lundi 30 avril 2018

30 Avril - Doc's Campbell

L'objectif de la journée est de rallier Doc's Campbell qui est un relais de poste. Il doit exister depuis l'époque de la conquête de l'ouest sauf que les hikers ont remplacé les cowboys d'antan.

Théoriquement il y a 17 km à faire ce qui représente une demi journée de marche. Des vacances dans les vacances...

La rivière Gila reste une épreuve mais rapidement ses gorges étriquées s'élargissent. Le lit de la Gila s'étale et des petites plaines apparaissent de chaque côté de la rivière. La vie animale pullule. D'ailleurs il y a des traces de pas d'ours sur le sentier que je suis. Je suis en train de faire la photo de la comparaison de mon pied avec le sien quand j'entends un remue-ménage de tous les diables à côté de moi. Dieu merci ce n'est qu'une dinde sauvage (wild turkey pour les amateurs de bourbon). Elle est aussi grosse qu'une autruche et elle fracasse les branches dans son envol (parce que ça vole en plus ces espèces de monstre).
Mon petit pied à côté de la trace de l'ours. À priori ce n'est pas un ourson.

Le plus drôle c'est que les pas de l'ours vont exactement dans la même direction que moi et je me demande si nous allons bientôt nous rencontrer.
Je reconnais des traces de castors grâce à mon expérience québécoise - des petits arbres abattus par des  dents accérés - mais je ne trouve pas le barrage correspondant. Il a du être dévasté par une crue..

La flore n'est pas en reste et il y a des arbres au tronc énorme qui doivent avoir des siècles. Il y a même des platanes dont les branches sont aussi grosses que le tronc d'un congènère provençal.
J'ai posé mon baton de marche devant l'arbre pour mesurer la grosseur du monstre

D'arbre en oiseau, voici que le pont se dessine au dessus de moi. C'est la fin de la section de la Lower Gila et je dois remonter sur la route pour rejoindre le relais de poste.
Gila River Bridge

Sur le chemin, un panneau touristique m'explique que je suis en plein dans le territoire ancestral des Apaches. Des 10 noms de chefs Indiens qui sont cités, je ne reconnais que Geronimo. Mais je comprends mieux la sensation que j'avais hier. Je suis en plein western. D'ailleurs le cowboy que je suis arrive en vue du relais de poste de Doc's Campbell, un bâtiment sans âge, seul perdu au milieu de nulle part.
Doc's Campbell

Je pénètre dans le magasin qui vend absolument de tout comme dans un film de John Wayne. La mamie hors d'âge qui se tient au comptoir me fait un grand sourire et me demande si j'ai un paquet à mon nom. Je me demande comment elle a deviné que je suis un hiker. Elle disparaît dans l'arrière salle et revient rapidement avec ma commande Internet. En fait, le guide dit n'importe quoi car on peut largement ravitailler dans ce magasin. Il y même du carburant pour réchaud que je me coltine inutilement depuis 3 jours.
Je ne déroge pas à la tradition en achetant une glace maison qui sont doit disant à tomber par terre. Je la prends à la myrtille. J'arrête quand je veux avec les myrtilles.

Un client du magasin qui attend derrière moi m'interpelle : "Vous êtes Némo n'est ce pas ?". C'est un petit malin. Il a regardé le registre sur lequel les hikers s'enregistrent. Je suis le seul de la journée. Facile. D'ailleurs j'ai pu constaté que Jesse est passé hier ce qui veut dire qu'il a réalisé 47 km et l'ensemble de la Lower Gila dans la journée d'hier. Un malade ! Il a pas dû prendre trop de photos !

Je m'installe dehors et j'ouvre mon colis. J'ai franchement pété un câble quand j'ai acheté sur Internet. J'ai de quoi manger pour 10 jours alors que je n'ai qu'un trajet de 6 jours. J'ai tellement de nourriture qu'elle ne rentre pas dans mon sac. J'avais prévu de dormir ici et il n'est que 10h30. Je décide de mettre mon blog à jour et de repartir. La connexion wifi est tellement mauvaise qu'il me faut 3 heures pour charger les quelques photos qui illustrent 2 journées. J'ai le temps de sympathiser avec tous les clients du magasin qui s'arrêtent tous pour me parler. C'est très sympa mais je ne suis pas en train de gagner du temps.

Mon idée est de sauter cette étape et de retourner directement sur le Trail. Comme j'ai de l'eau à volonté avec la Gila, Je me lave et je fais la lessive tous les jours. La suite du programme est de faire la "Upper Gila" donc je n'ai pas besoin de la case douche plus lessive dans l'espèce de centre de retraite pour bobos où j'avais prévu d'aller.

Je veux aussi visiter le "Cliff Dwellings"qui est un village Apache construit dans des cavernes. C'est un détour de 6km du Trail mais je veux vraiment voir ça. Si je ne le fais pas maintenant, je ne le ferai jamais.

Je charge mon sac sur les épaules. Mon Dieu qu'il pèse ! Et je reprends la route direction les Dwellings. Je suis inquiet par rapport à l'heure car le site ferme à 16h. J'arrive juste 15 min avant la fermeture. La ranger à l'entrée accepte très gentillement  de garder mon sac pendant que je visite. Le site est magnifique. Il y une rivière qui coule et 2 falaises se font face. Une des falaises est creusée dans ses hauteurs de cavernes dans lesquelles les Apaches ont construit leur village.

La vue sur la vallée et la plaine qui la précède est imprenable. Impossible pour l'ennemi de s'approcher de ce nid d'aigle sans se faire repérer. Je suis le nez en l'air en train d'admirer le paysage quand un bruit de crécelle me fait faire un bon en arrière. Encore un serpent à sonnettes ! J'ai failli mettre le pied dessus. Le serpent me regarde d'un air outré et il a remué la queue pour me prévenir qu'il n'était pas un paillasson. Il continue alors sa route et grimpe la falaise après avoir traversé les escaliers prévus pour les humains. Vraiment plus je fréquente les serpents, plus je me dis qu'ils sont cools. Parce que celui-là aurait dû me mordre. Au lieu de cela, il m'a juste prévenu.
Je vais finir par croire que je les attire !

Je continue de grimper en regardant bien mes pieds en plus du paysage. Je croise deux personnes âgées et je les préviens pour le serpent. On engage alors la conversation. C'est fou comme les gens sont tous super adorables avec moi. Je pense que c'est le fait d'être seul qui change tout. Seul, on est plus ouvert aux autres. Le Monsieur me demande si la France et les États-Unis sont, comme il le pense, 2 pays amis qui collaborent ensemble. Je réponds que oui évidemment, bien sûr. Je sais que je ne dois jamais parler politique ou religion pour éviter les sujets qui fâchent. Le monsieur y va de son "God bless France"et comme je suis poli, j'y vais de mon "God bless America". Les visages des 2 petits vieux s'illuminent d'un grand sourire. Visiblement je leur ai fait plaisir pour pas cher. Mais la visite m'attend.

Il n'y absolument personne sur le site et je l'ai pour moi tout seul. Je fais des photos sans aucun touriste pour gâcher la prise de vue mais je regrette qu'il 'y ait aucune explication aux différentes maisons qui constituent le village. En tout cas c'est magnifique entre les vieux murs dans ces cavernes et la nature environnante.

Je redescends récupérer mon sac car mon idée est de retourner dans le parc pour y passer la nuit. Mais il est 17h30 et j'ai 4 km avant d'arriver au Trail. Ça va être tendu avec mon sac qui pèse le poids d'un ane mort. Un pickup à plateau me double, s'arrête et enclanche la marche arrière. Ce sont mes 2 petits vieux de "God bless America". Ils me demandent s'ils peuvent m'emmener quelque part. Trail Magic ! Voilà qui va me sauver la vie. Je leur demande de m'emmener à l'entrée du parc. Je grimpe à l'arrière du pickup dans lequel règne un bazar innommable. Un bidon d'essence, un sac à dos, un glacière, une table, des tabourets...
Difficile de se trouver une place mais je me fais tout petit. Le chauffeur roule tout doucement et fait très attention dans les virages. C'est peut être dû à l'âge mais je me plais à croire qu'il fait attention à moi.

Nous voici rendu à destination. La Madame me demande mon nom et me donne les leurs : Terry et Susan. Terry dit qu'il a été très heureux de me rencontrer et que je peux lui demander de m'emmener où je le désire, il suffit juste de le demander. Ils sont adorables ces 2 là. Je les remercie mais je suis pile là où je veux être : sur le cdt et au début du "Upper Gila". On se sépare en se faisant plein de signes de la main. Je regrette de n'avoir pas plus de temps pour passer un moment avec eux. Mais le Trail m'appelle. Il y plein de sources chaudes dans ce coin. Je suis pas fana des sources thermales et ce n'est pas mon objectif du soir. Je veux juste m'enfoncer dans le Wilderness pour quitter le peu de civilisation que je viens de croiser. Geronimo m'attend !

dimanche 29 avril 2018

29 Avril - La Gila River

Duré journée que celle-ci !
À 6h Jesse attaque le Trail alors que je suis encore en train de siroter mon café avec tout mon matériel répandu autour de moi. Celui là à la vitesse où il va, je ne suis pas prêt de le revoir.

Une fois mon sac bouclé, je prends à mon tour le chemin. Mais je sens que je suis fatigué. Le 5 derniers km de la veille, tout en montée raide ont puisés dans mes réserves. Mais je n'avais pas le choix avec cette histoire de point d'eau. C'est une constante au Nouveau Mexique.

Le chemin continue de monter raide et je vois que nous sommes face à un col. Il va bien falloir le passer. Mon genou décide de se joindre à la fête et chaque pas devient une douleur. Je décide de l'ignorer, c'est pas lui qui commande. D'abord le col, après on verra. Il y a beaucoup de buissons qui m'écorchent les jambes. Franchement, j'y suis pas. La journée va être longue.

Arrivé au col, les quelques pas en descente me confirment que si c'est bien le genou qui fait la loi. Je mets la genouillère que Bertrand m'a donné la veille de mon départ et après un 1/4 d'heure, le miracle se produit à nouveau, je peux marcher normalement. Ça tombe bien j'ai 32 km à faire.

