samedi 31 juillet 2021

Salardu

La pluie a enfin cessé cette nuit. Néanmoins l'humidité est omniprésente et même sur mon duvet lorsque j'y passe la main. Tout est trempé et rien ne peut sécher sans que le soleil ne revienne.

Ce matin, je n'entends toujours pas  la pluie s'écraser sur le toit de a tente. Je glisse un œil dehors et les nuages sont toujours bien présents et cramponnés aux montagnes environnantes. Pas une minute à perdre, je profite de l'accalmie pour prendre mon petit déjeuner et plier les affaires dans des conditions décentes. Je grince toujours des dents quand je dois mettre des affaires mouillées - et malodorantes - en sortant directement du duvet. Le pire sont les chaussettes et les chaussures qui regorgent d'eau.

Je reprends mon plan de la veille qui est de prendre le chemin carrossable plutôt que le sentier boueux parallèle que j'aperçois de temps en temps. Mon objectif est d'aller le plus vite possible à Salardu pour me mettre au sec et prendre une bonne douche chaude.

Je suis détendu sur ce chemin où je n'ai pas besoin de regarder mes pieds à chaque pas pour me tenir en équilibre sur des rochers ou des racines. C'est vraiment plaisant de marcher naturellement sans être concentré à ne pas chuter. J'ai 10 km à faire et ce matin je vais utiliser les routes pour véhicules au maximum.


Le chemin carrossable se transforme d'ailleurs en route goudronnée. Je suis tellement bien que exceptionnellement je décide d'aller jusqu'à la ville par cette route. Avec l'humidité, il fait vraiment froid. Je ne quitte pas ma doudoune et, comme hier sous la grêle, je mets mes gants. Oui pour le 1er août, je suis équipé pour aller au ski et je n'ai pas bien chaud.
Même mon chapeau a pris l'humidité et a la même tronche que son propriétaire

Alors que je descends vers la ville, je croise de plus en plus de véhicules qui en viennent et qui montent vers la montagne. Plus l'heure tourne plus le nombre de véhicules croît. Nous sommes Dimanche et les randonneurs se rendent sur les sites de marche. J'espère qu'ils ont prévu leurs vêtements de pluie.

J'ai enlevé le mode avion de mon smartphone pour appeler le plus tôt possible et réserver une chambre. Salardu est au pied d'un domaine skiable et le nombre de véhicules que je croise me laisse penser que la zone est aussi touristique en été qu'en hiver. Je ne souhaite pas recommencer l'expérience de Parzan et je détesterai finir au camping. Je voudrai me mettre "hors d'eau". Le premier hôtel que j'appelle a de la place et m'indique que même si la chambre se donne habituellement à 17h, elle va être nettoyée immédiatement pour qu'elle soit disponible dès que j'arrive. Quelle différence avec la France ! Je précise qu'il ne s'agit que d'un hôtel 2 étoiles et qu'on ne m'a même pas demandé le no de ma carte de crédit pour ne pas "m'éjecter".

Je continue à descendre la vallée et je vois au loin un barrage. L'hydroélectricité est omniprésente des 2 côtés de la frontière. Je ne compte plus les barrages que j'ai vus dans les Pyrénées même dans les endroits les plus improbables.

Bientôt c'est la station de ski que j'aperçois. Je suis étonné par ce complexe propret et de bon goût.
Je suppose qu'il s'agit d'une station de luxe côté Espagnol.

La ville de Salardu est aussi très belle tout en pierre. Tout est nickel et je me croirais presque en Suisse si les plaques des voitures n'étaient toutes espagnoles.

Je suis content d'arriver car j'ai surestimé ma capacité à pouvoir supporter de manger du goudron. J'ai croisé bien trop de véhicules. Le soleil a aussi fait son apparition ce qui ne fait pas bon ménage avec le goudron.

Je sens mon sac qui commence à sécher alors que jusqu'à maintenant il s'egouttait sur mes jambes à chacun de mes pas. Sensation particulièrement désagréable s'il en est.

Après avoir pris possession de ma chambre - prête comme promise, je décide d'aller manger un morceau.
Mais on mange tard en Espagne. Inigo m'a dit que 14h était l'heure idéale mais que vers 13h/13h30, on pouvait trouver des restaurants ouverts.

Je trouve un bar restaurant, donc ouvert, et comme tout le monde est à l'apéro, je suis le premier à vouloir manger (un marcheur français meurt de faim à 13,h30 ! ).
Vers 14h, les gens commencent à arriver et occupent mollement les tables extérieures du bar pour discuter plus que pour manger. L'heure espagnole n'est vraiment pas une légende.
La petite terrasse est maintenant pleine quand arrive une jeune femme qu'on case sur une petite table dans l'entrée.
Je la remarque car cette petite blonde porte uniquement des vêtements de hiker. Je suis persuadé que c'est une HRPiste car le GR ne passe pas par Salardu. Elle est dans le passage, tout le monde lui marche dessus mais aucun serveur ne s'en occupe. 

J'ai une grande table ronde pour 4 et j'ai réussi à trouver le serveur qui parle anglais. Je voudrais lui proposer de partager ma table et de l'aider mais je me dit qu'elle va me prendre pour un vieux pervers qui veut la draguer. Elle doit avoir 25 ans à tout casser donc grosso modo l'âge de mon fils aîné. Donc je laisse mes préjugés prendre le dessus et je ne l'aborde pas. Effet secondaire de #Me Too. Je rumine parce que je trouve ça débile. Elle serait un homme, vieux de surcroît, je n'aurai pas hésité une seule seconde. Comme pour elle la situation ne s'améliore vraiment pas et que je la vois de plus en plus nerveuse et frustrée, je me décide à franchir le pas et lui propose de partager ma grande table. Elle est ravie de pouvoir quitter son inconfortable position et me fait un grand sourire en se précipitant sur une chaise libre. Comme quoi je suis vraiment débile. On nous bourre tellement le crâne contre le harcèlement que ça finit par empiéter sur les simples relations sociales. A vouloir tout aseptiser et réguler, on tue l'entraide et le partage. Je lui explique rapidement que je fais le HRP et que je suppose qu'elle aussi afin d'éliminer toute ambiguïté sur mes intentions. Nous faisons partie de la même tribu où l'entraide est le mot d'ordre. Elle me répond bien sûr qu'effectivement elle est sur le HRP et qu'elle le fait avec son petit ami avec qui elle est momentanément séparée à cause du mauvais temps. Voilà les choses bien claires entre nous en quelques secondes et nous pouvons sereinement échanger entre hikers. Edyta est polonaise et parle un excellent anglais pour avoir travaillé quelques mois aux US. Ceci nous permet de papoter comme de vieux amis jusqu'à 16h30. En fait, même les Espagnols ont fini de manger quand nous quittons le restaurant. On se dit adieu en espérant se revoir un de ces jours sur le trail.

