Je me lève ce matin avec un moral d'acier. Les montagnes qui me font face sont à moi. Je le sais depuis hier que je les observe.
Rien ne m'empêchera de les gravir, les unes à la suite des autres. Je sais c'est un brin prétentieux mais vraiment je sens bien ce challenge. J'ai même rêvé de ma grand mère qui a fait de l'alpinisme à Chamonix. Je sais qu'elle est avec moi aujourd'hui et rien ne pourra m'arriver.
1ére étape : Argentine Pass. Le sentier est à flanc de falaise. Il est visible depuis la vallée où il fait une saignée sur la montagne. Il fait froid ce matin mais le soleil n'est pas assez haut pour me réchauffer. La côte le fera sans problème.
Je m'attaque à la montée et comme je ne vais que faire ça toute la journée, j'écoute mon corps. Je ne veux pas que cette saleté de barre en haut des poumons pointe son nez. Il y a trop d'ascensions à faire.
À mi chemin, il y a un névé. Je n'y prête pas plus attention que ça - un de plus- jusqu'à ce que je pose le pied dessus. C'est de la glace à l'état pur. J'ai beau taper avec mes chaussures, rien ne bouge. Je traverse un peu crispé en visant les très vieilles traces pour ne pas glisser. J'espère qu'il n'y aura pas beaucoup de névés de ce type sinon ça va être très compliqué. Il manquerait plus que je regrette mes crampons. Un comble alors que je les ai traînés des jours durant pour rien.
La côte ne présente aucune difficulté supplémentaire et j'arrive à Argentine Pass. Le GPS marque 4025 m d'altitude pour 600 m de dénivelé. Voilà un bon début.
1er sommet : Edward Peak. Il a pas l'air bien méchant avec sa face herbeuse.
Il n'y a pas de sentier mais des cairns que je suis méticuleusement. Autant ne pas chercher la bagarre. J'arrive au sommet et je suis stoché sur place. L'autre côté du mont Edward est une falaise qui tombe à pic comme toute la chaîne à laquelle est rattaché ce mont. Le GPS marque 4218 et 784 m de dénivelé cumulé. Le physique est toujours au top, prêt à enchaîner la suite.
2eme sommet : Grays Peak. Là il y a comme un problème. Effectivement on peut aller de Edward à Gray mais il n'y a ni sentier ni cairn. La seule solution est de marcher sur la ligne de crête qui relie les 2 monts.
Sur la gauche, il n'y a pas de question à se poser. C'est une falaise donc non praticable à moins de savoir voler comme le corbeau qui ne cesse de croasser au dessus de ma tête.
À droite ce n'est pas bien mieux et le faux pas sera tout aussi fatal qu'à gauche. En résumé, l'objectif est de marcher sur une zone plus ou moins large pendant plusieurs km. Pour ne rien gâcher, ça monte et ça descend. Je n'en mène pas large. Mais ce tracé est connu et à déjà été pratiqué par d'autres. Pas de raison de faire demi-tour. Je me lance dans la traversée et j'ai le cœur qui bat à tout rompre. Je ne regarde que mes pieds et j'assure chacun de mes pas. Je sais que tant que j'ai peur, je reste concentré et je ne ferai pas d'erreur. La seule question que je dois régler c'est où passer exactement car il faut contourner les pics rocheux. J'ai de la chance, le ciel est parfaitement bleu et le vent tout léger. Les conditions sont avec moi.
Je prends mon temps mais j'avance. Je finis même par voir les gens qui passent sur le sentier depuis la vallée opposée à la mienne. Quand ils me voient, ils s'arrêtent, me font de grands signes et prennent des photos. Comme ils voient la falaise et moi en train de faire le clown sur le dessus, ça doit être du plus bel effet.
Je tombe sur ma première chèvre des montagnes. Elle est couchée sur un névé et elle suce la neige. Je profite de sa concentration pour faire des photos.
La crête avant le sommet est couverte de névés. Là ça ne peut pas passer ! Mais un sentier contourne le 1er névé, se décale de la crête et monte en zigzaguant jusqu'au sommet. Je suis le seul sur ce sentier. J'arrive donc au sens opposé de toutes les autres personnes. C'est rigolo de voir leurs têtes qui se demandent d'où est ce que je peux bien sortir. La vue est bien sûr fantastique comme à chaque sommet. Et on ne s'habitue pas. Le GPS marque 4251 m d'altitude et 1050 m en cumulé. Je suis toujours en pleine forme et prêt à en découdre.
Il est midi et je décide de manger avant de faire le dernier sommet. Je descends au col qui sépare les deux 4000 et je m'installe derrière un mur établi avec des pierres sèches par un quelconque fou furieux qui a passé une nuit là.
