de midi. Nous discutons à bâtons rompus et je fais honneur au plateau. Il y a de la charcuterie italienne et du fromage français !
Alors que je veux payer l'addition, j'apprends que Jack a déjà tout réglé. Il argumente que je suis dans sa ville. Il m'amène à l'hôtel et repart dans l'autre direction. Vraiment cette gentillesse me laissera toujours pantois !

Helena est une belle ville. Elle est à Butte ce que Aix est à Marseille. Les 2 villes sont sœurs ennemies mais Helena est beaucoup plus riche que Butte. La spécialité de Butte est l'extraction du cuivre alors que celle d'Helena est l'or. C'est aussi Helena qui est la "capitale" du Montana et son Capitole est impressionnant fait du granit gris des montagnes environnantes. Le toit est en cuivre de Butte, concession accordée en dédommagement car Butte visait aussi d'être la capitale de l'état.

Une fois installé à l'hôtel, je vaque à mes corvées habituelles. Il est tard mais je n'ai que la nourriture à ravitailler.
Je ne sais pas si je prends un zéro à Helena. C'est la dernière "vraie" ville avant le Canada... La nuit porte conseil.


lundi 27 août 2018

27 Août - Pêché D'orgueil

Il a plu toute la nuit. Par moments c'était très intense et à d'autres plus calme, mais ça n'a jamais arrêté.
Ce matin il pleut encore alors que la journée commence. Je mets la tête dehors et je vois que j'ai commis un double péché d'orgueil.
D'abord j'ai cru que le Trail était terminé. J'étais même en train de philosopher sur cette petite mort. Ensuite j'ai cru que le temps que j'ai eu hier était le pire que je pouvais rencontrer. J'étais persuadé que le soleil allait revenir et la chaleur m'accompagner sur la fin de cette section.
Ce matin, le Trail se rappelle à mon bon souvenir et me met une grande claque derrière la tête. En effet, il neige ! Des gros flocons bien lourds qui mouillent tout et qui commencent à tenir sur le sol.

Je récupère les sacs de nourriture qui étaient pendus à une branche. Ils sont détrempés. Je ramasse le matériel de cuisine et me réfugie dans la tente pour déjeuner. Je ne me suis pas préparé à affronter la neige au mois d'août. Mais que faire ? Je ne vais pas rester dans la tente à attendre le retour du beau temps. Les nuages sont tombés sur les montagnes et ne semblent pas prêt de partir. S'il neige c'est que la température extérieure est proche de 0. Il faut se couvrir en conséquence.

Je cumule affaires chaudes et de pluie pour passer la journée. Je m'habille comme hier mais j'y ajoute mes chaussettes waterproof et mon parapluie, 2 éléments que j'encense à chaque fois que je les utilise. Je mets aussi mon kilt imperméable et mes guêtres pour protéger mon pantalon. Je suis prêt pour la fashion week.

J'attaque le Trail sous la neige qui rapidement se transforme en pluie. Le profil lui ne change pas. On continue de suivre la ligne de crête en restant dans les arbres. Le sommet est la plupart du temps noyé dans les nuages et un petit vent glacial ne donne pas envie de s'attarder.

A 11h, la pluie se retransforme en neige qui tourbillonne dans tous les sens. Mon parapluie ne sert plus à grand chose. Il a bien fait son travail jusqu'ici et m'a bien protégé.

La configuration du terrain est catastrophique pour ma protection thermique. Je suis trop couvert pour les montées où je transpire. De fait, je suis frigorifié à la descente ou mes vêtements sont insuffisants.

A midi, je cherche un endroit où déjeuner. Je rêve d'un gros sapin sous lequel je pourrais être au sec. Je suis un peu inquiet car ma chemise est trempée. Le gortex a ses limites. J'ai peur que le froid ne prenne le dessus et que je ne puisse plus me réchauffer. Le problème est que je n'ai pas d'affaires de rechange. Celles qui me restent sont réservées pour dormir. Pas question d'y toucher. Il peut encore neiger cette nuit.

J'ai du mal à trouver un endroit sec. Les arbres sont tous de jeunes pousses. Je désespère de pouvoir m'arrêter quand je trouve mon bonheur. Je suis dans une pente escarpée mais au moins je suis au sec. Je me fais des ramen pour manger quelque chose de chaud. J'ai beau avoir fermé toutes les ouvertures de mes vêtements, le froid ne tarde pas à m'envahir surtout au niveau des mains et des pieds.

Je repars aussi vite que je peux. Manger m'a fait du bien. Je croise 3 Sobos. Ils n'ont pas de parapluie mais des pantalons et des vestes de pluie. Ils sont complètement trempés. Cela fait plus de 6h que nous marchons sous la pluie et aucun vêtement ne peut résister aussi longtemps. Je me félicite à nouveau de mon choix sur le matériel de pluie car mis à part l'incident de ma chemise, tout le reste est sec. En passant, celle-ci a séché pendant que je mangeais. Elle aussi fait partie des éléments que je vénère. Elle arrive même à sécher pendant la nuit quand je la lave la veille au soir. Une merveille !

Le CDT débouche sur une route forestière qui descend dans la vallée. Quel soulagement de quitter ce chemin de croix... euh... de crête. Cela permet de couvrir de la distance.

Malheureusement cela ne dure pas éternellement et après quelques km, le CDT repart dans les montagnes. Comble de malheur, il s'enfonce dans les herbes hautes. Mon parapluie qui avait protégé mon pantalon de la pluie ne pourra rien contre les herbes couvertes d'eau. En quelques minutes mon pantalon est trempé.