L'épicerie de Salardu est plus que minuscule et on y trouve pas grand chose. Je suis déçu et je dois ravitailler pour 4 jours avant de repartir. D'après ce que m'a dit Edyta, la ville proche de Vielha est plus importante et un bus y amène toutes les heures. Voici mon objectif de demain puisque je prends mon premier jour de repos, mon premier zero (pour zéro km effectué sur le trail). Repos ne veut jamais dire ne rien faire quand on est hiker...

En route pour Salardu

Je n'ai pas eu besoin d'attendre très longtemps pour tester l'étanchéité de ma tente. Hier soir, j'étais comme un enfant profitant des lacs, émerveillé par les montagnes tout autour de moi, ébloui par le coucher du soleil. J'ai mangé en regardant le vent chasser les nuages. Certains se dissimulaient derrière les montagnes, essayant incidieusement de se glisser par dessus les crêtes, d'autres remontaient depuis la vallée essayant de passer le col. A chaque fois, le vent les attrapait dès qu'ils montraient le bout de leur nez et les envoyer valdinguer d'où ils venaient. Pas un n'a réussi à passer.

Je suis couché confiant en ayant passé une excellente soirée et en me disant que le spectacle des montagnes mêlées aux lacs seraient encore plus fabuleux au réveil.

Malheureusement dans la nuit, mon ami le vent est parti vers d'autres cirques. Les nuages tapis dans l'ombre ont profité de son départ pour prendre sa place. Et pas des gentils de nuages ! Ils ont fait venir leur pote le tonnerre avec ses frères les éclairs et le grand randam a recommencé. 

Bien sûr j'ai eu peur d'une attaque de grêlons mais pas plus que ça. Surtout que très rapidement c'est un déluge d'eau qui est tombé. J'ai bien vérifié ma tente. Pas de fuite. J'étais bien calé dans mon duvet et j'ai attendu que ça passe. Après tout un orage ne dure jamais longtemps en montagne. Sauf que ça a duré et toute la nuit. Avec plus ou moins d'intensité mais cela fait beaucoup d'eau en final.

A 6h je me suis dit que je n'étais pas pressé et que j'allais attendre 1h que ça cesse. A 7h pareil. A 8h je me suis dit que j'allais passer la journée là et qu'il fallait que je bouge. Oui j'allais marcher sous la pluie, que ce n'était ni la première ni la dernière fois. C'est quand j'ai bougé pour mettre mon plan à exécution que j'ai vu l'ampleur des dégâts. La tente était remplie d'eau comme une baignoire. Et pas à cause du tapis de sol mais parce que l'endroit où j'avais mis ma tente se transformait en lac. Même mes sardines n'était plus visible sous l'eau. Je dors sur un matelas donc je n'ai pas senti l'eau monter. 

Il fallait donc que je parte au plus tôt pour sauver mon duvet avant que le niveau ne soit trop haut. Dehors il tombait toujours des cordes. J'ai tout préparé. Il ne restait que la tente à plier et ranger pour démarrer la journée. Mon ange gardien toujours aux aguets m'envoie une accalmie pour que je puisse faire mon sac et partir dans de bonnes conditions. Vraiment il aura bien assuré son service sur la HRP.

Au sujet de la HRP, je décide de la laisser tomber pour retourner sur le GR. Je ne suis pas partant pour une séance aventure dans les nuages et sous la pluie. Mon idée est de me rendre directement à la ville de Salardu par le chemin le plus direct. Mais ça fait 27km et je ne connais pas le dénivelé pour m'y rendre. Je me doute bien que je n'y arriverai pas mais il faut bien que je le tente.

Je refais le chemin de la veille à l'envers pour retourner sur le GR. Je regrette de laisser les lacs mais je ne vais rien voir si je continue le HRP. D'ailleurs je croise des HRPistes dans les 2 sens. Ils se sont tous répliés sur le GR et cherchent désespérément un refuge où passer la nuit. Il paraît qu'on est Samedi et que tous les lits sont réservés depuis des semaines. Je ne suis pas sûr que les randonneurs du weekend vont venir vu la météo mais les refuges n'acceptent personne. Personnellement je n'irai pas dans un refuge mais personne ne croit à mon plan de faire 27 km sous la pluie.

Effectivement ça s'annonce très mal. Il ne pleut pas continuellement mais les accalmies sont rares. Comme à chaque fois, les nuages s'écrasent sur les montagnes et l'on y voit rien. Il a vraiment beaucoup plu. Les sentiers sont soit des marécages soit des rivières. Chaque pas est une roulette russe pour ne pas glisser. Les arbres dégoulinent d'eau et traverser des hautes herbes ou des buissons vous trempent copieusement.

Le GR est bien technique entre les pierriers et les racines d'arbres. En plus il descend pour ensuite remonter à la verticale vers le refuge. Ce n'était pas le cas du HRP qui restait à niveau. Je me demande si je n'ai pas fait une bêtise avec ce GR... Lorsque j'arrive au refuge je vois 4 hikers en train de discuter dehors sous le auvent. Je décide de ne pas m'arrêter alors qu'il est midi. Mais je n'ai fait que 7 km dans la matinée. Si je m'arrête, je ne repars plus. Je fais un signe de la main et je continue.
Le barrage sur lequel on marche avant d'arriver au refuge de la Restanca. A droite l'eau, à gauche le vide mais effectivement on ne voit rien...