3ème sommet : Torreys Peak. Je vois parfaitement le sentier depuis le col.
C'est tout bêtement un mur. C'est très raide. Il suffit de mettre un pied devant l'autre. Ce n'est pas compliqué. Une chèvre et son chevreau m'accompagnent dans la montée, pas du tout effrayés de ma présence.
J'arrive facilement au sommet même si c'est mon 3eme. Mise à part la séance d'adrénaline sur la crête, les sommets sont proches et il n'est pas nécessaire de descendre beaucoup pour passer de l'un à l'autre.
Le GPS affiche 4339m d'altitude et 1144 m de dénivelé cumulé.
À priori je pense avoir fini ma journée mais je suis très loin de la vérité. Mon plan est de descendre la face opposée par laquelle je suis monté. Il s'agit de suivre la crête Kelso. Elle est connue et pratiquée, ce qui me rassure. D'ailleurs un gars est au sommet qui vient de la faire à la montée. Il m'explique que la zone proche du sommet - le final pour lui - est difficile, qu'il y a quelques passages qui font peur mais que ca se fait sans problème. Il attend ses 2 potes qui sont en train de finir.
Je peux faire exactement le même commentaire sur la crête entre Edward et Grays. Je suis donc en confiance et commence à descendre sur la crête. Je croise rapidement les 2 potes en question. L'un d'entre eux est en train de vomir son petit déjeuner. Il est complètement déshydraté et je lui donne l'eau de ma réserve. Je continue ma descente. Ce qui est dangereux c'est que la pente est très raide et que les cailloux roulent surtout après le passage des 3 gars qui sont montés. Il faut chercher des prises car lâ encore la moindre glissade sera mortelle. J'arrive sur le 1er pic rocheux et ne vois pas de contournement. Normal, il n'y en a pas. Il faut rester sur la crête et faire de la varape pour redescendre. Wow on est sur une autre histoire ! Faire de l'escalade avec un sac à dos de 20 kg est autre chose que de monter avec un petit sac à la journée comme l'ont fait mes amis. Je me dis qu'il s'agit de la fameuse difficulté "finale" et que derrière, tout va bien se passer. Je me mets le doigt dans l'œil jusqu'au coude. La suite est du même acabit. J'enchaîne les pics rocheux les uns à la suite des autres. Je dois jeter mes bâtons devant moi au risque de les perdre au bas de la falaise. De cette manière, je peux assurer des prises avec mes mains. Mon sac est heureusement un sac d'alpinisme et ne me gène pas dans mes mouvements ni pour passer entre les rochers. C'est seulement quand je veux glisser d'une marche sur une autre qu'il me pousse en avant. C'est du délire cette descente ! Et avec ce que j'ai franchi, je ne peux pas faire demi tour. Il n'y a pas d'échappatoire non plus. De chaque côté de la crête, les pentes sont trop escarpées pour les descendre. Je suis piégé sur la crête. J'en veux au gars de ne pas m'avoir mis en garde surtout qu'il avait bien vu le sac à dos que je traîne.
Il me faudra 3 heures pour descendre la montagne que j'ai mis 30 minutes à monter par le sentier. Je manque 10 fois de me tuer. Je cherche les meilleurs passages mais il y a des traces dans tous les sens : l'eau de fonte, les chèvres, les randonneurs... Une seule est valable et toutes les autres sont potentiellement mortelles. Cette descente me tape sur les nerfs. Je veux que le cauchemar s'arrête. Chaque fois que je passe un piton, il y en a un autre derrière. C'est à devenir fou cette roulette russe façon montagne.
Pour couronner le tout, je vois de gros nuages noirs s'accumuler devant moi. Il manquerait plus que je prenne un orage alors que je bataille dans ce cirque !
Il doit y avoir un Dieu pour les imbéciles, ou plutôt ma grand mère a bien veillé sur moi car je finis par passer le dernier obstacle. Je suis totalement vidé. J'entends le tonnerre gronder. Il est 17h et la journée est finie pour moi. Il faut vite que je dresse la tente avant l'orage. De toute façon je ne serai pas aller bien loin dans l'état de fatigue dans lequel je suis.
Je trouve un endroit au bord de la rivière au milieu d'autres campeurs avec leur voiture. Je n'ai pas le temps de faire la fine bouche.
Si je fais le bilan, je suis toujours vivant, je ne suis pas blessé et j'ai enchaîné trois 4000 dans la même journée. Un deuxième record battu ! Je suis sûr que Mathieu aurait adoré cette journée. Je pense à lui - et à ma grand mère bien sûr.