Il est 17h30 et la pluie n'a pas cessé de la journée. Le Trail est devenu un sentier boueux. Je cherche un emplacement plat est assez dégagé. Malheureusement le coin est très herbeux et je tiens à éviter les hautes herbes pour ce soir.
Je dois marcher encore une demi heure tout en explorant plusieurs endroits avant de trouver ce que je cherche. La zone est trempée mais constituée d'aiguilles de pins. Je monte la tente alors qu'il pleut encore et y stocke tout ce que je possède. Je me change avec plaisir pour des affaires sèches. Je fais ma tambouille sous la tente.

J'ai fait 33 km aujourd'hui. Il m'en restera 14 demain pour atteindre la route où je dois faire du stop pour Helena. J'espère éviter la pluie ou tout du moins la neige... Mais j'arrête le péché d'orgueil. Le CDT n'est pas terminé et il peut encore me surprendre...

dimanche 26 août 2018

26 Août - Spleen

Il a plu cette nuit. Le vent a pris le relais et quand je sors de la tente, le vent et les nuages sont prêts à m'accompagner pour la journée. Alors que je prépare mon petit déjeuner, il commence à pleuvoir. Toutes mes affaires sont étalées devant moi et j'ai déjà rangé ma tente. Je rapatrie tout mon matériel sous un sapin pour le protéger et mange mon porridge en regardant la pluie tomber. Elle s'arrête rapidement.

Je m'attends au pire question température et je m'habille chaudement, doudoune, coupe vent, sur-gants. Je range aussi mes bâtons pour éviter le problème rencontré hier.

Le Trail commence par une belle montée. Ça ne m'arrange pas outre mesure sans bâtons. Mais le vent souffle et je n'arrive pas à me réchauffer les mains. Ça sera donc une grimpette sans bâton.

Une fois au col, le chemin plonge dans une forêt profonde. La luminosité s'assombrit. Le vent cale et tout devient silencieux. C'est le moment où la pluie va tomber. Il n'y a aucun doute. La seule question en suspens est de savoir si ça va être un orage violent ou une pluie plus modérée. Je ne sais pas pourquoi mais cette forêt me fait penser à celles de l'Ecosse. Toutes aussi profondes et arrosées. Je me rappelle que le plus gros orage que j'ai jamais essuyé en VTT était dans une forêt écossaise. Je sais que Paul et Jules s'en souviennent aussi. La fameuse douche écossaise :-)

Pour aujourd'hui, ça sera une petite pluie fine. Cela ne change pas grand chose car petite où grosse, il faut sortir le matériel de pluie et s'équiper. L'horizon est désespérément bouché. Aucune chance de voir le soleil aujourd'hui. Ce qui veut dire rester congelé toute la journée, avec un soupçon d'humidité pour bien pénétrer les os.

Ça ne me donne pas spécialement un moral d'acier. Mais pour moi, le pire est de suivre un chemin de crête en restant dans les arbres. Je ne comprends pas l'intérêt de se dépenser en montées et descentes toute la sainte journée en ayant la vue bouchée en permanence par les arbres qui jouxtent le Trail. Autant rester dans la vallée !

Je suis comme tout le monde et j'aime bien être récompensé quand je fournis un effort. Ma récompense, mon carburant pour mettre un pied devant l'autre, c'est le paysage. Ici en haut de la côte, il n'y a rien que les arbres qui compose la forêt.
Comme en plus j'ai horreur de la pluie, je passe une des journées les plus misérables depuis que je suis parti. Le froid ne m'a pas quitté depuis ce matin. Je suis très inquiet. Je n'ai pas de matériel plus chaud que celui que j'ai sur le dos. Si les températures chutent en septembre, je ne pourrais pas aller au bout de l'aventure. Dès que le soleil n'est pas là, il est impossible de se réchauffer.

La journée se passe en suivant la crête en avalant montée et descente sous un ciel menaçant. Heureusement que j'ai des podcasts sinon je deviendrais fou.

J'ai droit à un point de vue dans toute la journée. Dommage que la météo ne soit pas avec moi...

Vu l'incident d'hier avec l'absence de point d'eau, je fais beaucoup plus attention aujourd'hui. J'ai croisé des ruisseaux sans discontinuer cet après midi mais je sais que celui que je vois à 17h est le dernier de la journée. Le suivant est 13 km plus loin. J'en ai fait 26 et je n'envisage pas d'en rajouter autant. Je dois donc faire le plein pour un "dry camping". Comble de bonheur, j'ai devant moi encore une de ces satanés côte à monter. Normal je viens de descendre...
Je rajoute 3 litres à mon paquetage et je monte la côte. Arrivé sur le replat et juste avant la descente, je m'installe entre 2 arbres. Je ne trouverai pas mieux au milieu de la forêt.

J'ai juste le temps de manger et de me glisser dans le duvet que la pluie reprend. Il ne faudrait pas que cette situation météorologique perdure plusieurs jours...

"Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis" du hiker qui se mange le chemin de crête sans vue (Baudelaire, Spleen - pas la fin bien sûr).

Soleil revient s'il te plaît, j'ai trop besoin de toi pour continuer !

samedi 25 août 2018

25 Août - De Retour Sur L'officiel

La nuit s'est bien passée et aucun rancher n'est venu me braquer son fusil sur le ventre. Il fait froid ce matin mais c'est souvent le cas au lever du soleil. Je ne m'inquiète pas pour ça.