J'ai 800 m à grimper et derrière 1500 m à descendre tout ça en 20 km pour Salardu. A la vitesse où j'avance c'est infaisable mais je m'élance. Pluie, vent, grêlons. Rien ne m'est épargné. C'est dur mais je suis lancé et les kilomètres défilent au gré des intempéries. Physiquement ce n'est pas difficile puisque j'avance très lentement mais il faut vraiment regarder chacun de ses pas. J'ai mis un roman québécois en livre audio "Taqawan" de Éric Plamondon. Très enrichissant sur la politique canadienne des années 70 et sur les problèmes avec les premières nations. 

Avec tout ça je passe 2 cols dont le dernier sous un déluge de grêlons. Heureusement que j'ai un parapluie pour le protéger car les impacts sont douloureux.

Je passe devant un autre refuge que j'ignore tout autant que le premier et descend dans la vallée. Je n'ai pas vu grand chose des paysages de la journée qui paraît il sont à voir. Dame nature en a décidé autrement. 

J'arrive sur un chemin carrossable. Le HRP veut me renvoyer dans la boue et la forêt alors que le chemin carrossable est parallèle. Il me reste 10 km pour Salardu. Je regarde ma montre, il est 18h30. Je ne serai pas à Salardu avant 21h. Il est Samedi et je ne suis pas sûr de trouver un hôtel. En suivant la route carrossable, je tombe sur une zone à pique nique aménagée avec table, herbe coupée et source d'eau. Bien évidemment le site est désert vu les conditions climatiques. Le tonnerre gronde de plus en plus fort et je décide de ne pas faire le malin. Alors que je plante la tente, le ciel me tombe à nouveau sur la tête. Nouvelle pluie de grêlons suivi de trombes d'eau. Je me réfugie sous la tente encore trempée d'avoir servi de baignoiree ce matin. Je n'en sortirai plus avant demain matin pour faire les 10 km restants. Je fais ma popote et me glisse rapidement dans mon duvet pour avoir moins froid. Mais avec l'humidité ambiante, la nuit ne sera pas des plus agréable...

vendredi 30 juillet 2021

Lac Rius

Hier soir je me suis couché après avoir accompli ma tâche quotidienne de raconter ma journée. J'étais serein. Grosse journée bien accomplie. J'ai rangé mon téléphone. Au moment de fermer les yeux, j'ai eu la sensation de flashes qui dansaient devant mes yeux. Des lumières venaient et partaient de manière régulière. Comme si j'étais à côté d'un phare mais la mer me semble un peu loin. Je me suis dit que c'était la fatigue... Mais ça revenait avec insistance. J'ai pensé à un marcheur et sa frontale mais ça ne collait pas. Comme ça ne voulait pas s'arrêter, j'ai fini par mettre le nez dehors. C'était une succession d'éclairs dans le ciel. Comme je n'entendais pas de tonnerre, je me suis dit que c'était très loin et je me suis recouché. Sauf que le tonnerre est arrivé sur moi très très rapidement. Et avec lui les éclairs. Personnellement, la pluie quand je suis sous la tente ne me gêne pas vraiment. Je suis au chaud dans mon duvet et tout va bien. J'attends tranquillement que ça passe.

Le ciel s'est vraiment énervé et le tonnerre n'arrêtait pas de gronder. Je savais que ça allait tomber très sérieusement. Et effectivement ça s'est mis à tomber. Le bruit sur la tente était monstrueux. Je n'avais jamais connu ça. J'ai mis la main sur la toile mais je n'ai pas pu la laisser tellement les impacts étaient douloureux. J'ai allumé ma frontale et vu le sol couvert de grêlons d'un diamètre d'une pièce de 2 euros. L'intensité a augmenté et je voyais les impacts sur ma toile de tente. Je me suis dit qu'elle ne tiendrait pas. Et effectivement elle n'a pas résisté. Quand le déluge de glace à cessé, j'ai trouvé 3 trous dont un d'une longueur de 10 cm. 

Je ne pouvais pas rester comme ça car l'orage continuait de tourner autour de moi et le tonnerre était de plus en plus fracassant. Il n'était tombé que de la glace et pas une goutte d'eau. Ça n'allait pas tarder. J'ai donc sorti mon kit de réparation mais j'ai pris le minimum. Je n'ai pas de quoi boucher une déchirure de 10 cm. La toile est trempée et mon scotch ne tient pas. Je fais comme je peux en attendant la pluie.

Soudain j'entends au loin un grondement qui se rapproche. Je n'arrive pas vraiment à distinguer l'origine du bruit mais plus ça se rapproche, plus c'est significatif. Il s'agit du bruit des grêlons qui se fracassant sur les rochers. Ça vient vers moi très vite comme une vague ou plutôt comme un tsunami. La pluie de sauterelles s'abattant sur les champs d'Égypte. Mon cerveau tourne à pleine allure. Une fois sur moi, ma tente va être lapidée. Il ne restera rien de mon abri comme lorsqu'une tornade arrive sur une maison. Qu'est que je peux faire ? Je ne trouve rien d'intelligent et reste planté comme un lapin devant les phares. J'espère que la pluie de grêlons va changer de direction. C'est ce que doivent se dire les victimes d'un ouragan.

Le bruit n'est plus qu'à quelques mètres et mon destin est fixé. Je vais passer à la broyeuse. L'attaque est encore plus furieuse que la première fois et la tente plie sous le poids des impacts des grêlons. Je vois distinctement le mitraillage ou plutôt le bombardement de chaque morceau de glace. Sans que je comprenne comment ma tente est encore debout lorsqu'arrive le déluge d'eau. La répartition de la déchirure n'a pas tenu et l'eau rentre dans la tente. Mais ça ne dure pas. Juste une minute comme la première phase avec les grêlons en éclaireur. Derrière vient le vent d'une violence incroyable qui écrase la tente sur moi. Les sardines tiennent le choc et la tente est encore debout lorsque la vague me dépasse et poursuit sa route. C'est terminé pour le moment. 