Après être monté pendant 2 jours, il est temps de descendre. Nous sommes dans une vallée encaissée avec une rivière asséchée (comme toujours). Il n'y a que des pins dont la plupart ont le tronc noirci par un incendie. Beaucoup d'arbres sont tombés par terre et complexifient la progression.


Les feux de forêts sont un vrai problème pour le CDT. Il y a peu de  chances que j'y echappe. Si les pompiers américains protègent les habitations, ils laissent brûler les forêts car ils n'ont pas les moyens de lutter. Il n'y a aucune route pour leur permettre de se rendre sur place. Si un incendie se déclare sur le parcours, je pourrais être détourné de plusieurs centaines de km. Mais nous n'en sommes pas là.

Je débouche sur une nouvelle vallée. Tout est beaucoup plus sec. Les arbres font à nouveau place à des buissons et les montagnes qui me font face sont impressionnantes.

Je suis sûr un chemin qui part à gauche alors que le Trail est supposé être à droite. Aucune trace du Trail et la route sur laquelle je suis n'est répertoriée sur aucune des cartes que je possède (j'ai chargé 3 sources différentes sur mon GPS).
Dans ce cas, une seule règle, il faut suivre le GPS. Le chemin va me mener je ne sais où et je serai perdu. J'attaque donc du hors piste en espérant tomber sur un sentier. C'est une vraie jungle. Il y a des arbres immenses qui sont tombés et leurs branches s'entrevetrent, qui mélangées aux buissons, font un barrage impénétrable. J'insiste et mon sac s'accroche de partout. Je vérifie 10 fois mon GPS et je suis pile sur la trace. Ce n'est pas possible cela fait 10 ans que personne n'est passé par ici. J'arrive à un stade où je suis découragé. Combien de temps va durer ce cauchemar avant que je retombe sur quelque chose de praticable. Je ne peux même plus faire demi tour, l'effort est trop important. Pas le choix je persiste et tombe finalement sur l'ancien sentier à peine visible au milieu des arbres morts. Personne ne l'a utilisé depuis des années. Mais il a l'avantage de me faire progresser plus rapidement.
Après une heure de galère, je finis par retrouver le chemin que j'avais quitté et qui a du faire une boucle pour éviter la misère que je viens de traverser. Ni mes cartes ni mes tracés ne sont à jour. J'espère que je ne vais pas avoir des blagues de ce style trop souvent.

Il y a une nouvelle descente qui doit nous mener à la rivière Gila. Elle interminable car elle fait des zizags qui n'en finissent plus. J'ai eu ma dose avec le hors piste, je décide de couper tout droit. J'arrive à la rivière où se prélassent Mr et Mme canard.
Ce matin j'ai déjà vu une rouge gorge gros comme un pigeon et une biche qui est partie en courant en faisant des bons avec ses 4 pattes en même temps. On aurait dit qu'elle était montée sur ressorts. Ils ont pas les mêmes animaux que chez nous ici... Mais les canards sont parfaitement normaux et s'enfuient quand ils me voyent.

Après avoir mangé, je m'attaque à la Gila River. Je suis sur le bord et le GPS m'indique que je dois traverser. Je cherche un moyen... Il y a bien un barrage constitué d'arbres accummulés par la rivière qui pourrait m'aider. Alors que j'essaye de le traverser, le bâton qui est mon point d'appui s'enfonce brusquement jusqu'à la garde. Complètement désiquilibré, je n'ai pas d'autre choix que de basculer dans la rivière. Je ressorts de l'eau pour remonter sur le barrage. Je n'ai plus un poil de sec. Mon sac est imperméable et a résisté à la baignade. Mon téléphone et mon GPS sont waterproofs. Seul mon appareil photo vient de rendre l'âme. Dommage pour les photos.

Pour traverser, je n'ai plus d'angoisse. J'y vais carrément dans l'eau sans me poser de questions. En fait c'est la première traversée d'une longue série. Il faut marcher sur les alluvions amenés  par la rivière et changer de côté à chaque fois que la riviére fait un virage. Et elle en fait par dizaines des virages. L'avancée est épuisante. Il faut descendre dans l'eau trouver un gué et un accès pour remonter. Le courant est plus ou moins fort et la profondeur très variable. Marcher sur les alluvions s'avère aussi très compliqué à cause des cailloux et de la végétation.

Pas de trace, pas de cairns. Je suis sur une route alternative du CDT donc non aménagé. Je comprends mieux pourquoi ce chemin n'est pas fait pour le débutants. Personnellement, je le trouve très engageant. Je vois une énorme tortue d'eau qui dévale la pente à toute vitesse pour se jeter quand elle me vois arriver. Il y a aussi énormément d'oiseaux dont je ne connais pas le nom.

En fait la vie animale est très riche et je ne vais pas tarder à m'en apercevoir.
Vers 16h, bien entamé physiquement par la journée, je décide de faire une pause bien méritée. Je trouve un arbre au milieu de l'herbe et je m'y appuis avec délice tout en mangeant des fruits desséchés. Le bonheur du marcheur ! Tout d'un coup sur ma droite, j'entends un bruit comme un gros lézard qui circule sur l'herbe desséché. J'ai juste le temps de tourner la tête pour voir à 50 cm un serpent à sonnettes qui se dirige droit sur moi. Je me lève d'un bond alors qu'il va vers mes affaires.
Le pas jaune est celui où j'étais assis. On peut dire que l'ami était très proche quand j'ai réagi...

Je saisis un morceau de bois et le jette devant lui pour le faire fuir. Je ne veux pas qu'il se mette dans mon sac à dos qui est sur le sol. Au lieu de fuir, le serpent stoppe sa progression et se recroqueville sur lui même. Il a sorti sa langue et ne bouge plus. Je lance un 2eme bâton car il faut qu'il parte. Je ne peux pas récupérer mes affaires, il est à 10 cm de celles-ci et je n'ai pas l'intention de me faire mordre. Le 2 ème bâton ne lui fait ni chaud ni froid.
Ma visée n'était pas si mauvaise. On voit mieux la taille de la bête sur cette photo.

Je décide alors de le toucher directement avec un 3 ème bâton. Je touche la cible mais le résultat est le même. Le serpent ne bouge plus. Il attend en position défensive. Cette situation peut perdurer longtemps et je n'ai pas l'intention de regarder ce serpent jusqu'à la nuit tombée. Je m'approche et je commence par récupérer mes bâtons. Avec ceux ci, je suis capable de récupérer mon matériel sans trop m'approcher de l'animal. Je récupère pièce à pièce sans que le serpent ne m'attaque. Je remballe très vite et j'abandonne la place à mon nouvel ami. Rétrospectivement, je me dis que j'ai eu beaucoup de chance. Si j'avais eu mon MP3 dans les oreilles, je ne l'aurai pas entendu arriver. J'ai des frissons à y repenser. D'un autre côté, le serpent n'a pas été agressif. C'est plutôt moi qui l'a été. Des 2 rencontres, je trouve que ces animaux souffrent d'une mauvaise réputation et que si on leur fout la paix, ça doit bien se passer. On se rassure comme on peut.

À 18h, je me dis que la journée a été bien remplie et que j'ai gagné le droit de m'arrêter. Je n'ai fait que 30 km mais je veux me laver et faire la lessive. Comme le vent souffle comme un forconné, il me faut une heure pour monter la tente sur le sable. Je finis par y arriver en utilisant la même technique que celle utilisée pour la neige. J'ai une pensée pour Edith ma guide de Pulka qui me l'a apprise. Cette journée ne s'arrêtera jamais...

samedi 28 avril 2018

28 Avril - Gila National Park

Je dors mal en ville car je suis toujours entre une arrivée et un départ. Ce matin il s'agit de partir en direction de Gila Hot Springs. Ce n'est même pas une ville. J'ai dû commander sur Internet et faire livrer mon ravitaillement dans un relais de poste comme au temps des westerns. Ça sera la même chose avec l'étape suivante de Pie Town où comme son nom l'indique il n'y a que des magasins qui vendent des tartes sucrées.
Tout ça pour dire que je pars dans la brousse pour un bon moment et que je n'ai aucune idée de quand j'aurai un accès à Internet.

Sortir d'une ville revient à faire l'inverse d'y rentrer. Autrement dit, il y de la route puis du FR puis un chemin pour les 4x4 et enfin un sentier.
L'idée est de rejoindre le parc national de Gila. Il ne s'agit d'ailleurs pas du chemin officiel du CDT mais d'une fameuse alternative. En effet, nous sommes toujours dans l'état du Nouveau Mexique et le problème du ravitaillement en eau continue. La route officielle passe par les hauts plateaux et ne possède pas de points d'eau en nombre suffisant. L'alternative par contre se trouve carrément dans le lit de la rivière Gila qui donne son nom au parc. Tous les hikers prennent l'alternative car jouer au chat et à la souris avec des trous d'eau croupie va bien un moment. D'après les rumeurs nous allons traverser la Gila environ 200 fois (non ce n'est pas une erreur de frappe). Mais nous préférons cela que de manquer d'eau.

La partie route pour rejoindre le parc est facile. C'est une route secondaire à 2 voies et les voitures que l'on croise roulent doucement et font des grands signes de la main. Plutôt sympathique. J'ai mis la radio sur mon MP3 et j'écoute une émission qui incite les Américains à voyager pour découvrir d'autres cultures et d'arrêter d'écouter les médias dont le fond de commerce est de faire peur. Très étonnant en plein règne Trump. J'ai dû tomber sur le France Inter local. Quoiqu'il en soit ça fait vraiment plaisir à entendre.