Comme d'habitude, juste avant de rejoindre le Trail, je me mets en short et ne garde que ma doudoune que j'enlève dès que je suis complètement réchauffé. Tant que possible, je marche et fait du VTT uniquement en short.
Je continue de descendre la vallée. Un vent glacial se lève et la température continue de chuter. Je claque littéralement des dents. Je n'arrive plus à tenir mes bâtons de marche, leur contact me glace les mains. J'ai vraiment trop froid. Je remets mon pantalon, mon coupe vent, des sur-gants et surtout je range mes bâtons pour ne plus avoir à les tenir. Je ne rappelle plus avoir eu aussi froid même dans le Colorado. Je sais que cette torture prendra fin dès que je serai au soleil. Mais pour l'instant, sur cette route au fond de la vallée encaissée, il ne faut pas l'envisager.

A chaque virage, j'espère la libération qui ne vient pas. Enfin au bout d'une ligne droite, les rayons du soleil frappent la route. Lorsque j'arrive, je me mets au soleil et attend que les bienfaits de la chaleur me dégèlent les mains. C'est le plus urgent. Je suis un peu réchauffé mais le soleil n'est pas assez haut pour être très efficace. Il faut continuer et être patient. Je retourne marcher à l'ombre et ronge mon frein en attendant que l'heure tourne. Finalement, le grand astre décide de faire correctement son travail et je retire peu à peu mes couches thermiques. Cet incident m'inquiète. Comment cela va-t-il se présenter au mois de septembre ?

Mon chemin actuel rejoint le tracé officiel du CDT. Je n'ai gardé que mon GPS car la batterie de mon téléphone est mourante. J'ai consommé 80% en une seule journée avec le mode avion. J'en consommais 25% quand j'ai commencé mon voyage et que le téléphone était neuf. En 4 mois, la batterie est morte. Merci la société de consommation ! Je ne peux plus faire de photos pour illustrer le blog. Il faut que je garde ce qui me reste de batterie pour écrire.

De toute façon, le brouillard dû à l'incendie est toujours aussi épais et empêche toute photo décente du paysage.
Le GPS est très bien pour une vue macroscopique mais ne vaut rien pour une vue d'ensemble. Habituellement j'utilise mon smartphone pour les opérations que le GPS remplit mal. Comme je l'ai éteint, je commets 2 erreurs.

Premièrement je rate la jonction avec le CDT. Je suis sur un chemin carrossable alors que le CDT est un sentier à peine visible. D'ailleurs je passe devant sans même le voir. Quand je regarde le GPS, il est trop tard et je dois faire demi-tour pour revenir le prendre. Alors que j'arrive à l'intersection ratée, je crois avoir une hallucination. Je tombe sur Cheapy l'Australiene. Les Australiens sont partis un jour avant moi alors que je faisais mon zéro. Les probabilités pour la voir étaient vraiment très faibles. Étonnant que je croise la même personne en ville et au milieu de la pampa.

Elle m'explique qu'ils sont retournés à l'endroit où ils ont fait du stop pour venir à Butte. Ils sont donc revenus en arrière. D'où un jour de plus pour arriver à l'intersection où je la retrouve.
Je discute avec elle et elle me demande si j'ai bien fait le plein d'eau. La section que nous faisons n'a pas d'eau avant 18 km. 2eme erreur. Sans téléphone et vue d'ensemble, j'ai raté ce léger détail. Alors que toute la matinée, j'ai suivi un cours d'eau, je n'ai pas pris d'eau. Je pensais les problèmes de sécheresse terminés !

Je ne vais pas faire demi tour et je décide de continuer. Je trouverai bien une solution. Cheapy s'arrête pour attendre Bugs et je continue ma route. Il y a un point d'eau que le Guthook a annoncé pour "personnes désespérées seulement". C'est bien mon cas et je tente ma chance.

J'y arrive à 13h. Effectivement, la zone a été piétinée par les animaux et l'eau restante semble stagnante. Mais en prêtant l'oreille, j'entends de l'eau couler. Je descends le cours d'eau et finis par débusquer un maigre filet d'eau. Cela suffit à mon bonheur. Je sors mon filtre est extrait 2 litres d'une eau pure et fraîche. Tout est bien qui finit bien pour le manque d'eau !

Je recroise le reste de la troupe australienne qui réitère leur invitation sur Helena pour dormir sur un canapé. Je les remercie mais je pense que je vais aller à l'hôtel. J'y serai mieux que sur un canapé.

Maintenant que je suis de retour sur le CDT, les choses sérieuses reprennent. Le sentier suit les crêtes et enchaîne col après col.

La plupart du temps, je suis dans les arbres. De toute façon quand j'en sors, la purée de pois est toujours omniprésente.

A 17h30 et après 31 km, je fais le plein à un abreuvoir. Les vaches me l'ont abandonné après avoir fuit à toutes jambes en m'apercevant. Ces animaux sont terriblement peureux.

Je m'installe sous les sapins en prévision d'un froid glacial quand le soleil sera couché. Le souvenir de ce matin est resté gravé. 

vendredi 24 août 2018

24 Août - North Browns Gulch Road

Je repars sur le Trail alors qu'il est 10h du matin. Je me suis pourtant levé à 6h mais la préparation de la nourriture et du sac m'ont mis en retard. J'aurai du mieux gérer mon temps. Mais je cours toujours dans tous les sens. Les zéros sont supposés être un moment de repos à larver dans sa chambre devant la TV en mangeant de la malbouffe bien grasse non recommandée en temps ordinaire.
Je n'ai jamais réussi à faire ça. Mes zéros sont une course poursuite contre le temps où je dors peu pour arriver à tout faire. Je repars souvent plus fatigué que je suis arrivé.