Rien ne m'empêchera de les gravir, les unes à la suite des autres. Je sais c'est un brin prétentieux mais vraiment je sens bien ce challenge. J'ai même rêvé de ma grand mère qui a fait de l'alpinisme à Chamonix. Je sais qu'elle est avec moi aujourd'hui et rien ne pourra m'arriver.
1ére étape : Argentine Pass. Le sentier est à flanc de falaise. Il est visible depuis la vallée où il fait une saignée sur la montagne. Il fait froid ce matin mais le soleil n'est pas assez haut pour me réchauffer. La côte le fera sans problème.
Je m'attaque à la montée et comme je ne vais que faire ça toute la journée, j'écoute mon corps. Je ne veux pas que cette saleté de barre en haut des poumons pointe son nez. Il y a trop d'ascensions à faire.
À mi chemin, il y a un névé. Je n'y prête pas plus attention que ça - un de plus- jusqu'à ce que je pose le pied dessus. C'est de la glace à l'état pur. J'ai beau taper avec mes chaussures, rien ne bouge. Je traverse un peu crispé en visant les très vieilles traces pour ne pas glisser. J'espère qu'il n'y aura pas beaucoup de névés de ce type sinon ça va être très compliqué. Il manquerait plus que je regrette mes crampons. Un comble alors que je les ai traînés des jours durant pour rien.
La côte ne présente aucune difficulté supplémentaire et j'arrive à Argentine Pass. Le GPS marque 4025 m d'altitude pour 600 m de dénivelé. Voilà un bon début.
1er sommet : Edward Peak. Il a pas l'air bien méchant avec sa face herbeuse.
Il n'y a pas de sentier mais des cairns que je suis méticuleusement. Autant ne pas chercher la bagarre. J'arrive au sommet et je suis stoché sur place. L'autre côté du mont Edward est une falaise qui tombe à pic comme toute la chaîne à laquelle est rattaché ce mont. Le GPS marque 4218 et 784 m de dénivelé cumulé. Le physique est toujours au top, prêt à enchaîner la suite.
2eme sommet : Grays Peak. Là il y a comme un problème. Effectivement on peut aller de Edward à Gray mais il n'y a ni sentier ni cairn. La seule solution est de marcher sur la ligne de crête qui relie les 2 monts.
Sur la gauche, il n'y a pas de question à se poser. C'est une falaise donc non praticable à moins de savoir voler comme le corbeau qui ne cesse de croasser au dessus de ma tête.
À droite ce n'est pas bien mieux et le faux pas sera tout aussi fatal qu'à gauche. En résumé, l'objectif est de marcher sur une zone plus ou moins large pendant plusieurs km. Pour ne rien gâcher, ça monte et ça descend. Je n'en mène pas large. Mais ce tracé est connu et à déjà été pratiqué par d'autres. Pas de raison de faire demi-tour. Je me lance dans la traversée et j'ai le cœur qui bat à tout rompre. Je ne regarde que mes pieds et j'assure chacun de mes pas. Je sais que tant que j'ai peur, je reste concentré et je ne ferai pas d'erreur. La seule question que je dois régler c'est où passer exactement car il faut contourner les pics rocheux. J'ai de la chance, le ciel est parfaitement bleu et le vent tout léger. Les conditions sont avec moi.
Je prends mon temps mais j'avance. Je finis même par voir les gens qui passent sur le sentier depuis la vallée opposée à la mienne. Quand ils me voient, ils s'arrêtent, me font de grands signes et prennent des photos. Comme ils voient la falaise et moi en train de faire le clown sur le dessus, ça doit être du plus bel effet.
Je tombe sur ma première chèvre des montagnes. Elle est couchée sur un névé et elle suce la neige. Je profite de sa concentration pour faire des photos.
La crête avant le sommet est couverte de névés. Là ça ne peut pas passer ! Mais un sentier contourne le 1er névé, se décale de la crête et monte en zigzaguant jusqu'au sommet. Je suis le seul sur ce sentier. J'arrive donc au sens opposé de toutes les autres personnes. C'est rigolo de voir leurs têtes qui se demandent d'où est ce que je peux bien sortir. La vue est bien sûr fantastique comme à chaque sommet. Et on ne s'habitue pas. Le GPS marque 4251 m d'altitude et 1050 m en cumulé. Je suis toujours en pleine forme et prêt à en découdre.
Il est midi et je décide de manger avant de faire le dernier sommet. Je descends au col qui sépare les deux 4000 et je m'installe derrière un mur établi avec des pierres sèches par un quelconque fou furieux qui a passé une nuit là.