Les maisons sont de plus en plus clairsemées ce qui annonce la fin de la banlieue. Ce sont maintenant des petits champs entourés de forêts de pins. Dans une clairière une voiture est garée. Au moment où je passe à son niveau, je vois 2 personnes couchées dans des duvets derrière le véhicule. Mes bâtons font du bruit sur le goudron et les gars se réveillent et m'interpellent alors que je passe. Je leur souhaite une bonne journée sans plus m'attarder. On va pas non plus socialiser avec tous les clochards du Nouveau Mexique. Tout à mon écoute radiophonique, je continue ma route. J'attends alors un gars courir derrière moi. Il semble en tenue de sport et me lance "enfin je te rattrape". Il s'agit encore de hikers. J'aurai du m'en douter. J'arrive pas encore à me faire que je suis passé du côté du monde des marginaux. Nous échangeons nos Trail Names, nous parlons du CDT, des Trails Days auxquels ils ont assistés. En fait ils partent à Crazy Cook Monument demain. Bref du papotage de hikers.

Je reprends ma route et j'arrive à Gila National Park. Je croise des 4x4 qui me font des grands signes dont les pompiers. Il y a même un gars qui s'arrête et qui tout enthousiasmé me fait l'apanage du CDT dans Gila. Ça fait maintenant 4 heures que je marche et j'ai fait 16 km. Le tracé bifurque et monte dans la montagne. Pour l'instant le paysage est similaire à celui avant d'arriver à Silver City. Ce n'est plus un désert mais des forêts de pins mélangés avec des cactus.
 Il y a de nouvelles plantes grasses mais c'est très similaire.

L'air est toujours aussi sec et le soleil aussi fort. À 13h alors que j'ai vraiment du mal à enchaîner les côtes, je décide d'appliquer la technique de mon ami Drew : une sieste en attendant que la température devienne supportable. La mienne ne dure que 10 mn mais me fait un bien fou. L'essayer c'est l'adopter et je pense que je vais inclure ce principe dans mes journées de marche, du moins tant que la température est extrême.
Bien m'en a pris car les côtes sont de plus en plus raides. En final je redescends dans une vallée encaissée entre 2 falaises. Quelle est ma surprise en découvrant qu'un filet d'eau coule au fond d'une rivière.
Je n'ai croisé aucun hiker en train de faire la section et je comprends maintenant pourquoi nous n'allons plus nous revoir. On peut camper n'importe où et pas seulement aux points d'eau. Je vais donc commencer ma carrière de marcheur solitaire. À voir comment ça va se passer. Dans une source, je décide d'essayer de trouver le trou de mon matelas de sol. J'ai eu beau utiliser la baignoire de l'hôtel, l'immersion de mon tapis n'a montré aucun filet de bulles d'air indiquant ou se trouve le trou. Car trou il y a, je finis systématiquement à même le sol toutes les nuits. Je ne vais pas dormir comme ça pendant tout le CDT. Je suis donc en train d'essayer de noyer mon matelas quand j'entends une voix m'interpeller. Je suis au milieu de nulle part. C'est sûr j'entends des voix ! Non car il s'agit d'un randonneur du week-end qui m'interpelle. Il arrive dans l'autre sens et c'est pour ça que je ne l'ai pas vu venir. Il veut absolument m'aider mais même à 2, ce foutu trou reste introuvable. Toute cette histoire m'a mis bien en retard sur mon planning. Le tarif est de 32 km et je n'en ai actuellement que 23 au compteur. La journée n'est pas terminée !

Après une série de côtes, je redescends dans une vallée fantastique. On se dirait en plein western. En fait c'est même normal puisqu'on est là où a eu lieu la conquête de l'ouest. Je suis sûr que cette vallée à été utilisé pour des films. Je m'attends à voir surgir à tout instant un cowboy crasseux avec ses revolvers brillants sous le soleil ou un indien, tomahawk à la main, chasseur de scalps.


En fait d'indien, c'est un hiker, Jesse, qui surgit derrière moi et qui me file la trouille de ma vie. Jesse et moi sommes 2 marcheurs totalement opposés. Il voyage en ultralight. Son sac fait le tiers du mien. Il n'a pas de tente ou de réchaud pour diminuer au maximum le poids de son sac. En résultat, il vole sur les pierres alors que je me traîne sous le poids de mon sac. Il me dépasse et au bout de 5 min je l'ai perdu de vue. Il n'y a qu'un point d'eau au km 35, ce qui veut dire que s'il le squatte, je suis bon pour 10 km de plus ce qui amène le compteur à 45 km. Vu la configuration des vallées et les montées de compétition, je ne suis vraiment pas bien.
Je continue mais les montées plus difficiles les unes que les autres se succèdent. C'est vraiment violent et je suis épuisé. Tant pis je négocierai avec Jesse mais je n'irai pas plus loin. Se battre pour un point d'eau croupie ! Il n'y a que sur le CDT qu'on peut voir ça.
Quand j'arrive à l'endroit indiqué par le GPS, rien. Pas plus de Jesse que d'eau. La rivière est complètement à sec. Le tarif est donc de 10 bornes supplémentaires dans des conditions de sauvage. Moi qui rêvais de me laver et de laver mes vêtements, il va falloir puiser dans ses réserves et finir de nuit
J'attaque donc la côte qui fait face à moi et alors que j'en ai parcouru la moitié, je manque de mettre le pied dans la flaque d'eau tant recherchée.

Je me lave ainsi que mes affaires et je filtre 5 litres d'eau pour ce soir et demain matin. Quant à camper ce n'est pas possible, la pente est bien trop raide. Je refais mon sac pour poursuivre le Trail et m'arrêter dès que je trouve un endroit accueillant et surtout plat.

Je suis en train de peser le pour et le contre de différents endroits du terrain quand je tombe sur Jesse couché à même le sol dans son duvet. Il est prêt à dormir alors que je n'ai pas encore mangé. Je suis méchamment à la bourre.

Je m'éloigne autant que possible pour lui laisser de l'intimité et faire mes petites affaires, entre planter ma tente et faire ma popote.
En final il aura même plus de temps de récupération que moi car il est couché bien avant moi. Ne pas être ultralight est une double punition. Je couvre moins de km et j'ai moins de temps de repos pour récupérer. On verra bien sur la durée. Le tout c'est que j'avance et que je fasse au moins 32 km par jour.

vendredi 27 avril 2018

27 Avril - Trail Days

La qualité de l'isolation phonique du Motel 6 est  bien conforme à son prix. Ma  chambre jouxte celle d'une bande de hikers qui se sont regroupés pour faire des économies. Ils ont veillé tard et ce matin, ils se lèvent tôt. Je ne peux pas leur en vouloir car moi aussi je suis réglé sur le cycle du soleil. Ce n'est pas grave car aujourd'hui j'assiste au Trail Days à l'Université de Silver City.

Avant toute chose, je vais me chercher un café à côté de la réception. C'est la seule chose qu'offre le Motel 6. Pas de petit déjeuner mais un café américain couleur thé. Au moins c'est chaud et ça fait quelque chose dans l'estomac. Une fille en tailleur me regarde d'un air dédaigneux car il y a aussi des gens business qui dorment pour leur travail dans cet hôtel. Son regard me surprend mais quand je regarde ma tenue, ma barbe naissante et les sparadraps crasseux qui recouvrent les ampoules de mes pieds, je ne peux pas lui en vouloir. Je l'imagine en train de prendre la tête de son patron pour qu'on augmente ses frais de déplacement afin de ne plus dormir dans des hôtels fréquentés par des clochards. Cette pensée me fait sourire que je lui donne en retour à son regard glacial. Elle quitte la pièce promptement comme si je l'avais insultée. Je crois que j'ai quitté le monde des gens "normaux". Je n'ai plus qu'à rejoindre ma communauté de hikers qui m'accueille à bras ouverts sans que je ne lui demande rien. Ça me fait quand même quelque chose d'être rejeté comme un marginal. Mais il y a toujours un prix à vivre "différemment". Comment aurais-je réagi à sa place il y a seulement 2 semaines ?

Après 30 minutes de marche, j'arrive à l'Université. C'est une université de province à la taille modeste mais proprette. Des travaux sont en cours donc je suppose que les mines continuent d'être lucratives.
Sur le bâtiment principal, il y a un grand panneau "Trail Days" prouvant que pour une fois je peux m'en sortir sans GPS.


J'arrive un peu en retard et la 1ere conférence à déjà commencé. Il est 9h et il y a surtout des gens du coin, plutôt âgés, qui sont venus pour donner leur temps ou de l'argent pour aider à construire le CDT. Le trail n'étant construit qu'à 70% et à voir le nombre de ranchers qui bloquent le Trail, j'admire l'engagement de ces gens.
On nous passe un film sur les différentes sections du CDT. Les photos sont magnifiques mais le vertige me prend rapidement... Je ne suis vraiment qu'au début du voyage et il y a encore des milliers de montagnes, paysages, animaux à croiser. Ce que j'ai réalisé n'est que le haut de l'iceberg... J'avais commencé à l'oublier.


La matinée se déroule en enchaînant différentes présentations toutes aussi intéressantes les unes que les autres. Le flot de hikers ne cessent de croître plus la matinée avance. Visiblement le hiker n'est pas un bon élève et aime bien lézarder quand il est en ville. Ça le change des km qu'il enchaîne comme un forcené quand il est sur le Trail.
Les présentations les plus passionnantes sont réalisées par des personnes qui ont fait le CDT soit à pied soit en VTT. Ces gars sont venus vivre à Silver City uniquement pour être proche du CDT, comme Turquoise qui m'a emmené hier dans son 4x4. La plupart cumulent 2 ou 3 jobs pour mettre de l'argent de côté et pouvoir repartir faire du VTT ou marcher pendant des mois. Ils ont un look reconnaissable entre tous : barbe, cheveux long avec catogan, tatouages. Ils ont l'air de clochards célestes et leurs yeux brillent dès qu'il parlent du CDT ou de voyage en général. Ils peuvent en parler pendant des heures et il est indispensable que l'organisateur gère le temps pour laisser le suivant s'exprimer.
À la fin de la journée, la salle de conférence est bondée de monde car tous les hikers en ville sont présents. Il y des gens assis par terre et sur les tables.
J'y retrouve toutes les personnes que j'ai croisées à un moment où à un autre. Même le gars qui m'avait offert une bière le jour de mon arrivée. D'ailleurs il me fait un signe de la main pour me dire qu'il m'a reconnu.