Concernant le retour sur le Trail, j'ai 2 options. La première est de faire du stop pour retourner sur le tracé officiel. La 2eme est de poursuivre sur le raccourci de Butte qui me raccorde directement sur le CDT en marchant. J'aime bien l'idée de poursuivre sur le raccourci même si en y allant à pied je fais plus de km qu'en retournant sur le tracé officiel (un comble pour un raccourci). Il a aussi l'avantage de me faire faire du tourisme car je vais visiter la partie historique de Butte, ce que je n'ai pas eu le temps de faire.

Je dois remonter tout au Nord de la ville. Je quitte les grands axes commerciaux pour des rues secondaires résidencielles. Butte est une ville minière et ses habitants ne roulent pas sur l'or. Le style et l'état des maisons s'en ressent. Alors que je suis en train de photographier un étonnant crâne de dinosaure en bois devant une maison, l'occupant de celle ci me voit depuis son jardin.

Il sort promptement et se jette sur moi pour me serrer la main. C'est un Trail Angel et il veut absolument me faire plaisir. Il propose même de m'emmener en voiture sur le CDT. C'est vraiment super gentil et j'ai l'impression de lui faire de la peine à refuser toutes ses propositions, y compris celle d'un café (il faut que j'avance un peu).

Aprés 3 km, j'arrive devant la mine à ciel ouvert de Butte. Elle est démesurée. Je ne peux toujours pas faire de photos ni de la mine ni de la ville car la fumée s'est encore épaissie. Depuis 2 jours il n'y a plus un souffle d'air et la fumée n'est plus du tout évacuée. Elle s'accumule et la visibilité diminue encore. Le brouillard semble être devenu permanent, comme un smog surtout avec l'environnement industriel de Butte.


Les signes d'exploitation minière sont visibles partout. Il y a d'anciennes installations mais la mine est toujours en activité. De ce que j'arrive à comprendre, la ville s'est construite autour des puits ce qui en explique l'étendue.
Devant un ancien puits sont plantés des dizaines de drapeaux américains. Je ne connais pas la signification de cette cérémonie. Mineurs morts en activité ? A la guerre ?

Je passe devant le Berkeley Pit. Il s'agit de la fosse qui receuille l'eau de ruissellement de tous les puits en activité. Cela en fait une des plus grosses réserves d'eau contaminée au monde.
Le plus étonnant c'est que cette horreur se visite. J'entre dans le magasin de souvenirs qui fait aussi guichet. Visiblement l'établissement est sponsorisée par la compagnie minière.
Je suis seul dans le magasin. La "caissière guichetière" semble bien contente d'avoir un visiteur. Elle me demande d'où je débarque avec mon sac à dos. Elle n'a jamais vu un hiker s'arrêter chez elle. Elle tient à m'offrir un soda - non merci je viens de déjeuner- et elle refuse que je paye l'entrée. Franchement les gens de Butte sont vraiment sympas !
J'effectue la visite et j'avoue que le site est impressionnant. Il fait froid dans le dos et le plus étonnant est d'entendre les hauts parleurs de la mine et les explosions de dynamite.


Dans le lac, ou plutôt la mer, qui s'étale sous mes yeux, il y a tous les résidus que l'on trouve dans les mines environnantes : cuivre, cobalt, fer, cadmium, manganèse et zinc. Pour réhausser la recette, il y a aussi de l'arsenic. Tout cela fait un beau mélange acide qui s'accumule depuis des années. Qu'est ce que va devenir tout cela si les mines ferment ? Et vu l'état de la ville, cela risque d'arriver plus vite qu'on ne pense.

Un sourire à la caissière et je repars pour le centre historique de Butte. Dans ce quartier, le temps s'est arrêté dans les années 1900. Le design des immeubles est typique. Toutes les traces ont été conservées et je me régale d'y faire des photos même si le soleil est absent.




Il y a beaucoup de bâtiments qui sont d'anciens hôtels qui devaient loger les mineurs.

Dédicace Spéciale pour Gilbert


Le centre ville historique est au bout de la ville et en hauteur sur une butte. Je suppose que c'est  de là qu'elle tire son nom  français.


Il y d'ailleurs maintenant plusieurs buttes englobées dans la ville. En l'espace de quelques rues, je me retrouve dans la campagne sur une route secondaire. Il y a peu de circulation ce qui me va très bien.

Je croise même la maison d'un artiste qui a réalisé des statues d'animaux en fer très réussi.s C'est très étonnant de trouver de l'art dans la campagne de Butte.


La route suit une rivière qui descend dans la vallée. Les voitures qui me croisent roulent doucement et les conducteurs me saluent. Ils ont l'air étonné de me voir. Un curieux s'arrête et le demande où je vais. Lui non plus n'a jamais vu un hiker dans le coin et me demande si je sais vraiment où je me dirige. Plus tard, je passe devant une maison et j'ai droit au même type de questions. Je crois qu'entre la voie ferrée et ce passage à pied, je fais un parcours "confidentiel". En tout cas, en tant qu'explorateur de zones vierges du CDT, je suis super bien acceuilli par les locaux. J'ai toujours droit à des "bon voyage" chaleureux et sincères.