Je fais le tour de l'abri. Recolmate les brèches, évacue l'eau et prie pour éviter une 3eme vague de grêlons. L'orage tourne en rond au dessus de moi. Il n'arrive pas à se décider à lâcher de l'eau. Le tonnerre reprend son tintamarre. Il pleut mais quelques gouttes et puis tout s'arrête, l'orage s'éloigne. C'est terminé. Il est 1h20 du matin à ma montre. Pas sûr que je m'endorme sereinement maintenant. Ma tente est cloquée de partout, mes réparations ne ressemblent à rien. Tout ce que je peux faire c'est d'attendre demain au jour pour voir  l'étendue réelle des dégâts.

Bien entendu à 6h, au lever du soleil je suis parfaitement réveillé. Ma nuit courte a été agitée autant que la soirée. Je reprends mes réparations en passant le scotch qui me reste. C'est franchement moche mais ça devrait tenir. La tente est pleine de cloques mais il va falloir attendre la prochaine pluie pour savoir exactement où on en est sur l'étanchéité. Il ne me reste plus qu'à boucler mon sac et reprendre la route.


Je suis fatigué car je n'ai pas pu récupérer. La journée commence par une super descente. Nous sommes toujours dans un pierrier mais version jungle. Il y a des arbres partout. Les racines recouvrent les rochers. L'orage les a trempées et le mélange rocher, racine, boue est extrêmement glissant. Je dois faire attention à chaque pas et dès que j'essaye d'accélérer, je glisse systèmatiquement.

Le sol est recouvert de feuilles des arbres. Comme en automne mais les feuilles sont vertes. Elles ont été arrachées par les grêlons.

La comparaison avec la jungle n'est pas exagérée. Il fait très chaud ce matin et avec la pluie l'air est extrêmement moite. Plus je descends plus la végétation est luxuriante. A tel point que le GR a été nettoyé, sûrement à la machine, pour permettre aux randonneurs de passer.

La pente est moins forte et je suis le torrent que j'entendais gronder quand je plongeais dans la vallée. Je croise un gamin qui joue avec son téléphone. A priori, il y a du réseau dans le coin. Effectivement je m'approche d'une nationale et avec elle d'une connexion Internet.


Je profite du retour à la civilisation en tapant sur mon téléphone comme un ado. Mais je dois reprendre la route. Elle longe la nationale. Des parkings et des zones de piques niques sont aménagés un peu partout. Il y a beaucoup d'espagnols qui profitent du beau temps et font des barbecues. On dirait un Dimanche mais je n'ai aucune idée du jour qu'on est. Syndrome classique du hiker qui perd toute notion du temps.

Il est 14h et j'arrive devant un refuge qui est l'objectif du jour. Il est bien trop tôt et je décide d'entamer le jour suivant. Mais les journées sont calées pour d'abord monter puis descendre. Pour résumer, je pars dans une grimpette dans l'après midi et je n'aurai sûrement pas le temps de descendre de l'autre côté. Je ne réfléchis pas plus que ça. Je ne regarde pas mes notes mais il s'agit de grimper 1125 m. Et je vais vite m'apercevoir de l'importance du dénivelé.


Je suis content de grimper à nouveau et faire fonctionner les muscles de la montée plutôt que ceux de la descente. Ça grimpe sec face à nous sur la pente la plus raide. Le paysage est toujours aussi grandiose et je ne m'habitue pas malgré les jours qui passent et la fatigue. A cause d'elle j'avance lentement mais je me sens invincible. Je ne comprends pas d'où vient ce sentiment. Je suis en train de souffrir dans une montée qui n'en finit plus et j'ai l'impression que rien ne va m'arrêter. D'ailleurs en levant les yeux, je vois de beaux nuages noirs qui m'arrivent droit dessus. Normal il est 16h. Je me dis que la foudre ne tombe pas 2 fois au même endroit et que j'ai déjà bien dégusté hier soir. L'orage ne peut pas me tomber dessus. Oui c'est une réflexion totalement débile mais on s'accroche à ce qu'on peut pour avancer. D'ailleurs j'ai raison car à part quelques gouttes j'arrive au sommet sans encombre. Et là je ne regrette pas ma décision. Il s'agit d'un plateau entouré de chaînes de montagnes où sont enfermés des 10aines de lac. 


Le site est grandiose. Je suis aux anges. Je vois des endroits où planter ma tente mais je ne sais pas si j'ai le droit et il n'est que 17h. Je continue donc ma route en suivant les marques du GR 11 comme je le fais depuis 3 jours. J'arrive au bout du dernier lac et je plonge dans la vallée. Il est 18h et je cherche maintenant un endroit discret. Je trouve quelque chose mais pas aussi beau que la zone des lacs que je viens de quitter. Je regrette de ne pas être rester là haut. 


Je regarde mon GPS pour m'apercevoir que je me suis trompé. J'aurai dû quitter le GR pour rejoindre le HRP au niveau des lacs. Pas question de rester sur ce GR si je peux retourner à ma vie d'aventurier au milieu des lacs.

Au moment de partir, je croise une jeune fille. Une HRPiste que je reconnais et qui me reconnait. Forcément on se cause. Gaby était dans la même zone que moi hier soir. Elle a connu le même phénomène météorologique. De ses mots, elle a cru qu'elle allait mourir. Elle a aussi sa tente qui est déchirée mais elle n'a rien pour réparer. Elle continue le GR pour quémander du scotch au prochain refuge. Elle ne veut pas passer une nuit dehors sans réparer sa tente. Elle me montre les nuages noirs en me disant que l'orage peut revenir. Je ne suis pas du même avis et je la laisse descendre pendant que je vole vers le HRP. Enfin voler... Il faut que je grimpe tout ce que j'ai inutilement descendu.