3ème sommet : Torreys Peak. Je vois parfaitement le sentier depuis le col.
C'est tout bêtement un mur. C'est très raide. Il suffit de mettre un pied devant l'autre. Ce n'est pas compliqué. Une chèvre et son chevreau m'accompagnent dans la montée, pas du tout effrayés de ma présence.
J'arrive facilement au sommet même si c'est mon 3eme. Mise à part la séance d'adrénaline sur la crête, les sommets sont proches et il n'est pas nécessaire de descendre beaucoup pour passer de l'un à l'autre.
Le GPS affiche 4339m d'altitude et 1144 m de dénivelé cumulé.
2 marmottes au sommet du mont Torreys. Mais qu'est ce qu'elles font là ?
À priori je pense avoir fini ma journée mais je suis très loin de la vérité. Mon plan est de descendre la face opposée par laquelle je suis monté. Il s'agit de suivre la crête Kelso. Elle est connue et pratiquée, ce qui me rassure. D'ailleurs un gars est au sommet qui vient de la faire à la montée. Il m'explique que la zone proche du sommet - le final pour lui - est difficile, qu'il y a quelques passages qui font peur mais que ca se fait sans problème. Il attend ses 2 potes qui sont en train de finir.
Je peux faire exactement le même commentaire sur la crête entre Edward et Grays. Je suis donc en confiance et commence à descendre sur la crête. Je croise rapidement les 2 potes en question. L'un d'entre eux est en train de vomir son petit déjeuner. Il est complètement déshydraté et je lui donne l'eau de ma réserve. Je continue ma descente. Ce qui est dangereux c'est que la pente est très raide et que les cailloux roulent surtout après le passage des 3 gars qui sont montés. Il faut chercher des prises car lâ encore la moindre glissade sera mortelle. J'arrive sur le 1er pic rocheux et ne vois pas de contournement. Normal, il n'y en a pas. Il faut rester sur la crête et faire de la varape pour redescendre. Wow on est sur une autre histoire ! Faire de l'escalade avec un sac à dos de 20 kg est autre chose que de monter avec un petit sac à la journée comme l'ont fait mes amis. Je me dis qu'il s'agit de la fameuse difficulté "finale" et que derrière, tout va bien se passer. Je me mets le doigt dans l'œil jusqu'au coude. La suite est du même acabit. J'enchaîne les pics rocheux les uns à la suite des autres. Je dois jeter mes bâtons devant moi au risque de les perdre au bas de la falaise. De cette manière, je peux assurer des prises avec mes mains. Mon sac est heureusement un sac d'alpinisme et ne me gène pas dans mes mouvements ni pour passer entre les rochers. C'est seulement quand je veux glisser d'une marche sur une autre qu'il me pousse en avant. C'est du délire cette descente ! Et avec ce que j'ai franchi, je ne peux pas faire demi tour. Il n'y a pas d'échappatoire non plus. De chaque côté de la crête, les pentes sont trop escarpées pour les descendre. Je suis piégé sur la crête. J'en veux au gars de ne pas m'avoir mis en garde surtout qu'il avait bien vu le sac à dos que je traîne.
Il me faudra 3 heures pour descendre la montagne que j'ai mis 30 minutes à monter par le sentier. Je manque 10 fois de me tuer. Je cherche les meilleurs passages mais il y a des traces dans tous les sens : l'eau de fonte, les chèvres, les randonneurs... Une seule est valable et toutes les autres sont potentiellement mortelles. Cette descente me tape sur les nerfs. Je veux que le cauchemar s'arrête. Chaque fois que je passe un piton, il y en a un autre derrière. C'est à devenir fou cette roulette russe façon montagne.
Pour couronner le tout, je vois de gros nuages noirs s'accumuler devant moi. Il manquerait plus que je prenne un orage alors que je bataille dans ce cirque !
Il doit y avoir un Dieu pour les imbéciles, ou plutôt ma grand mère a bien veillé sur moi car je finis par passer le dernier obstacle. Je suis totalement vidé. J'entends le tonnerre gronder. Il est 17h et la journée est finie pour moi. Il faut vite que je dresse la tente avant l'orage. De toute façon je ne serai pas aller bien loin dans l'état de fatigue dans lequel je suis.
Je trouve un endroit au bord de la rivière au milieu d'autres campeurs avec leur voiture. Je n'ai pas le temps de faire la fine bouche.
Si je fais le bilan, je suis toujours vivant, je ne suis pas blessé et j'ai enchaîné trois 4000 dans la même journée. Un deuxième record battu ! Je suis sûr que Mathieu aurait adoré cette journée. Je pense à lui - et à ma grand mère bien sûr.
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