Je continue mon petit bonhomme de chemin mais l'heure tourne. Le problème c'est que je suis prisonnier des barbelés et que je ne sais pas quand cela va s'arrêter.
Malgré mon départ tardif et la visite de Butte, j'ai couvert 25 km
A 18h alors que je passe devant une zone propice au campement, je décide de sauter le barbelé pour m'installer. .

J'espère qu'il n'y aura pas d'anicroche avec les locaux...



jeudi 23 août 2018

23 Août - Zéro À Butte

J'ai peu dormi. Toujours le double effet: je me couche tard parce que je n'ai pas à me lever tôt mais continue de me réveiller à 5h.

Les Qualityinn sont les seuls hôtels bas de gamme à offrir un vrai petit déjeuner. J'en profite allègrement même si j'ai moins faim que d'habitude. Ça m'inquiète un peu car j'ai continué de perdre du poids. J'arrive à la limite sur la ceinture ventrale de mon sac à dos. Si en plus mon estomac se resserre... Je me rattraperai en France en rentrant. Le tout est que je tienne jusqu'au bout.

J'appelle le fabriquant de mes bâtons car il était trop tard hier. Strictement aucun problème pour le faire livrer de nouveaux embouts, on me demande juste de payer les frais d'envoi puisque je ne les prends pas dans un magasin. 10$ pour repartir à neuf et me faire livrer au bureau de poste d'Helena. Je suis ravi que ça soit aussi facile.

Avant d'aller faire les courses, je voudrais m'occuper de mon MP3. Il buggue et je voudrais le mettre à jour. Je vais donc le rendre à la bibliothèque. Je suis devenu fan des ordinateurs en libre service et d'une connexion Internet digne de ce nom. La réceptionniste de l'hôtel m'indique une bibliothèque juste à côté. Elle est dans un immense mall comment on en trouve maintenant en France. Celui là est assez particulier car le parking est vide. Il n'y a quasiment aucune marque qui s'affiche à l'extérieur sauf celle d'un magasin qui est en liquidation. Je pénètre dans le mall qui fait peur à voir. 2 magasins sur 3 sont vides et ceux qui sont ouverts sont déserts. Butte est une ville sinistrée. Tout est basé sur l'activité minière qui visiblement périclite. Elle entraîne avec elle toutes les activités commerciales et impacte les habitants eux mêmes qui n'ont plus de revenus. Ce Mall est tout simplement emblématique de la situation économique de la ville.

La succursale de la bibliothèque est toute petite mais il y a 5 ordinateurs à disposition. Je ne peux pas mettre à jour mon MP3 car il faut que j'installe un logiciel et que évidemment je n'ai pas les droits. J'en profite alors pour récupérer des podcasts car je commence à avoir fait plusieurs le tour de ma musique. Je télécharge plein d'émissions depuis France Culture et France Inter. Je m'aperçois que cela fait 4 mois que je n'ai pas vraiment touché un clavier. Comme il y a des problèmes pour récupérer les fichiers, il faut que je me batte avec la machine  pour lui faire entendre raison. Ceci me projette sans filtre sur ma vie "d'avant" et tout remonte comme un flash. J'ai l'impression que ces 4 mois ne sont plus rien qu'une vieille histoire passée... Sensation très bizarre créée par le fait de m'être concentré pour battre la machine. Chassez le naturel, il revient au galop. On efface pas 30 années de passion en 4 mois.

Je sors un peu sonné et j'ai passé 3h devant l'écran sans m'en rendre compte, happé par la machine. Je mange un Grec sans appétit dans ce centre commercial dévasté. J'expédie le "repas" et rentre à l'hôtel. Je dois faire l'état de mes provisions avant de ravitailler.

Il y a un magasin spécialisé en nourriture juste à côté de l'hôtel. Cette corvée est rapidement menée.

Tout le reste de la journée et une bonne partie de la nuit sont consacrés à mettre à jour le blog. Je termine à 1h du matin et je n'ai plus le courage de reconditionner mes achats de nourriture et de faire mon sac. Je dois aussi acheter de la nourriture via Internet pour la faire livrer chez Xavier à Los Angeles. Il me l'amènera lorsqu'il me rejoindra mi septembre à Benchmark Ranch où il n'y a pas de ravitaillement ni de poste.

Je sens que je ne partirai pas de bonne heure demain matin.

mercredi 22 août 2018

22 Août - Butte

Je me réveille sans surprise avec toutes mes affaires trempées. La zone où je me suis installé est très humide. C'est d'ailleurs un tapis de mousse qui compose le sol où j'ai planté ma tente. Comme je sais que ce soir je dormirai dans un hôtel, je ne m'en inquiète pas. Je vais encore étendre toutes mes affaires dans ma  chambre à la mode Napolitaine. J'ai l'habitude.

J'ai dormi juste à côté de la voie ferrée et je suis rapidement à pied d'œuvre. Les nuages semblent enfin être partis vers d'autres cieux mais le soleil n'arrive toujours pas à percer.

La fumée de l'incendie continue de produire un écran opaque.

Nous vivons dans une demi obscurité depuis plusieurs jours. Le vent a pourtant soufflé fort et aurait dû évacuer cette fumée. Cela veut dire que l'incendie fait toujours rage et qu'il reste d'une ampleur démesurée. Je ne sais pas quand je vais m'en éloigner suffisamment pour revoir le soleil.
Un rayon de soleil ! J'en profite.

J'arrive rapidement devant un tunnel. Celui-ci n'est pas fermé et je peux le traverser.