La fin des présentations donne lieu à une fête ou un gâteau est prévu pour l'anniversaire des 40 ans du CDT. C'est l'occasion de boire une bière et de rencontrer les derniers hikers que je ne connais pas encore. Tout le monde interpelle tout le monde. On traîne jusqu'à moi des personnes que je ne connaîtrais pas. Je rencontre des gens plus intéressants les uns que les autres. Chacun y va de sa petite histoire et des petites misères de la vie de hikers. Les histoires sont vraiment drôles et à ce petit jeu l'ami Man In Black s'avère un gaillard redoutable.

J'ai vraiment l'impression d'une fête de famille pourtant je ne connaissais pas ces personnes il y a 2 semaines. Mais les prochains mois vont être terriblement éprouvants et ces personnes vont avoir besoin de moi autant que je vais avoir d'elles. Il faut se serrer les coudes car les nuages s'amoncellent à l'horizon. On ne sait pas quand la tempête va s'abattre mais nous savons tous qu'elle va le faire pour chacun d'entre nous. Peut être pas au même moment, peut être pas avec la même intensité mais si l'un de nous est présent à ce moment là, il fera tout pour aider celui qui sera en difficulté. C'est le sens de la communauté et c'est pour cela que j'ai un Trail Name. Je suis devenu un hiker. Et je suis fier de l'être.

Le temps passe mais il ne faut pas que je traîne. Je pourrais passer la nuit avec eux mais le Trail m'appelle. Demain je serai à nouveau seul avec mes petites misères mais je sais que je peux compter sur mes frères pour m'aider si je dérape. Et de savoir ça me donne une force incroyable !
Happy Trail Brothers !

jeudi 26 avril 2018

26 Avril - Trail Magics En Cascade


La nuit a encore été bruyante mais d'une manière un peu différente de la précédente. Je suis proche de la mine à ciel ouvert et engins miniers tournent 24h sur 24. Les allées-venues de ces monstres de fer qui extraient la terre m’empêchent de dormir. Résultat je n'ai pas entendu le réveil sonner ce matin et je pars bien après le lever du soleil.
Je n'en mène pas large car je n'ai réussi à mettre de côté que 2.5 litres d'eau.  Pour couvrir la distance de 30 km qui me séparent de Silver City, il m'en faudrait au minimum le double. Et avoir sauté une partie des heures les plus douces du matin n'arrange pas l'affaire.

La journée est prévue pour être difficile aussi au niveau mental. Il y a 10 km de "Forest Road" (FR de son petit nom) et 20 km de route goudronnée sur une Highway sur laquelle se croise une flotte de camions d'une taille fantastique qui transportent les minerais extraits des montagnes.
La FR en elle même est un chemin de terre de la largeur de nos nationales ou 2 camions n'ont aucun mal à se croiser. Les énormes 4x4 que je croise me recouvrent d'une poussière blanche qui colle à la peau.

Je suis d'une crasse repoussante. La crème solaire dont je m'enduis plusieurs fois par jour pour éviter les brûlures emprisonne la poussière soulevée à chacun de mes pas. Comme vient s'ajouter celle des 4x4, je vais passer pour un vrai clochard en arrivant en ville. J'en suis là dans mes réflexions quand un 4x4 qui arrive dans mon dos s'arrête à mon niveau. Je me retourne et de la fenêtre de son véhicule, la conductrice tout sourire me tend un sachet contenant un énorme muffin au myrtilles. A peine le temps de le saisir en la remerciant qu'elle est déjà partie. J'ai juste eu le temps de voir le badge sur sa chemise : "Security Officer". Elle doit travailler à la mine et tous les matins, elle distribue ses muffins maison aux hickers qu'elle croise sur le chemin du travail. Trail Magic encore ! J'arrive pas à m'y faire. Quand je pense à l'accueil dédaigneux réservé par les commerçants, hôteliers et autres restaurateurs sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle, ils feraient bien de venir prendre exemple sur ces personnes qui donnent sans rien attendre en retour. Un muffin contre un sourire, car je n'ai pas eu à me forcer pour lui offrir la seule chose que je peux lui donner spontanément en retour.

Mon Trail Magic avalé car les muffins aux myrtilles sont mes favoris, il faut bien que je refasse face à la réalité. Cette FR bien droite est sans fin et le soleil cogne dur. Je m'équipe de mon parapluie pour diminuer au maximum ma transpiration. Je n'ai pas assez d'eau et je dois tout faire pour minimiser l'effet du soleil.

La route reste ennuyeuse car je ne vois même pas la fin de la ligne droite. J'applique alors une bonne vieille technique du VTT lorsque la montée devient trop longue. Je fixe un caillou à quelques mètres de moi et j'en fais mon objectif. Dès que je l'atteins, je prends un autre caillou et je recommence. Découper un objectif qui semble inatteignable en une multitude de petits objectifs faciles à réaliser mène au succès. À voir mais je crois que ça fonctionne aussi en dehors de la marche à pied...

De caillou en caillou, me voici sur la Highway. Elle est telle que prévue. 4 voies où se croise une multitude de camions et de voitures qui vont et viennent à Silver City. Du bonheur pour le marcheur !
Je ne suis pas un puriste forcené. J'ai une sainte horreur de marcher sur la route. C'est dangereux et ne présente aucun intérêt. Je vais commencer à marcher mais si j'en ai vraiment marre, je ferai du stop. Contrairement à mon habitude, je me mets donc du côté droit de la route pour pouvoir lever le pouce si l'envie m'en prend.

Pour passer le temps, je décide d'écouter un livre audio. Et je choisis... "20 000 lieux sous les mers" évidemment. Je l'ai lu quand j'étais gamin mais je n'ai que de vagues souvenirs. Je suis émerveillé par la clairvoyance de Jules Verne qui invente le sous marin atomique et le plongeur autonome 100 ans avant leurs créations. Le personnage du capitaine Némo retiré aux fonds des mers parce qu'il ne supporte plus l'exploitation des humains et de la terre est superbement moderne. Je suis définitivement très fier de mon Trail Name.

J'en suis là de mes réflexions quand un petit 4x4 s'arrête à ma hauteur. La jeune conductrice me demande "Do you want a ride?" (Veux tu que je t’emmène en ville ?). Demandez à un ivrogne s'il veut boire. Bien sûr que je veux un "ride". Je ne savais pas si j'allais faire du stop mais si le destin s'en mêle. On ne refuse pas un signe du destin.
J'embarque tout mon barda dans le coffre de son 4x4. C'est vraiment un tout petit véhicule et il n'a rien à voir avec les monstres que j'ai croisés toute la journée. J'ai un peu honte de mettre mon bazar partout car mon système de parapluie prend de la place.
Sa première question est de me demander mon Trail Name. Ah elle connaît le principe des Trail Names... Je lui donne bien volontiers du Némo et je lui demande le sien car je commence à me douter qu'elle fait partie de la communauté des hikers. "Turquoise" me répond-t-elle. En fait, je suis tombé sur la personne du Trail Magic de la glacière de bières. J'avais mauvaise conscience de n'avoir pas noté son portable pour lui envoyer un SMS de remerciement, je vais donc le faire en direct. Elle me dit passer tous les jours. Elle a même organisé un barbecue la semaine dernière mais seulement 2 hikers sont passés ce jour là.
Elle tient absolument à me mener à mon hôtel alors qu'elle se rend à son travail et que je l'ai mise en retard.
Trail Magic en cascade ce matin...

Je me retrouve au Motel 6 que j'ai réservé hier soir car j'étais suffisamment proche de la ville pour avoir du réseau. J'ai réservé 2 nuits car je pensais arriver tard et que demain à lieu l'événement des Trail Days. Il est 10h et je suis déjà dans ma chambre. J'ai 8h d'avance sur mon programme. Et bien je vais en profiter car ma vie de hiker continue en ville : lavage, ravitaillement, lessive. Bref pas mal de choses en perspective !

Le Motel 6 est un motel de chaîne bas de gamme, l'équivalent de nos Formule 1 où les murs sont en papier, le nettoyage approximatif mais le prix très doux. Je sais que c'est là où vont descendre la majorité des hikers. Je ne compte pas aller seul aux Trail Days même si je sais que Turquoise sera présente.

mercredi 25 avril 2018

25 Avril - Trail Magics

La nuit a été bruyante. La végétation cache toutes sortes d'animaux qui ont une activité nocturne importante. Et visiblement, ils n'ont pas peur de l'homme. J'ai beau taper sur mon tapis de sol ou pousser des cris, les branches continuent de craquer autour de la tente. J'en ai tellement marre que je sors pour chasser les intrus. Résultat je marche sur des épines de cactus que j'ai bien du mal à retirer. On ne marche pas pieds nus au Nouveau Mexique :-) J'ai appris la leçon.

Quoiqu'il en soit il faut dormir car demain il va bien falloir avaler les km qui m'attendent. Je suis réveillé plusieurs fois par des rongeurs qui veulent rentrer dans la tente pour me piquer ma bouffe. Pourvu qu'ils ne me fassent pas un trou dans mon tapis de sol !

Réveil habituel à 5h30. A part un sommeil perturbé, tout est en ordre. J'attaque le sentier et le lever de soleil est magnifique au milieu des arbres et des cactus. Les reflets dorés des pierres ajoutent à la beauté du site. En fait je crois que c'est mon heure préférée de la journée. Il fait frais, les couleurs sont magnifiques et je suis en forme après un sommeil réparateur.