Dès que je reconnecte avec le HRP, le changement est radical. Plus de signe rouge et blanc, quelques Cairns et surtout absolument personne. Sur le GR c'est un défilé permanent d'ultra runners, de familles et de groupes d'enfants ou de personnes âgées. Ici pas une âme qui vive et le cadre est absolument fabuleux. Des lacs partout et juste pour moi. Je choisi un emplacement au soleil entre 3 lacs. J'ai une vue à 360 degrés sur les falaises. Je me baigne pour me laver... C'est le plus beau bivouac que j'ai fait depuis le début. Gaby aurait dû rester sur le HRP...
Vue depuis ma tente


jeudi 29 juillet 2021

Refuge d’Anglos

Je me suis installé dans le camping recommandé par le guide. Très sympa, style hippie, mais juste en dehors de la ville de Benasque. Suffisamment éloigné pour ne plus avoir accès à la 4G. Il y a quand même le wifi au bar mais il est vraiment poussif.

J'ai une famille de hollandais à ma droite et une bande de jeunes espagnols à ma gauche qui écoutent du heavy métal à fond depuis leur van. Je ne me suis pas méfié des hollandais. On en trouve dans tous les campings du monde même s'ils sont particulièrement discrets surtout en famille. C'est par eux que le drame est arrivé alors que j'étais persuadé que j'allais me prendre la tête avec les jeunes pour qu'ils arrêtent de me casser les oreilles.

Tout a commencé quand j'étais au bar en train de me battre avec le wifi. J'ai vu arriver la famille, papa, maman et les 2 enfants, un garçon, une fille. Visiblement tous les soirs ils viennent boire l'apéro et manger au bar. Alors que tout semblait se passer dans le meilleur des mondes, la jeune fille, un adolescente au cheveux bleus, est parti dans un monologue et s'est mise à pleurer. Elle a parlé pendant plus d'une heure, un monologue entrecoupé de pleurs sans qu'aucun membre de la famille ne dise un seul mot. Une crise d'adolescence comme on a pu en voir ailleurs. Au bout d'une heure, la famille s'est levée et est allée à son campement. Je pensais que l'affaire s'arrêterait là. Que nenni ! A 2h du matin, ils étaient encore en train de discuter à voix hautes avec la fille et à m'empêcher de dormir. J'ai fini par retrouver mes bouchons d'oreilles pour finir ma nuit. Leurs voix couvraient même le bruit du torrent qui longe le camping.

Ce torrent m'a joué un bien vilain tour. Ce matin j'ai retrouvé les affaires que j'avais lavées la veille encore plus trempées que quand je les ai mis sur la corde à linge. Il y a encore de l'eau qui sort quand je presse les manches. Je n'ai pas le choix et je dois enfiler ces affaires. On ne porte jamais ces affaires de nuit durant le jour. C'est une règle sacrée pour dormir au sec.

Tout cela démarre mal une journée pourtant épique. C'est la journée où je dois faire le plus de dénivelé positif et négatif de tout le voyage. J'ai 2252 m à monter et 1287 m à descendre. Ça me paraît monstrueux quand je vois dans quel état je finis avec 1000 m.

Je démarre donc à 7h30, trempé de la tête au pied avec une nuit pourrie par une ado hollandaise. Toutes les conditions sont réunies pour exploser les compteurs.

Nous sommes dans une vallée très encaissée, creusée par un puissant torrent qui coule en son creux. Il y a donc peu de chemin pour sortir de cette vallée sauf un chemin carrossable. Il est en pente douce car il a été creusé par l'homme à flanc de montagne. Les pentes sont très raides et je vois clairement les coulées d'avalanches qui ont tracés des coupures dans la ligne des arbres. Malgré la pente, les pins ont poussés absolument partout. En contrebas le torrent gronde à travers son défilé qui l'oblige souvent à se transformer en cascade.


Je suis encore le GR11. En fait je vais rejoindre le HRP demain mais en attendant je me suis transformé en GRiste. La faute à la météo. Les nuages ne m'ont pas lâchés et seront là demain. La pluie est à nouveau annoncée pour dans 2 jours. Chaque jour son arrivée décale. Chaque jour je me dis que je dois en profiter. A ce petit jeu, je n'arrivais pas à prendre une journée de repos avant la fin. J'ai 18 jours de marche au compteur, et pas des faciles, et pas un seul jour de repos... En tout cas, aujourd'hui est l'antithèse du jour de repos. J'avoue que je me pose de grosses questions sur ma capacité physique à pouvoir passer au travers et je suis plutôt concentré.

J'en profite même pour faire de la philosophie. J'ai amèné des podcasts de l'émission "les chemins de la philosophie" de France Culture et j'en profite pour les écouter. Comme tout scientifique, j'ai profité des cours de philo pour faire mes exercices de math et j'essaye de récupérer les dégâts maintenant que j'ai plus de maturité. Et rien de mieux que la philosophie quand on médite en marchant.

Il faut dire qu'elle est longue cette route en gravier gris. Heureusement qu'elle monte pour enlever du dénivelé à la journée. Comme tout, je finis par en arriver au bout. 

Les choses sérieuses commencent. Le GR emprunte maintenant une ancienne rivière avec ce que ça représente comme cailloux à grimper et à contourner. Le changement de rythme est aussi subit que brutal. On change aussi de paysage car on se trouve propulsé dans un cirque de roches blanches parsemées de pins tordus par les conditions climatiques. Nous sommes montés et la haute montagne est toute proche. Le cadre est superbe et me rappelle les Winds dans le Wyoming.


Il est midi et avant qu'on se retrouve dans les pierriers que j'entrevois à l'horizon, je décide de manger mon ramen dans l'herbe à côté d'un petit torrent qui coule gentiment. Autant profiter pendant qu'on le peut encore. De ce que me dis le GPS, il reste 500 m de dénivelé sur le 1er col.

J'ai bien fait de profiter car la montée au col est des plus physique. Le pierrier d'abord qui demande à chaque pas de jouer les équilibristes mais aussi les rochers à grimper avec les mains. Mon énergie fond comme neige au soleil. L'accès au col Ballibierna (2710 m) se fait sans quitter le pierrier dans une pente quasi verticale. Le col est en fait une brèche dans la crête qui permet de changer de vallée.

Évidemment c'est très beau. Mais le plus inquiétant est que l'autre côté est un pierrier à perte de vue. D'ailleurs je ne vois pas pourquoi ça serait autre chose vu ce que je viens de faire mais on espère toujours.