Je suis très impressionné par cette réalisation. Dans les années 1900, les tunnels étaient faits à la main avec des pioches, des pelles et de la dynamite. Les ouvriers étaient embauchés à la journée et payés "au rocher", c'est à dire à la quantité de roches extraites. Je suis excessivement admiratif du travail accompli dans ces conditions surtout quand on voit le longueur de cette réalisation.

Je pénètre avec respect dans l'ouvrage. Mes pas résonnent comme dans une église car il y règne le même silence . Je vois dans la pénombre les fantômes de ces centaines d'ouvriers se tuer à la tâche. Je suis ému. Je trouve que c'est un beau gâchis que cette voie soit désaffectée.

Je continue ma route vers Butte. Malheureusement pour moi, la parc prend fin et d'une manière assez brutale. Une barrière coupe la voie avec des pancartes de propriété privée, doublées d'un "Keep Out" (Défense de pénétrer) tagué à la peinture rouge. On ne peut être plus explicite.

Ça doit être mon côté Français mais ça m'excite un peu de jouer avec les interdictions surtout quand il s'agit d'emprunter un passage qui devrait rester public. Il est encore très tôt et les chances de croiser le propriétaire restent très faibles. La seule chose qui m'angoisse est le fait que tout le monde soit armé jusqu'aux dents. Je commets quand même une infraction et je viole une propriété privée. On verra bien.

Je passe la barrière et continue de suivre la voie. Le plus étonnant est que le propriétaire a mis une autre barrière tout autour de sa propriété mais a laissé la voie ferrée accessible.

Je passe devant une maison dont le chemin d'accès est la voie ferrée elle même. Elle a été aménagée et une couche de gravier blanc la recouvre. Je suis bien dans une propriété privée. Et d'après le GPS, j'en ai pour 3 km avant d'en sortir. Les risques de confrontation augmentent et j'accélère le pas. Je passe devant plusieurs autres propriétés, toutes desservies par la "voie route". Enfin je passe un portail ouvert avec un énorme panneau "propriété privée". Je pense qu'il est préférable de n'avoir croisé personne.

La voie se termine directement dans une propriété mais une route goudronnée arrive à gauche. Elle mène à Butte. Du moins à la Highway 2, que j'ai déjà empruntée pour passer le tunnel fermé, autoroute qui mène à Butte.

Je suis sur les hauteurs et je vois la ville dans son voile de fumée.

Elle est très étendue, ce qui ne n'arrange pas outre mesure en étant à pied.
Une ferme sur les hauteurs.
Et une grange dans la plaine.

J'avale les derniers km pour arriver à la limite de la ville où je peux accéder au réseau de bus. J'ai un peu de mal à trouver l'arrêt ce qui est normal parce qu'il n'y en a pas. Heureusement le bus arrive alors que je me perds en conjectures. Je monte à bord pour traverser la partie Sud. Rien d'extraordinaire dans cette ville. Une succession de centres commerciaux et en fond une mine à ciel ouvert. Je suppose que l'activité minière continue de faire vivre cette communauté.

Je descends à côté de ce que je crois être le centre ville pour aller à l'hôtel.
Douche, lavage... Bref les corvées habituelles. Sur le chemin de la laverie automatique, je tombe sur Cheapy l'Australiene. Elle me confirme qu'ils ont mangé de l'autoroute pendant 2 jours. Ils sont fous ces australiens ! Nous échangeons nos numéros car ils ont loué un Airbnb à Helena, notre prochaine étape où ils vont faire un zéro. Il y a une chambre de libre si je veux en profiter. Pourquoi pas. En tout cas, c'est sympa de me le proposer.

Je me rends au magasin de sport pour m'occuper de mes problèmes de matériel et en priorité de mes chaussures. J'ai regardé l'état de mes semelles et mes crampons sont complètement usés par les kilomètres. Je comprends mieux pourquoi je n'arrivais plus à descendre sans glisser en permanence.

Je suis déçu par le magasin. Il est grand mais il couvre trop d'activités comme la vente d'armes. Tirer à l'arme de guerre est donc considéré comme un sport aux Etats Unis. Il n'y a qu'une paire de chaussures de trail de piètre qualité. Pas le choix, je ne peux pas continuer avec ma paire actuelle au risque de me blesser. J'apprends que Helena est une ville beaucoup plus importante et mieux achalandée. Ce sont les australiens qui ont raison.

Puisque j'y suis je fais jouer la garantie à vie sur ma 2eme paire de chaussettes Darn Tough et mon Camelbak qui fuit. Aucun problème, on me fait l'échange standard sans même me demander quel est le problème. Je suis estomaqué. Je pousse le bouchon et montre les bâtons dont l'embout a souffert du kilométrage. On appelle le fabriquant qui s'engage à me faire livrer des embouts neufs à l'adresse de mon choix sous 3 jours. Wow. Ca c'est du service ! Il y a la même garantie à vie en France mais je ne tenterai même pas de la faire jouer. Je sais que je vais m'énerver avec le vendeur désagréable qui va me chercher des poux dans la tête.

Il me reste encore les courses de nourriture à faire mais j'ai pris un zéro pensant que Butte était l'endroit idéal pour régler tous mes problèmes. Tant pis on fera avec...

mardi 21 août 2018

21 Août - Le Petit Train

Je n'ai qu'une envie ce matin : partir le plus vite possible du site "Lost Tomahawk" où j'ai été obligé de dormir. Il faudra féliciter le responsable pour la tenue de cet endroit paradisiaque :-(
Lost Tomahawk au petit matin. Fuyons !