Je vais croiser une Highway (autoroute) car j'entends des camions au loin. Qui dit voie de communication dit accès au CDT par des personnes qui ne le font pas...
J'ai droit à mon premier Trail Magic officiel. Quésaco un Trail Magic ? Il s'agit de personnes qui font quelque chose pour donner du bonheur aux hikers du CDT.
Ce matin ça consiste à 3 sacs en plastique pendus à des branches. Le 1er contient des bonbons, le 2éme des poires (les produits frais sont un vrai luxe pour des personnes qui ne transportent que des produits déshydratés), le 3ème toutes sortes de petites choses pour des hickers (des sparadraps, de la mayo pour le thon, des barres céréales etc..). Il n'y a pas de papier qui accompagne les cadeaux, pas de nom, aucun moyen d'identifier l'auteur.
La personne qui a fait ça a pris sa voiture, a conduit plusieurs heures au milieu du désert pour faire plaisir à des gens qu'elle ne connaît pas, qu'elle ne verra jamais et qui n'auront pas la possibilité de la remercier. Je ne crois pas que verrai une chose pareille en France un jour...
Je prends une poire et 2 sachets aromatisés pour l'eau. Celui donné par MIB hier reste un trop bon souvenir !

Je reprends mon chemin heureux (mission accomplie pour l'auteur du Trail Magic) quand je tombe sur l'autoroute et un panneau qui annonce aux automobilistes qu'ils entrent dans un parc où les ours sont présents. Rétrospectivement, je m'aperçois que j'ai fait une grosse boulette hier soir. S'il y a une chose que j'ai apprise de mes sorties dans les bois au Québec, c'est qu'on ne doit pas garder sa bouffe dans sa tente sous peine d'avoir des visiteurs poilus inattendus durant la nuit. Je ne savais pas qu'il y avait des ours au Nouveau Mexique. On peut dire que question faune et flore, ils sont plutôt bien lotis. J'ai amené une para-corde (une corde de parachute très solide et très légère) exprès pour ça, je vais donc prendre ma nourriture dans les arbres tant que nous serons au pays des ours.

Contrairement à ce que je pensais hier, le CDT ne part pas dans la plaine mais monte vers les plus hauts sommets des montagnes que nous traversons. Mon GPS m'apprend qu'il est prévu 1200 mètres de dénivelé. Wow Grosse journée en perspective ! En plus, seulement 2 points d'eau disponibles. Je vais encore retrouver du monde au ravitaillement d'eau.

Effectivement quand j'arrive au 1er, 6 hikers sont terrés sous les ombres des arbres qui bordent le point d'eau. Celui-ci est une cuve en béton ronde remplie d'eau et d'algues vertes bien flashies.

Même si cela paraît bizarre, personne ne s'offusque de la présence des algues. Une fois qu'on a été déshydraté, on est prêt à boire n'importe quelle eau croupie. Et sincèrement, les filtres font un travail extraordinaire en sortant une eau claire comme celle du robinet.

Les hikers qui sont là me sont tous inconnus. Bien sûr on se présente puisqu'à partir de maintenant on est appelé à se croiser. Il y a là 2 gars du Texas à la mine patibulaire qui parlent peu. L'un d'eux porte un treillis avec le chapeau militaire qui va avec. Il a aussi un couteau à la taille aussi long que mon avant-bras. Quand je lui demande à quoi ça va lui servir, il me répond seulement "Tu sais ce qu'on dit sur le Texas"... J'insiste en lui disant que j'espère qu'il ne chasse pas le Français. Mon sens de l'humour n'a pas l'air de passer et il me répond "You are safe" sans même sourire. Je note donc qu'il ne faut pas ennuyer un texan et garder son sens de l'humour pour les allemands - ou pas.

Un autre hiker m'apprend qu'il a campé avec un autre français "Candy Man". Vais je rencontrer un compatriote ? Et bien non car lui aussi a abandonné ce matin pour cause de blessure. Franchement notre patrie n'est pas à l'honneur sur le CDT !

Je reprends la route pour tomber sur un parking de départ de randonnée. Et là autre Trail Magic. Une glacière remplie de cocas et de bières fraîches.
Il y a un mot de "Turquoise" qui a fait le PCT et qui est venu s'installer dans la région. Elle donne son numéro au cas où on a besoin d'elle. Je suis vraiment étonné par ces élans de gentillesse. On en voit si peu dans la vraie vie. La glacière fait son petit effet et bientôt c'est une dizaine de hikers qui se retrouvent agglutinés autour. On se dirait au bar. Chacun raconte ses histoires en sirotant sa bière. Pour moi ça sera un coca parce que 1200 m en pleine fournaise ne font pas ne font pas bon ménage avec l'alcool.
J'y rencontre un Belge Flamand de Bruxelles qui parle français, affublé d'un Sud Coréen. Ils se sont rencontrés sur le chemin et ne se quittent plus. C'est vraiment rigolo de les voir aller ensemble car ils sont si différents. C'est l'autre magie du CDT.

L'après midi se déroule comme prévu écrasé par le soleil et essoufflé par la montée. Plus on monte plus les arbres sont présents. Il s'agit de gros pins massifs qui font peu d'ombre.

On a une vue imprenable sur des km à la ronde. Au loin la mine à ciel ouvert de Silver City qui fait plusieurs km carrés. Tout simplement monstrueux ! Car comme son nom l'indique, l'économie de la ville est basée sur son activité minière. On nous a d'ailleurs prévenu de faire attention car des anciennes mines sont présentes un peu partout dans la montagne. Maintenant ils sont passés à la vitesse supérieure et rasent directement les montagnes.

Le 2eme point d'eau est un simple trou vaseux. Il ne faut pas le rater car c'est le dernier avant Silver City qui est à 34 km. Entre le bivouac de ce soir, le petit déjeuner et la journée de marche, les 5 litres que j'embarque ne suffiront pas. Mais que faire, je n'ai pas d'alternative.

Je décide de poursuivre la route qui descend vers la mine à ciel ouvert. Silver City est juste derrière. Je m'arrête après une journée de 35 km. Demain il me restera 30 km pour arriver à la ville...



mardi 24 avril 2018

24 Avril - Direction Silver City

Un Shuttle vers Crazy Cook Monument est prévu ce matin. Ce qui veut dire que le petit déjeuner à l'hôtel est possible à partir de 6h.
Je suis donc le premier client à franchir la porte. Mon arrivée réveille la serveuse obèse qui dort sur le sofa de la réception. Elle pourrait continuer à dormir car c'est un libre service.

Bien évidemment l'ami Radar arrive pour s'occuper des prochains candidats à l'aventure. Il ne sont que 2 ce matin. Ils sont facilement reconnaissables : ils sont tout blanc alors que je suis brûlé aux endroits où je n'ai pas assez mis de crème solaire, leurs jambes sont intactes alors que les miennes sont toutes égratignées, leurs vêtements sont tout beaux alors que les miens sont tout fripés sortis de la machine.
Bref on reconnaît aisément ceux qui reviennent du front de ceux qui y partent.
Ils n'en mènent pas large les nouveaux et ils mangent silencieusement à leur table. J'avais exactement la même tête la semaine dernière. Cela semble une éternité. La notion du temps se perd sur le CDT et encore plus dans le désert.

Radar, avec son chapeau de cowboy tout miteux et sa chemise de marcheur fatigué engage la conversation. En fait on s'est croisé plusieurs fois les jours précédents y compris au moment où il est venu ravitailler une cache d'eau. Il me raconte que je suis le 4ème français cette année. J'en connais un qui traînait sur les forums et qui est parti 10 jours avant moi. Les autres sont de parfaits inconnus mais Radar s'obstine comme si la France était un village où tout le monde se connaissait. Visiblement l'Amérique a une image bien curieuse de la France.
Il me raconte qu'un des Français n'a fait que la 1ere section et a abandonné. Voilà qui ne va pas redorer notre blason.

Mon petit déjeuner avalé, je lance fièrement un "Il est tant de reprendre la route" pour m'entendre répondre "Tu ne crois pas si bien dire Nemo". Oula, qu'est-ce que ça veut bien vouloir dire ?
Je ne vais pas tarder à comprendre en me retrouvant devant une route désespérément droite dont je ne vois pas la fin. Oui je suis bien sur le CDT mais les propriétaires au Nord de Lordsburg n'ont pas autorisé le passage sur leurs terres.

Ce n'est pas ce qui va altérer mon moral. Il ne fait pas vraiment chaud, je branche mon MP3 et je me mets en route (c'est bien le cas de le dire).
Mon passage en ville a laissé des traces. C'est compliqué de replonger dans la civilisation et sa "vraie" vie pendant quelques heures à la vitesse grand V. Sur le trail, il n'y a qu'un seul objectif : couvrir la distance requise pour atteindre le prochain point d'eau, ouvrir les yeux et penser. Alors que dans la vraie vie, il faut faire des dizaines de choses en même temps sans se mélanger les pinceaux. C'est plus épuisant et stressant que de marcher vers un hypothétique réservoir d'eau.

Quoiqu'il en soit je suis content de repartir sur le CDT même en avalant de la route goudronnée. Tout à une fin et nous voilà en train de passer au dessus d'un barbelé pour quitter la route. Il s'agit bien du CDT officiel et je vais réaliser cette opération de saute barbelé une bonne dizaine de fois dans la journée. Le rancher est quand même une race à part...

Je suis dans une plaine aride où la végétation est quasi inexistante. Depuis la frontière, c'est la zone la plus sèche que nous traversons. Je dis nous car je croise toujours la même clique de 5/6 hikers depuis le début. Je ne sais pas où sont passés tous les autres. Hier, la ville débordait de hikers et aujourd'hui se sont toujours les 6 mêmes que je retrouve. Les autres se sont évaporés. Encore un mystère du CDT...

Nous faisons face à des montagnes que nous devons traverser. Ma supposition est que ces montagnes accrochent les nuages est que la plaine ne reçoit pas d'eau. Cette plaine est immense et les montagnes toutes petites à l'horizon. Le soleil se met à frapper violemment alors qu'il n'y a pas un souffle d'air.
Mon organisme souffre. La chaleur évidemment mais aussi et surtout le poids de mon sac. Car ravitailler veut dire mettre de la nourriture dans son sac. Le tarif est d'un kilo de nourriture par jour. J'ai prévu 4 jours pour Silver City. Je vous laisse faire le calcul..
Ajouter à cela que le 1er point d'eau est à 24 km, j'ai donc emporté 4 litres d'eau. Les bretelles de mon sac à dos me cisaillent les épaules et ma chemise propre de ce matin me colle dans le dos.