Je continue donc à crapahuter mais j'ai un 2eme col à faire, le Collet dels Estanyets à 2521 m.

Je n'ai pas quitté les pierriers depuis que je suis rentré dedans à 13h. Il est 16h30 et je passe devant un refuge moderne tout en aluminium. Logiquement, je devrai m'y arrêter mais j'ai décidé de faire ma section au complet. Il n'y a pas de raison d'ailleurs. Je ne suis pas en compétition et j'ai pris 2 jours d'avance sur le planning. Le manque d'oxygène ou trop de philo ce matin... En résumé, je suis un imbécile.

J'arrive en dessous du col qui est un réplique de celui que je viens de faire. Un immense pierrier vertical à grimper. Je n'ai plus de jus et je ne sais pas comment y arriver. J'ai juste à faire demi tour pour aller au refuge que je viens de passer. J'ai mal à la cheville droite et au genou gauche. 

Et là je comprends que c'est mon corps qui me fait son cinéma. Pas question de me faire avoir. Je m'engage dans la côte et ne ferai pas demi tour. On va aller chercher ce qui nous reste car il en reste j'en suis sûr. Et bizarrement pas après pas, les fameuses douleurs disparaissent aussi vite qu'elles sont apparus. Mais il faut quand même trouver la force à chaque mouvement. Mais pourquoi je m'impose ça. Personne ne me regarde. Personne ne le saura jamais. Je n'aurai même pas de médaille en chocolat, comme celles qu'on distribue lorsqu'on fait des compétitions de course à pied. Non il s'agit d'un plaisir solitaire, égoïste, pour s'épater soit même et être fier de soi. Je l'ai fait donc je suis grand beau et intelligent. La nature humaine avec ses faiblesses qui lui fait accomplir des choses qu'elle pensait impossible.

Le col vaincu, le paysage qui s'offre à mes pieds est la fois magnifique et rageant. Magnifique ces 3 lacs en affilade. Rageant ce pierrier à perte de vue. Je n'en peux plus de jouer à saute montons. Mais il n'y a rien que je puisse faire sauf reprendre ma route et la descente en espérant que bientôt je quitterai ce champ de rochers.


Derrière moi arrive un important groupe de marcheurs espagnols. Ils sont bruyants. Ils sifflent, ils s'invectivent à tue tête et chantent ensemble des chansons qui les fait mourrir de rire. On les entend à des kilomètres à la ronde et leur attitude fait tâche dans le silence des pierres. On dirait des soudards en vadrouille. Une attitude de mecs bien machos comme on en voit trop souvent !

Enfin je vois le refuge, objectif de la journée. Je n'irai pas au refuge qui n'est même pas gardé et je n'irai pas plus loin non plus. J'ai rempli le contrat mais je suis lessivé. 5h de pierriers ont eu raison de moi.

Je n'ai vu aucune tente sur le parcours et je n'en vois pas non plus autour du refuge. Je crois qu'ici le bivouac est interdit. Mais Inigo m'a dit "Tu sais ici on est en Espagne. Tant que tu es discret, tu peux tout faire". Je décide donc de chercher un endroit discret hors de vue du sentier. Je pense avoir trouvé l'endroit idéal mais j'entends des voix. Une famille, hors sentier, descend dans mon dos. J'attends qu'elle soit bien partie pour planter ma tente. Mais c'est peine perdue. J'entrevois d'autres marcheurs sur la crête. Ils me font de grands gestes. C'est trop tard, j'ai planté ma tente et on verra bien. Même couché, j'entends encore des voix de marcheurs qui passent au loin. Pour la discrétion, c'est bien raté... 



mercredi 28 juillet 2021

Benasque

Il a plu toute la nuit sans interruption. J'ai dormi comme une masse. Mon sommeil a néanmoins été interrompu par le claquement du tonnerre. Le bruit s'est répercuté sur les flancs de la montagne et m'a réveillé par son intensité. Vraiment inquiètant. J'ai compté les secondes entre la lumière de l'éclair et le bruit du tonnerre. 7 secondes donc les éclairs tombent à 7 km. En tout cas c'est ce qu'on me disait quand j'étais petit. Dernièrement quelqu'un m'a dit que c'était n'importe quoi. Mais bon je suis rassuré et je me rendors.

A 7h, je me réveille naturellement. J'entends des gouttes tomber sur la toile de ma tente mais après vérification ce ne sont que les arbres qui s'égouttent. Le ciel s'est bien vidé mais les nuages sont toujours là. D'après la dernière météo que j'ai prise à Parzan, la journée sera couverte mais sans pluie.

Je plie mes affaires et reprends la route. Je commence par rejoindre le refuge de Viados, objectif d'hier.
Aujourd'hui, il y a 2 options. Soit le HRP très technique avec 2 cols à passer en mode course d'orientation soit le GR11. Le guide précise que le HRP ne doit être pris que si les conditions climatiques sont optimales. Vu la pluie de la nuit et les nuages noir au dessus de ma tête, on va éviter le drame. Ça sera donc le GR 11. Donc au programme 1130 m de dénivelé à grimper et 1650 à dégringoler. Une grosse montée suivi d'une grosse descente. La journée d'hier se répète mais je démarre à une heure raisonnable.

Le GR commence par se traîner à flanc de vallée. On monte, on descend mais on entame pas vraiment une grosse grimpette. C'est une différence notable avec le HRP qui vous envoie directement sur les crêtes sans hésiter.

Autre différence, le GR est très bien signalé et il n'y a pas à jouer les explorateurs comme sur le HRP. C'est vraiment reposant après des jours à deviner les cols à passer.

Contrairement à ce que je pouvais penser il y a peu de monde sur le GR. Peut être que je ne suis pas à l'heure de pointe. Les gens partent plus tôt ou plus tard. Je ne sais pas mais je suis content d'être seul. Il y a quand même quelques espagnols que je croise. Je rappelle que le GR 11 est en Espagne et que son équivalent en France est le GR 10. Donc c'est un sentier espagnol pratiqué par les Espagnols. Je reste toujours estomaqué par cette non mixité.