Il ne pleut plus mais le ciel est toujours aussi noir. Le vent n'a absolument pas faibli et il a soufflé toute la nuit. Je l'ai entendu mais pas senti grâce à la protection des arbres. Au moins sur ce point là, je ne me suis pas planté...

Le programme de la matinée n'est pas joyeux. Je dois prendre une autoroute en ligne droite pendant 10 km, ensuite bifurquer sur une Route Forestière (FR) pendant 8 km pour rejoindre une voie ferrée abandonnée. Avec ce que j'ai vécu sur la deuxième moitié de ma journée d'hier, je m'attends au pire.

Déjà, je ne me ferai pas avoir par le froid. Je m'habille en conséquence. Ensuite, je me prépare mentalement à la route. Il s'agit de souffrir pendant 2h30. Pas plus, pas moins. Pour le reste on verra bien.

Je quitte sans regret le site immonde du Lost Tomahawk et je prends la route. Au bout de 100 m l'autoroute est là qui m'attend.
Ça part de là...
Heureusement les nuages sont du plus bel effet.

Le trafic a cette heure est faible mais les véhicules, voitures et camions, roulent à un train d'enfer. Et comme d'habitude, aucun bas côté. Raisonnablement, je ne devrais pas avoir mon MP3 pour entendre les véhicules venir. Mais c'est trop demander. Je me mets à gauche et me jetterai dans le fossé quand un véhicule arrivera. Mais je garde ma musique. Tant pis pour les véhicules qui arrivent dans mon dos. Ma seule angoisse est si un véhicule double un autre véhicule sans me voir. Je n'ai pas des yeux derrière la tête...

La distance en ligne droite et le goudron ne me gènent pas vraiment. Le vrai problème c'est le danger d'être renversé par un véhicule. Il n'y a pas de piéton sur les routes des USA. Les gens n'en voient jamais et certains ne savent pas quoi faire. D'ailleurs certains ne font rien et agissent comme si vous n'étiez pas là en vous frôlant sans peur de vous accrocher.

Il faut donc être concentré en permanence et prêt à se jeter pour sauver sa vie. Je redoute surtout les camions parce qu'ils sont énormes et que le déplacement d'air qu'ils produisent est redoutable.

Tout se passe comme d'habitude. Certains véhicules changent de voie pour m'éviter, d'autres pas. Ça me tient éveillé et j'enchaîne les côtes les unes après les autres.

Parfois on voit des choses étranges. Un propriétaire s'est amusé à mettre une vieille godasse pour chapeauter chacun des poteaux qui soutiennent ses fils barbelés. Un autre a décoré l'entrée de son champ en utilisant des ossements d'animaux. Un 3ème a créé une fausse entrée de ranch.
Sur la boîte aux lettres située à 5 m du sol  est écrit "heaven" (paradis). Bonne chance au facteur pour le courrier...

Je finis par manger mon pain noir et les 10 km d'autoroute qui viennent avec. Je bifurque sur une FR. Elle est elle aussi bien droite mais devrait être bien moins fréquentée que l'autoroute malgré les nombreuses habitations qui la bordent.

Les premières maisons ont devant leur maison des prés où broutent des chevaux.
Lorsque je passe, les chevaux galopent du fond du pré et viennent me voir. Ils tournent en rond devant moi. Une pouliche et ses 2 poulains tiennent absolument à ce que je les caresse et me poursuivent jusqu'à ce que les barrières les bloquent. Je n'ai pas osé les toucher de peur que les propriétaires réagissent mal. Mais ce petit jeu gracieux m'a enchanté et m'a redonné le sourire.

Malheureusement les chevaux ne sont pas les seuls animaux installés près des habitations. Chaque maison a son chien qui ne manque pas d'aboyer à mon passage. Bientôt la vallée n'est plus qu'une clameur de chiens qui s'excitent les uns les autres. Je ne comprends pas que les maîtres supportent un tel vacarme. Peut être dont ils tous au travail car personne n'intervient. En tout cas, c'est désagréable au possible et ces aboiements horripilants m'accompagneront longtemps après que j'ai quitté la vallée. Car la FR monte et je retrouve bientôt des zones sauvages.

Néanmoins, je n'ai pas croisé un seul point d'eau ce matin et le paysage ressemble étrangement à celui du désert du Grand Bassin avec ses broussailles grises à ras du sol. Il ne faudrait pas que les points d'eau y soient aussi rares...

J'arrive au sommet de la montée et j'aperçois la voie ferrée que je vais emprunter.
La voie ferrée est matérialisée par la ligne marron au milieu de la colline.

Le problème de l'eau est entier et j'en ai plein les bottes de cette matinée. Je m'arrête pour déjeuner. Je regarde mes cartes et je vois une rivière, la "Fish Creek", accessible par un détour de 3 km. Je sais exactement ce qui va se passer. Si je ne fais pas ce détour, je ne verrai pas d'eau de la journée, et si j'y vais, je vais croiser plusieurs points d'eau. Je préfère voir trop d'eau que pas assez mais je suis frustré de rajouter des km.

Comme je suis sur un point haut et qu'il y a des fermes partout, je décide d'enlever le mode avion de mon portable. J'ai du réseau ! Je tombe sur le commentaire laissé par Patrick. J'avoue qu'à sa lecture, le sourire me revient immédiatement ainsi qu'une pêche d'enfer. Je remballe mes affaires bien décidé à aller chercher de l'eau. Rajouter des km n'est plus un problème.