Mon genou recommence à faire des siennes. En fait je pensais m'être débarrassé du problème mais il est directement lié au poids que je transporte. Plus les jours passent, plus le poids diminue et mon genou est soulagé. Là seul au milieu de la plaine désertique, je commence sérieusement à souffrir. Mais je suis là pour ça aussi et je vais appliquer la même formule que quand je cours ou que je fais du VTT : je me concentre sur l'objectif et j'oublie tout le reste. Je dois atteindre ces montagnes, un point c'est tout.

Vers midi, écrasé par la fournaise et le poids, j'arrive à peine à mettre un pas devant l'autre. Je connais bien ce phénomène : perte totale d'énergie. Il faut manger sinon j'y arriverai pas. Je me colle à la paroi d'un rivière desséchée pour le peu d'ombre qu'elle procure. Je récupère dans sac le résultat de mes achats de la veille et je mange des tortillas avec du Jerky, de la viande séchée que les Américains adorent. Et ils sont bien les seuls !

Je reprends la route et je retombe sur Drew que j'avais croisé dans le Greyhound. Il s'était perdu et a repéré ma belle chemise bleue au loin. Il faut dire que dans cette plaine toute plate c'est facile de prendre le mauvais cap. Vers 14h nous pénétrons dans les montagnes et nous nous retrouvons tous au fameux point d'eau. L'eau n'est vraiment pas ragoûtante mais je charge à bloc. Je vais arrêter la collection de bêtises. Les allemands décident de ravitailler au prochain point d'eau à 5 km. Je leur ai trouvé un Trail Name à ces deux là. Je les appelle la "Panzer Division" car ils n'arrêtent jamais. Ils trouvent ça rigolo et l'un d'entre eux décide même d'adopter le Trail Name de "Panzer". Faut vraiment que j'arrête de faire des blagues avec les allemands...

Quoiqu'il soit, tout le petit groupe décide de s'arrêter pour faire une pose à l'ombre. Tous non car un vaillant petit Nemo décide de continuer. Je ne sais pas pourquoi je fais ça. La peur de ne pas repartir peut être. Le fait de vouloir être seul sûrement...

Il y a de plus en plus d'arbres comme quoi ma théorie tient la route. La pluie tombe plus ici que dans la plaine...

Par contre ça grimpe sec. Entre les collines, les pins, les chemins défoncés, j'ai un peu l'impression d'être à la maison. Il y bien les cactus avec leur espèce de long plumeau planté au milieu pour me rappeler que je suis ailleurs. Dans une côte, je vois venir vers moi tout doucement un 4 roues rouge. Rien à voir avec la patrouille de la frontière. Il s'agit d'un employé du ranch que je traverse, qui amène à manger aux vaches que je viens de croiser. Il s'agit d'un Mexicain avec une casquette crasseuse et une belle chemise à carreaux. Il s'arrête à mon niveau pour me demander tout sourire si tout va bien malgré la chaleur. Il m'annonce qu'il fait 32 degrés. Je m'en doutais un peu mais maintenant c'est officiel.

Le prochain point d'eau s'entend avant de se voir. Il s'agit d'une pompe actionnée par une éolienne qui fait un bruit lugubre à des centaines de mètres à la ronde. J'y retrouve deux hickers que je ne connais pas encore. Il y a entre autre "Man in Black" habillé, comme son nom l'indique, tout en noir. Il a même un chapeau de Zorro en guise de couvre chef. Il est très fier de son Trail Name et visiblement fait tout son possible pour le conserver ! J'ai d'ailleurs droit à mon premier "Trail Magic" car MIB me donne un sachet à mettre dans l'eau pour l'aromatiser. Il s'avère que le goût pamplemousse qu'il m'a donné est tout simplement excellent.

J'avais pensé camper prés de cette pompe mais le bruit assourdissant de cette éolienne me fait fuir. Je reprends la route et la côte qui va avec. Il y a de plus en plus d'arbres et la végétation est dense. C'est vraiment étonnant ce changement de végétation. Je cherche un endroit où camper mais ça s'annonce mal. Arrivé au sommet j'ai une vue magnifique sur la nouvelle plaine qui m'attend. La colline est recouverte d'arbres et la descente se fait dans un tunnel de verdure. Je vois une clairière et je décide de planter la tente. J'ai fait 35 km et j'en ai plein les bottes. J'ai joué au mulet entre la nourriture et l'eau et je vais descendre les niveaux de l'un et l'autre.

Il y a quand même des cactus et l'un de ces petits malins s'est occupé de mon matelas de sol. Il est à nouveau crevé. Impossible de trouver le trou. Cette nuit je dormirai à même le sol. Ça m'apprendra à vouloir faire le CDT. Embrace the brutality. 

lundi 23 avril 2018

23 Avril - Retour A La Civilisation

Ce matin j'ai pris mon temps. Il faut dire que je n'ai que 11 km à faire pour revenir à Lordsburg où m'attend une bonne douche qui m'obsède. Les autres hikers ne parlent de ce qu'ils vont manger, mon truc à moi c'est l'hygiène !

La nuit a été très spéciale. J'ai été réveillé par le hurlement des coyotes. C'est très étonnant car leur cri a quelque chose d'humain. La clameur est partie de très loin au fond du plateau puis elle a embrasé toute la plaine. Cela m'a permis de constater que j'avais un voisin hurleur assez proche de la tente. La clameur n'a pas duré longtemps mais elle m'a enchanté et... bien réveillé. J'en ai profité pour mettre la tête hors de la tente. Le ciel étoilé était magique, d'une pureté hallucinante. J'ai pu revoir la voie lactée comme je ne l'avais plus vue depuis mon premier voyage aux USA. Je suppose qu'il y bien des pays où on peut encore voir aussi bien la voie lactée, mais nous pauvres européens avec la densité de la population et le nombre de villes et villages qui quadrillent nos pays, la pollution lumineuse nous empêche d'accéder à ce merveilleux tableau étoilé.

Je savais que ce spectacle m'attendait mais la lune m'a empêché de le voir jusqu'à maintenant. Ce sont mes amis les coyotes qui m'ont prévenu que je manquais quelque chose. Merci à eux.

Je maintiens quand-même mon réveil à 5h30, histoire de ne pas me croire en vacances ;-) Mais je ne me suis pas stressé pour boire mon café. Ce qui en final n'était pas intelligent car il n'y avait pas un souffle d'air. La température est montée en flèche et je me suis rapidement retrouvé à suer sang et eau. La douche n'en sera que meilleure !

Arrivée à Lordsburg et retour à l'hôtel du grand départ... Sauf que maintenant je connais pas mal de monde qui m'interpelle au nom de "Nemo the crazy Frenchman". La ville est bourrée jusqu'à la gueule de hikers qui comparent leurs ampoules et s'échangent des infos sur la suite du voyage.

Il est 9h et je récupère ma chambre. Je suis en train de faire ce qu'on appelle un "Nero", diminution de "Near Zero" autrement dit le nombre de km fait dans la journée. Le "Zero" consiste à prendre une journée complète dans une ville pour se reposer. C'est ce que font les 2 allemands car si j'ai vu l'un carrément courir sur le Trail à 40 degrés, l'autre comptabilise une ampoule à chaque doigt de pied et grimace à chaque pas. Pourtant cela ne l'a pas empêché de pousser jusqu'à Lordsburg hier soir... Nous ne sommes pas prêts de devenir la première puissance économique d'Europe !

Ne croyez pas que la vie d'un hiker en ville soit de tout  repos. Il faut faire sa lessive, courir les magasins pour la nourriture, préparer son paquetage et...  lire ses mails. J'en ai d'ailleurs un adorable de ma petite femme qui me touche au plus haut point. Heureusement qu'elle est là sinon je ne serai pas l'homme que je suis. J'espère que mon absence prolongée ne va pas la faire trop souffrir. Mais tant qu'elle me soutient je continuerai.

Le parking du restaurant en face l'hôtel où j'ai mangé rempli de voitures de police. Rassurez vous personne n'a braqué la caisse. Il serait assez mal tombé !

Demain je reprends la route et finit la civilisation jusqu'à Silver City. J'arriverai pile poil pour les Trail Days.

Je ne l'ai même pas fait exprès. En plus, il s'agit de fêter les 40 ans du CDT. Comme quoi le destin...


dimanche 22 avril 2018

22 Avril - La Vie Sociale

Mon réveil sonne à 5h30. Il fait nuit mais le temps que je me prépare, je verrai le soleil se lever alors que je commence à marcher.
Mon voisin de chambrée s'appelle "Natural". C'est bien sûr son Trail Name. Il part sans déjeuner alors que je finis de boire mon café. Hike your own hike.


Ma gueule devant un "gate" (portail) du CDT. En fait même si c'est le chemin officiel, il faut passer par dessus des fils barbelés parce que le rancher du coin a décidé qu'il n'en avait rien à faire du passage des hikers. Mais nous ne risquons rien, c'est lui qui est en tort.

Je suis en pleine forme malgré les kilomètres que j'ai avalés hier. Je ne ressens aucune fatigue. Mon moral est au beau fixe et je me dis que j'ai peut-être une chance d'aller jusqu'au Canada. C'est bien prétentieux de ma part car nous nous sommes qu'au début du voyage.

Je marche depuis 1h quand je croise 2 hikers qui ravitaillent dans un point d'eau. Il engagent bien sûr la conversation après avoir donné leurs Trail names. Ils sont du Kentucky. Le garçon s'appelle "Sweet Baby Ray". Je n'ose même pas imaginer comment on peut se retrouver avec un tel Trail Name. Il me demande si en France nous avons un désert comme celui-là. À mon avis il doit difficilement situer la France sur la carte du monde. Cela ne l'empêche pas d'être très gentil et très curieux. 
"Finch", la fille, est beaucoup plus cultivée. Elle est déjà venu plusieurs fois en Europe et a déjà visité le Mont Saint-Michel. 
Bien sûr, ils ont entendu parler du Camino de Santiago et rêvent de le faire. C'est une constante chez tous les hickers américains que je croise : ils veulent tous faire le Camino. Quand je vois à quoi ressemble le CDT, je me dis qu'ils vont être déçus.
Aujourd'hui est ma journée sociale. Cela fait trois jours que je suis seul sur le CDT et voilà que je m'arrête pas de voir du monde aujourd'hui.
En fait je suis en train de rattraper les gens qui sont partis un jour avant moi. Nous sommes quasiment 10 personnes devant le premier point d'eau. J'ai retrouvé les deux allemands qui sont avec moi depuis le début et d'autres personnes que je ne connais pas. Cela fait trop de monde pour moi... Je ne suis pas venu pour marcher à la queue leu leu. 
Je décide de donc de ne pas ravitailler en eau et de poursuivre le chemin pour distancer le troupeau.