Les nuages continuent s'enrouler autour des montagnes. Ils jouent les magiciens en cachant un sommet puis en découvrant un autre. Ça bouge dans tous les sens. Certaines montagnes ressemblent à de grosses marmites d'où s'élèvent de grands volutes blancs de leur ventre. Certains sommets se prennent pour des volcans.


Tout cela est bien bucolique mais la réalité de la pente se rappelle à moi. Les 500 m de dénivelé finaux sont particulièrement raides. Le sentier est une boue noire glissante fait de poussière des roches de la même couleur qui m'entourent. La pluie de cette nuit ne m'aide vraiment pas et tout est glissant. J'ai physiquement du mal et c'est moralement long. Un espagnol avec un petit sac à dos me rattrape. Entre un mélange de français, d'espagnol et d'anglais nous essayons de nous parler. C'est pathétique. Il fait le GR 11 et ne comprend pas quand je lui parle du HRP visiblement inconnu en Espagne. Je finis par lui dire que je fais le GR11. Il est content de me mettre dans une case qu'il maîtrise et se détend. Pour certains, c'est important que chaque personne soit dans une case bien connue. Je ne vais pas le contrarier.

Nous arrivons ensemble au col. Il y fait un froid glacial entre les nuages noirs qui cachent le soleil et le vent. Après avoir forcés comme des ânes pour atteindre cet objectif nous ne rêvons plus que de le quitter au plus vite. L'homme est un être plein de contradictions.
 


Bien sûr, le début de la descente est aussi raide que la montée et la boue noire est toujours là. Je commence à avoir sacrément faim mais aucun endroit pour faire ma dînette. Surtout il n'y a pas d'eau de ce côté ci de la montagne. Je finis par trouver une zone protégée dans un torrent à sec et me fais un ramen avec ma réserve d'eau. J'ai eu du mal à trouver une source ce matin. Les eaux des torrents et rivières sont toutes boueuses, d'une couleur marron peu ragoûtante, à cause de l'eau de ruissellement de la pluie.

Après avoir mangé je retrouve des forces pour continuer la descente. Je trouve même une source lorsque la pente se réduit. 

Je suis maintenant à flanc de collines dans une forêt luxuriante. Il y a des fleurs bleues, blanches, roses, violettes. Beaucoup d'arbres et de buissons. Plus question de quitter le sentier qui représente l'unique passage possible dans cette jungle. Je suppose que cette montagne est particulièrement arrosée pour être aussi verdoyante.


Cela change vraiment des pierriers de hautes altitudes. Je passe un refuge où je récupère de l'eau. Lorsque qu'il fait soleil et donc chaud je consomme 5 litres par jour. Aujourd'hui avec les nuages et le froid, je ne dépasserai pas les 3 litres.

Il est 16h et cela fait plus de 3h que je descends. Je commence sérieusement à fatiguer. Alors qu'habituellement je fais plus que la section officielle, aujourd'hui je vais la respecter et m'arrêter au camping de Benasque. Inigo que je joins par WhatsApp est parti dans la forêt. Il a bien raison mais je n'ai plus assez d'énergie pour continuer.
 

mardi 27 juillet 2021

Refuge de Viados

J'ai dormi comme une masse. Inigo m'a dit 20 fois hier soir que j'avais l'air fatigué. Il est très observateur ce garçon.

Il est 7h quand je me réveille et je suis frais et dispo. Je décide de prendre mon temps. Si j'avais pu avoir une chambre, je serai peut être resté pour prendre un jour de repos. Mais le destin en a décidé autrement. De plus la météo a changé. La pluie est décalée et ne devrait tomber que cette nuit ce qui nous laisse la journée pour marcher. Donc je repars sur le chemin mais doucement.

Je m'occupe néanmoins de reconditionner mes achats de la vieille en complétant ce qui me reste. Je m'aperçois tout de suite du drame. J'ai acheté pour 10 jours de bouffe. Je me retrouve avec 5 boîtes de thon, 6 soupes, 500 g de miel... 

J'ai du mal à fermer mon sac et même à le soulever pour me le coller sur le dos. Il doit faire dans les 20 kg. J'enrage sur ma propre bêtise.

Inigo est parti depuis longtemps lorsque je me décide à enfin quitter le camping. Il est 10h et je dois retourner sur Parzan pour récupérer le GR 11 qu'emprunte aujourd'hui le HRP. Ceci veut dire 5 km de route goudronnée car le GR 11 est à 1 km au Nord de Parzan. Je m'inflige la même punition qu'hier et mange du goudron à qui mieux mieux comme apéritif de la journée.

J'ai 1600 m de dénivelé à monter et 1000 à descendre sur 25 km. L'avantage est que le GR est plus facile que la HRP. Ça reste quand même une grosse journée. En fait je ne sais pas quelle journée n'est pas grosse sur la HRP. 

Mes premiers pas me donnent tout de suite l'ambiance. Le poids de mon sac tire à outrance sur mon dos et les bretelles me cisaillent les épaules. Je connais bien cette sensation pour l'avoir souvent vécu sur le CDT. Le poids du ravitaillement. Mais je consomme un kilo de nourriture par jour. Je vais donc taper allègrement dans le stock pour le faire rapidement diminuer. Surtout qu'il y a des refuges partout et que je pourrais les utiliser pour manger en cas de pénurie. Pour l'instant, j'en suis bien loin.

En attendant, je dois rejoindre le GR par la route. Je calcule que je vais commencer ma journée à 11h30. J'ai vraiment bien fait de le prendre cool ce matin. Félicitations Nemo le poisson clown. En plus la météo était claire : beau temps le matin, couvert l'après-midi et pluie dans la nuit. Je viens de gâcher la partie beau temps avec une séance uniquement au goudron. J'enrage et je veux en finir au plus vite avec la route. Mais je n'ai pas fait 1 km que je tombe sur un tunnel interdit aux piétons. Normal cette interdiction car il n'y a pas de visibilité et surtout pas de trottoir ou de bas côté. C'est injouable sans y laisser sa peau. Hier soir, le taxi est passé dans le tunnel sans que j'en fasse cas mais aujourd'hui c'est un obstacle infranchissable pour le piéton que je suis redevenu. Le pire c'est que j'ai beau regarder la carte, il n'y a pas d'autre route pour aller à Parzan. Quoiqu'en y regardant de plus près, il semble y avoir un sentier qui contourne le tunnel. Et c'est bien le cas, il s'agit de l'ancienne route avant que le tunnel soit réalisé. Elle me sauve la vie.