Quand j'arrive au dernier km du détour, il y a un portail ouvert mais avec les pancartes qui interdisent l'accès. Il s'agit d'une propriété privée... Je me dis que je jouerai l'imbécile de touriste perdu si ça tourne mal et je tente ma chance. Au niveau de la rivière, il y a une maison qui a mis une barrière qui englobe l'accès à l'eau. Je longe la barrière et tombe sur un portail avec une habitation derrière. Mais juste entre les 2 propriétés, les vaches - encore elles - ont créé un chemin jusqu'à la rivière. Je prélève 3 litres et remonte rapidement en dehors de la propriété. Je n'ai croisé personne et c'est mieux ainsi. En fait, je n'ai pas fini de violer des propriétés privées...

Juste avant de me transformer en infâme pourfendeur de bien privé, j'ai croisé la fameuse voie ferrée que je dois emprunter jusqu'à Butte, du moins ce qu'il en reste.

Car absolument tous les matériaux, rails, clous, traverses ont été retirés. Il ne reste plus que le tracé de la voie. Je trouve ça très bien  pour l'environnement. Une voie ferrée est idéale pour un marcheur car le niveau reste constant. On marche sur une espèce de digue. Les vallées sont comblées, les montagnes creusées pour éviter au train de souffrir de nombreuses déclinaisons.
Une vallée ? Quelle vallée ?
Le sommet de la colline a été raboté.

Lorsqu'en plus la voie ressemble à un chemin de randonnée, le hiker est aux anges. J'ai déjà marché sur des voies abandonnées mais toujours équipées et sauter de traverse en traverse devient rapidement lassant. Ici il n'y a que les avantages sans les inconvénients. Le ballast utilisé est un lit de petits galets bien agréable aux pieds. Il n'y a même pas de problème de boue à envisager :-)

Personnellement, j'aime bien jouer au petit train. D'abord, il n'y a pas d'autres véhicules comme des voitures (ça va suffire pour aujourd'hui) et la vue est imprenable.
La vue du train.

Ensuite, je ne peux pas m'empêcher d'admirer la prouesse technique et les infrastructures réalisées. En 1909, tout était fait à la main et je ne peux m'empêcher de penser à ces milliers d'êtres humains qui ont transpiré sang et eau pour bâtir cet ouvrage.

La voie que je dois emprunter n'est pas n'importe laquelle. Il s'agit de la "Milwaukee Road", une voie ferrée qui traversait l'intégralité du pays d'Est en Ouest. Ella a été bâtie en 1909 et a été une des premières lignes a être électrifié en 1914. Elle a vu des tonnes de freight passer sur ces rails avant que la société qui l'exploitait ne fasse faillite dans les années 80. Depuis tout a été démantelé.
Il y avait aussi des passagers. D'où des publicités peintes à même les rochers.

Logiquement la terre appartient toujours à l'Etat et circuler dessus ne devrait pas être un problème. Mais depuis 40 ans les riverains ont fait bouger les lignes, surtout quand ça les arrange de récupérer de la terre. Je vois mal l'état se battre pour récupérer son bien dont il ne serait que faire.
Tout cela pour dire que rapidement je me retrouve face à des barbelés qui me bloquent l'accès. Au début il s'agit de portails que j'ouvre et referme derrière moi. Mais bientôt ce sont des barricades fixes que j'enjambe comme je l'ai fait des 10aines de fois au Nouveau Mexique. Le tout étant de ne pas tomber sur le propriétaire.

Là où les choses se corsent c'est lorsque le pont qui reliait les 2 rives d'une rivière encaissée a disparu.
On distingue la base des piles du pont sur le sol.

Je n'ai pas le choix que de descendre, passer la rivière (tiens de l'eau... N'aurais je point fait un détour pour rien ?), et remonter de l'autre côté. Tout cela sur une propriété privée protégée par des barbelés.

Je parcours ainsi 15 km de voie sans incident avec les propriétaires. J'arrive au niveau d'un tunnel mais celui ci est fermé par une grille en fer. Heureusement la Highway 2 est juste à côté. Je l'emprunte pour passer sur le haut de la montagne alors que le tunnel est sous mes pieds.

C'est aussi à cet endroit que je recroise le CDT officiel. A ce stade j'ai le choix de reprendre le CDT et de faire 14 km pour ensuite faire du stop pour aller à Butte. Je peux aussi continuer sur l'ancienne voie ferrée et arriver directement à Butte après 19 km. J'avoue que jouer au chat et à la souris avec les propriétaires ajoute un peu de piment au trajet. Puis je veux continuer à jouer au train. Je suis un grand enfant.

Lorsque j'atteins l'autre côté du tunnel, celui ci se trouve dans le parc Thomson. Mes problèmes d'accès à la voie sont résolus puisque celle-ci a été aménagé pour la promenade. Un pont a été conservé et aménagé pour le passage des piétons et des vélos.

Il fait très années 1900 avec son style Eiffel.

Une fois ce pont traversé, je décide de chercher un endroit pour dormir. Il est 18h et j'ai parcouru 35 km. Je suis suffisamment éloigné de la Highway 2 pour ne pas souffrir du bruit des voitures.

J'installe la tente tout près du Trail sans trop savoir si j'ai le droit de camper. De toute façon je serai parti avant que le premier fonctionnaire n'attaque son service.


25 août - Sospel > Menton

Il est 6h, l'heure des braves et de l'apparition du soleil. Je suis tellement proche d'eux que je réveille les squatteurs du jar...