Néanmoins un hiker décide de se joindre à moi. Le plus étonnant est qu'il a entendu parler de moi. Il sait que je suis "Nemo" le français de service puisque tous les autres étrangers sont Allemands. Ça me rappelle le désert algérien où les rumeurs allaient plus vite que notre 4x4. Les gens nous connaissaient avant même qu'on arrive en ville. Il s'avère que mon nouveau compagnon fait le CDT pour la deuxième fois et qu'il a établi tout une série de tracés disponibles sur internet  que j'ai utilisés pour faire mon propre trajet.
C'est un vieux de la vieille et il a travaillé avec les gens qui ont fait le relevé officiel du Trail. Nous ravitaillons au prochain point d'eau. J'en profite pour l'abandonner alors qu'il décide de déjeuner.
Je voudrais un peu de temps pour moi. Je suis aussi ici pour ça.

En fait il a vraiment trop de monde aujourd'hui mais cela est dû au fait que nous approchons de la ville. Il est 16h et j'ai déjà fait 29 km. Il en reste 11 pour arriver à Lordsburg. Il fait une chaleur épouvantable car le vent a calé. Mon système de parapluie fixé la bretelle de mon sac à dos fonctionne à merveille. Je n'aurais jamais pensé à utiliser un parapluie pour me protéger du soleil mais j'ai trouvé cette astuce sur un  forum. D'ailleurs nombreux sont les hikers à utiliser ce principe et ça fait toute le différence pour lutter contre la chaleur.
Malgré l'efficacité de mon équipement, je décide de m'arrêter là. Je pourrais pousser la machine et faire à nouveau une journée de 40 km. Mais je ne veux pas jouer avec mon physique alors que nous sommes uniquement à la fin de la 1 ère section. Il reste encore 4400 km à faire.

Je plante la tente alors que les allemands décident de pousser en ville. Il rêvent d'une douche et d'une bière fraîche. Je les comprends mais on verra ça demain.

samedi 21 avril 2018

21 Avril - La Vie Animale

Ce matin, juste une barre céréale en guise de petit déjeuner me voilà parti alors que le soleil se lève à l'horizon. Je suis reposé et je me sens bien au milieu de ce désert. Mis à part l'air tout aussi sec que le Sahara, il n'a rien à voir avec son homologue africain. Il est couvert d'épineux de toutes sortes qui ne s'élèvent pas plus haut que la taille. On y trouve quelques arbres dans les rivières asséchées, mais ils sont très rares et leurs ombres très recherchées par les pauvres âmes qui errent avec des sacs à dos.

Les pluies torrentielles de l'été permettent à la vie de prospérer. Et elle est très riche. Hier soir un colibri est venu danser devant mon visage parce que je me reposais sous l'arbre qu'il "butinait". J'aurais pu le toucher. Je n'ai pas osé me saisir de mon appareil de peur de le faire fuir. J'ai profité du spectacle plusieurs fois car il semblait aussi intrigué que moi.

Ce matin je croise des lièvres par dizaines. Toutes sortes d'oiseaux et même 3 vautours qui planent au dessus de moi. Ils doivent sentir que je n'ai plus d'eau ;-)
Une fois au point d'eau, je refais les niveaux de mes contenants et je m'offre le luxe de me faire un café. Un coyote attend son tour et se cache derrière les buissons. Il trouve que j'abuse de prendre autant de temps.

Je continue mon petit bonhomme de chemin qui m'amène dans le lit d'une rivière asséchée que je dois suivre. Entre deux buissons, en plein milieu du lit de rivière je vois... mon premier serpent à sonnette. Il dort comme une pierre et je n'ai pas l'intention de le réveiller. Il est couleur de sable avec des rayures noires.
Comme il est au milieu du chemin, je décide de faire un détour pour le pas le déranger. Je regarde précautionneusement s'il n'est pas venu avec sa petite famille. 10 minutes plus tard, perdu dans mes pensées sur la vie reptilienne, un autre serpent détale sous mes pieds. Un peu plus et je marchais dessus. Il est gris avec un liseré rouge. Je ne pense pas qu'il s'agisse d'un serpent à sonnette. C'est un autre type, mais à savoir s'il est dangereux je préfère ne pas essayer.
En tout cas c'est fait, questions serpents j'ai eu ma dose pour la journée.

Mon plan est d'aller un réservoir que j'ai repéré sur la carte. Il est hors Trail. Je veux vraiment me laver car j'en ai marre de toute cette poussière qui me recouvre ainsi que mes affaires. D'après mes calculs cela fera une journée de 35 km ce qui est honorable pour un troisième jour.

Malencontreusement, comme d'habitude, mes plans ne fonctionnent pas comme prévus. Le premier réservoir d'eau que je croise est à sec. Qu'à cela ne tienne le deuxième réservoir est à 4 km. Je me dis que la malchance ne peut pas me poursuivre. Malheureusement le deuxième réservoir s'avère lui aussi tout aussi sec que le premier. Les quelques vaches qui s'y agglutinent espèrent que je leur amène de l'eau alors que je n'en n'ai plus moi même. En fait pour la troisième fois consécutive, je me retrouve à court d'eau sans aucun moyen de ravitailler. 
En fait de lavage, il ne me reste plus qu'à retourner à la cache d'eau sur le CDT pour faire le plein. Cela veut dire faire 10 km alors que la nuit tombe. De toute façon je n'ai pas le choix. Sans eau, je ne peux pas survivre. 

Cela m'apprendra à sortir du Trail. Comme dit mon fils Jules "qui fait le malin tombe dans le ravin". Et dans le ravin, j'y suis jusqu'au cou.

Je prends mon courage à deux mains. Je m'engage sur un chemin qui sur la carte doit théoriquement me mener directement à la cache d'eau. Malheureusement ce chemin est au milieu de propriétés privées. J'escalade des barbelés en espérant que le rancher du coin ne vas pas me prendre pour cible. Je ne me risque pas à allumer ma frontale de peur de me faire repérer. Je n'ose pas imaginer si le rancher appelle la police pour violation de propriété privée. J'ai déjà eu affaire à la police américaine pour avoir brûlé un stop et je n'en garde pas un bon souvenir. Bien sûr que je pense aux deux serpents que j'ai croisés dans la journée ce qui ne me rassure pas car je devine à peine le chemin dans la nuit noire. De là à mettre un pied sur un de leurs congénères et la journée serait complète. 

Finalement sortie au milieu de nulle part, pile au bord du chemin, je tombe enfin sur la cache d'eau. J'allume ma frontale pour voir qu'une autre tente s'est installée juste à côté de l'armoire où sont stockés les bidons d'eau. Le cauchemar est fini et à mon tour j'installe mon abri pour la nuit. Je regarde mon GPS pour m'apercevoir que j'ai parcouru 49 km aujourd'hui. Cela ne représente que 39 km sur le CDT. J'ai donc fait 10 km de plus juste pour voir deux réservoirs à sec. On ne m'y reprendra plus.

Étonnamment, je me sens physiquement très en forme je ne suis même pas fatigué. Il s'agit néanmoins d'un record  pour moi car je ne me rappelle pas avoir déjà parcouru une telle distance de marche sur une journée. Cela me rassure pour la suite voyage.

Je me fais rapidement à manger et je vais vite me coucher car demain est un autre jour.

vendredi 20 avril 2018

20 Avril - Au Milieu Du Desert...

Je suis toujours en décalage horaire et je me réveille à 4 heures. J'ai la tentation de plier les affaires et de repartir sur le CDT. Mais je me rappelle que les serpents sont surtout actifs la nuit et que j'aurai du mal à les voir à la frontale. Je vais marcher de jour comme ça je verrai aussi le paysage.

À 7 heures j'ai fait mon blog - d'où moult détails que vous n'aurez plus quand je serai calé - et mon sac et prêt. Je retourne sur le CDT par le chemin que j'ai pris hier. Le Trail est de plus en plus difficile. Les balises, de simples poteaux en bois plantés dans le sol sont invisibles dans la végétation. En principe - du moins en France - lorsqu'on se positionne à une balise on voit la suivante. C'est le principe : on avance de balise en balise. Pas ici. À vous de deviner où se trouve la suivante. Comme en plus il n'y a pas de chemin et des ravines dans tous les sens, le CDT vire au cauchemar. Je comprends mieux pourquoi j'ai croisé autant de marcheurs qui prenaient la route. Sans GPS, il est impossible de s'en sortir. Et même avec c'est loin d'être une partie de plaisir. Je finis par recroiser 3 personnes de mon 4x4 de l'aller : 2  allemands et une new-yorkaise. À la mi journée nous sortons de ce cauchemar pour reprendre un chemin plus normal. La dernière cache d'eau affiche sur sa porte que le prochain point d'eau est à 14 miles. C'est le défaut de ne pas être en km. Je ne m'inquiète pas plus que ça et j'ai tort. En effet, j'ai parcouru 27 km quand je m'inquiète du prochain point d'eau. Mon ami le GPS me donne rapidement la réponse : 10 km. C'est pas vrai je me suis encore fait piéger ! Comble de bonheur nous avons attaqué les collines et les montées se succèdent aux descentes. Je n'ai pas réussi à manger à midi. Depuis que je suis parti, je n'arrive pas à m'alimenter correctement. Il est vrai que la bouffe américaine achetée au supermarché n'aide pas. Je trouve tout immangeable même les barres céréales qui sont supposées me donner de l'énergie entre les repas.
Bref on ne peut pas faire 37 km de désert dans les collines sans énergie. Je décide donc de m'arrêter au bout de 30 km et de faire du "dry camp" autrement dit sans point d'eau et en autonomie.
J'ai assez d'eau pour manger un lyophilisé français que j'ai embarqué. Pas de lavage donc je me coucherai avec les affaires du jour. Je suis couvert de poussière et je ne veux pas contaminer mes vêtements de nuit.

Demain une barre céréale pour démarrer et on ira boire le café au prochain point d'eau. Il me reste un demi litre et ça devrait le faire pour 7 km.

jeudi 19 avril 2018

19 Avril - Crazy Cook Monument

Ça y est le grand jour est arrivé ! Je me pointe à la réception à 6h comme demandé. Je retrouve ceux qui seront  mes compagnons de  voyage et de galère pour les mois à venir. La population est plutôt jeune. Il y a seulement un autre "vieux" et une mère qui accompagne sa fille. Tout le monde à l'air endormi. Je vais me chercher un café. Il y a un hiker américain typique avec sa barbe et son chapeau de cowboy vissé sur la tête. Il se jette sur moi pour me serrer la main et se présenter. Je n'ose pas utiliser mon Trail Name et je vois son regard dépité à essayer de comprendre mon prénom. "Laurent" n'est jamais passé au US. Faut vraiment que je me mette à Nemo. 
Radar débarque pour nous indiquer que le Shuttle nous attend. En fait de Shuttle, il s'agit de 2 énormes 4x4 de 6 places rutilants neufs même s'ils sont couverts de poussière. Des sacs poubelles, eux aussi poussiéreux à souhait, sont disposés sur le plateau du 4x4. Il faut mettre nos sacs dedans avant d'embarquer.

Voilà la chose faite et je me retrouve avec 5 inconnus. Tout le monde se présente. En réalité sur le groupe de 10, seulement 3 personnes sont américaines. Tous les autres sont européens. Les allemands sont les plus représentatifs avec 5 personnes, plus une hollandaise et moi. Bien la peine d'avoir traversé l'Atlantique pour se retrouver avec des voisins.

Ceci étant dit, ils sont tous experts en marche. Traversée des Alpes, Pacific Crest Trail... Aucun débutant sur du long trail sauf moi. Pas de quoi me décourager. 

Après 2 heures de route goudronnée, nous arrivons à Hachita où est venu se perdre mon camarade Drew. Hachita, comment dire ? Un bidonville avec des maisons à moitié détruites. On se dirait dans un pays du tiers monde. Une station service, restaurant, drugstore, antiquaire... Bref le seul magasin du village. 
Une pause pipi plus tard nous repartons. C'était notre dernier contact avec la civilisation...
Sur la route, nous croisons des hikers. Visiblement un blessé qui doit se faire évacuer. Une simple entorse mais le voyage s'arrête là. Nous bifurquons sur un chemin de terre complètement défoncé. Il s'avère qu'il pleut très fort au mois d'août ce qui détruit le chemin. Je vois exactement de quoi il s'agit, on retrouve le même phénomène dans la colline provençale.
Nous croisons encore des hickers. C'est vraiment étonnant d'en voir autant. Certains ont décidé de passer par la route plutôt que de suivre le Trail. D'autres abandonnent car ils sont blessés ou épuisés. J'ai l'impression d'un soldat qui part au front et qui rencontre ses premiers blessés de guerre. La pression monte d'un cran et plus personne ne parle dans le 4x4. Ce n'est pas impossible qu'ils pensent la même chose que moi.
Après 2 heures à se faire secouer dans tous les sens, copieusement arrosés de poussière, nous arrivons à destination. Nous sommes tous heureux de voir ce fameux monument que nous connaissons tous en photo. Nous récupérons nos sacs et nous les installons sous le auvent prévu à cet effet. Juste derrière nous se trouve la frontière mexicaine. Visiblement les maçons de Trump sont en grève car la frontière est matérialisée par un simple barbelé. Et pour nous rappeler que c'est pas pour cela qu'un immigrant est le bienvenu, nous voyons surgir deux 4 roues montés par des gardes frontière casqués, armés et portant gilet pare-balles. Je ne sais même pas d'où ils sortent. Ceci n'affole pas nos chauffeurs qui se retournent à peine devant la démonstration de la patrouille des frontières. À mon avis, ils viennent faire leur show tous les jours à chaque arrivée de candidats au CDT. Cela doit rassurer leurs compatriotes sur le fait que la frontière est bien gardée. Manque de bol, il y a surtout des Européens ce coup ci...
Après l'inévitable séance de photos, nous mettons nos sacs sur le dos et nous voilà partis pour la grande aventure. Le début est assez simple car le chemin est bien marqué. Il y a par contre des traces dans tous les sens et il faut bien suivre les poteaux qui sont très éloignés les uns des autres.
Il fait chaud mais ça reste supportable car il y a du vent. C'est seulement quand il cale qu'on se retrouve dans la fournaise. L'air est extrêmement sec et je bois beaucoup. J'ai 4 litres avec et donc largement de quoi tenir la journée. La première cache d'eau est à 22 km et j'y serai avant de tomber à sec. J'ai le plus gros sac du groupe et donc le plus lourd. N'oublions pas que je suis l'amateur de service et malgré mes efforts je n'ai pas réussi à faire dans l’ultra-light. 
Je ne sais pas si c'est la chaleur ou le poids mais au bout de 19 km ma poche à eau est vide. J'ai ma réserve de 1 litre donc tout va bien. Quoique quand je la vide dans ma poche, elle se transforme en demi litre. Enfin la cache est à 3 km donc 1 l ou un demi litre, ce n'est pas ça qui va changer grand chose. Je marche dans le lit d'une rivière et c'est plutôt facile et agréable. Il n'y a pas beaucoup de dénivelé et c'est ce qu'il faut pour démarrer.
Brusquement le chemin part à gauche sur une pente très raide et se transforme en un jeu de cache-cache avec les balises au milieu des cactus. 3 km un peu musclé n'ont jamais effrayés un marcheur même en fin de journée... Quoique j'en ai plein les bottes et que j'aurai bien fini ma journée dans le lit de la rivière desséchée.
Je marche et galère depuis trop longtemps pour ne pas commencer à m'inquiéter. Je sors mon GPS pour m'apercevoir que j'ai manqué la cache d'eau. Elle n'était pas directement sur le trail et il fallait continuer dans la rivière pour la trouver. Je l'ai dépassée de 2.5 km. J'ai tiré sur ma réserve d'eau et il ne doit plus rester grand chose. 2 solutions se présentent à moi. Soit faire demi tour et galérer à nouveau dans l'autre sens, avec la joie de recommencer demain matin soit continuer jusqu'au prochain point d'eau. Il est indiqué à 4 km sur mon GPS. Je n'ai pas grand chose comme flotte et si les indications que j'ai trouvées sur internet ne sont pas exactes, je risque de ne pas trouver d'eau à l'arrivée. Il faudra alors faire tout le chemin en sens inverse complètement à sec. Comme je suis vraiment débile, je décide d'aller de l'avant.
 
La suite du chemin s'avère encore plus difficile et les montées éreintantes. Je commence à fatiguer et j'avale ma dernière lampée d'eau alors qu'il reste une heure de marche. Je trouve l'intersection qui doit me mener au point d'eau. Il se trouve à 1.5 km du CDT et je devrai les refaire demain matin. Ce n'est pas grave tant qu'il y a de l'eau. Le chemin descend mais je ne vois pas d'eau. Il y a au loin un forage avec son éolienne mais elle est au moins à 10 km sur le plateau. Pourvu qu'il n'y ait pas d'erreur de position géographique sur mes coordonnées. 
 
Je ne suis vraiment pas rassuré quand au détour d'un virage, le miracle se produit : une piscine olympique hors sol remplie d'eau. L'eau est verte mais mon filtre va s'en occuper. Je bois directement depuis le filtre tellement j'ai soif. En réalité je suis complètement déshydraté et je m'en suis pas aperçu tellement j'étais concentré sur mon objectif. Je bois au moins 2 litres comme un trou mais mon mal de crâne ne passe pas. Quasiment 27 km au compteur, pas mal pour un premier jour.
Finalement je suis mieux loti que le groupe qui a stoppé à la cache d'eau. J'ai de l'eau à volonté. Je me lave, je fais ma lessive et j'ai de quoi faire la vaisselle.
Alors que je prépare ma popote, je vois un cavalier à l'horizon et il se dirige directement vers moi. Comme ma seule référence sur les cowboys se limite aux westerns de mon enfance, j'espère que je ne vais pas finir au bout d'une corde pour avoir volé de l'eau.
Mon cowboy s'avère être une cavalière accompagnée d'un autre cheval qui transporte son matériel. Gillian, c'est son nom, fait elle aussi le CDT mais à cheval. Elle est de Los Angeles et à fait plusieurs fois le PCT à cheval. Elle cherchait un challenge plus exigeant et elle s'attaque au CDT pour aller jusqu'au Canada. Décidément il n'y a pas de débutants ici à part moi. Elle doit avoir dans les 30 ans et je trouve que ce petit bout de femme a vraiment du cran de traverser les USA à cheval et sans assistance ni compagnon de route. 
Nous installons nos campements de chaque côté du réservoir d'eau. 
La nuit se passe avec une tempête de vent qui manque d'arracher ma tente. Le sol est si dur que j'ai tordu les piquets sans pouvoir les planter. J'ai accroché mes cordes dans les buissons mais les fils ne sont pas tendus et la tente fait un boucan d'enfer. Le sol est couvert d'épines des buissons environnants. Pas un seul buisson sans épine ! Résultat une épine traverse le tapis de sol et me voilà au milieu de la nuit en train de réparer mon matelas gonflable.
Il faut dormir. Demain est un autre jour et je regarderai mieux mon GPS pour ne pas me refaire une blague.

25 août - Sospel > Menton

Il est 6h, l'heure des braves et de l'apparition du soleil. Je suis tellement proche d'eux que je réveille les squatteurs du jar...