C'est transpirant de la tête au pied que je rejoins Parzan puis le GR 11. Malgré le mon sac au poids d'un âne mort, la rage m'a fait enchaîner les kilomètres à fond sans desserrer les dents.
Pazan dans son écrin de verdure. Début du GR 11 après le goudron.


Si ce n'était le poids de mon sac, la journée serait facile. Le GR utilise un chemin carrossable en gravier gris pour arriver comme une fleur sous le sommet. La pente est douce et ce chemin se suit sur 11 km et permet de faire facilement 1000 m de dénivelé. Pour moi, ce passage à la portée de tous reste une épreuve. Chaque pas me coûte une énergie folle. J'arrive néanmoins à doubler un couple. Il s'agit d'un père et de sa fille. Visiblement celle ci n'a pas vraiment envie d'aller à la montagne et traîne des pieds comme si elle était épuisée. Le père résigné attend patiemment la fin de la crise de sa fille. Je reconnais son visage fermé et son regard de braise pour l'avoir déjà vu chez d'autres dans des conditions similaires (spécial dédicace pour Serge).


Le final pour le sommet se fait dans un bon pierrier des familles qui me laisse des traces. Maintenant reste la descente. Elle aussi présente peu de difficultés si ce n'est par sa longueur. Néanmoins le cadre est beaucoup plus joli qu'à la montée surtout que face à moi se dresse le 2eme plus haut sommet des Pyrénées, le Pico de Posets  à 3375 m.

A 18h30, je suis à 1 km du refuge de Viados, objectif de l'étape du jour.


Néanmoins je longe un magnifique torrent et je vois des spots magnifiques où planter ma tente. Même si je sais qu'il y a des zones de bivouac autour du refuge, je n'ai aucune envie d'aller me coller avec les marcheurs du GR 11. J'ai de la bouffe à revendre et une envie de bivouac sauvage en solitaire. Tant pis pour Inigo que je devais retrouver ce soir mais l'envie est trop forte. Je me trouve un endroit de rêve près du torrent et le temps de monter la tente la pluie commence à tomber.
Il faut toujours écouter ses envies...

lundi 26 juillet 2021

Parzan

Je me suis réveillé à 3h. Pourquoi ? Je ne sais pas mais je sais que j'ai une grosse journée qui m'attend avec 1500 m de grimpette et 28 km au compteur. Avec la météo qui continue de menacer, j'ai décidé de me lever à 6h pour faire le plus de chemin possible avant que le ciel ne me tombe sur la tête. 

Il faut absolument que je me rendorme et rien que le fait de me le dire me tient réveillé. Et comme je suis réveillé, j'ai toutes ses idées stupides et inutiles qui tournent en rond dans mon petit cerveau de piaf comme d'habitude dans ces cas là. En résumé, je me pourris ma nuit et ne dormirai pas plus que les 3h que j'ai glané en début de nuit.

C'est donc abîmé que je m'attaque au premier mille mètres de dénivelé jusqu'à la Hourquette de Héas à 2608 m. Je démarre dans la purée de pois la plus totale et je ne vois pas à 10 m. Même sans la pluie, c'est déjà une grande frustration de souffrir sans la récompense du paysage. 

Aujourd'hui j'ai du mal et la montée ne m'aide pas car le chemin est constitué de petits rochers sur lesquels il faut monter, un peu comme des marches d'escaliers qui partiraient dans tous les sens.

Heureusement les nuages sont descendus et restent bloqués dans la vallée. Dès que je les dépasse à une certaine altitude, je me retrouve dans un paysage hors du commun : une mer de nuages derrière et un magnifique cirque devant.


La montée jusqu'à la Hourquette n'en reste pas moins difficile. Chaque zig zag serpente à n'en plus finir. Le sentier est à peine dessiné comme si uniquement quelques personnes l'avaient emprunté. On se dirige directement vers une crête en se demandant bien comment on va passer de l'autre côté. C'est vraiment très difficile et assez dangereux mais le site est d'une beauté sublime.

La Hourquette est en fait une brèche dans la crête à laquelle on accède en s'aidant des mains. Sans voir de l'autre côté, la grimpette finale donne quelques frissons.


Justement de l'autre côté, les nuages ont tout envahi. On y voit très mal. Je distingue au loin une procession de fantômes avec sac à dos qui se dessine sur une crête. 
Comme je vais dans leur direction je tombe sur un autre groupe qui hurle dans le blanc qui nous enveloppe. Les 2 groupes n'en formaient qu'un seul mais une partie s'est perdu dans le brouillard. Ils tentent de se retrouver à la voix, sur un air de panique.


Après une descente très très raide, j'ai encore la Hourquette de Chermentas à passer à 2439 m. La zone pour aller sur celle ci est encore une fois peu visible. Dans le brouillard, sans visibilité, je me perds à mon tour. Le GPS est aussi perdu que moi et ne me donne que des informations incohérentes. Petit coup de stress mais mon ange gardien, qui vraiment n'est pas un fainéant, me donne un coup de pouce avec une mini éclaircie qui me permet de distinguer le chemin au loin. Je suis descendu bien trop bas et je dois remonter à travers les rochers.

Comble de bonheur, je n'ai pas vu d'eau depuis que j'ai basculé. Je ne m'attendais pas à ça. Je ne peux pas me faire à manger. Je continue donc d'avancer comme un robot dans le grand blanc. 
Soudain une éclaircie et je vois face à moi au loin les parois noires d'une majestueuse barre rocheuse. Des plaques blanches de névés recouvrent les creux. C'est magnifique et la profondeur du sentier en balcon m'est enfin visible. Un pas de travers et il n'y a plus de Nemo. Je n'avais aucune notion de danger dans ce blanc cotonneux dans lequel je marche depuis des heures. Mais l'apparition ne dure que quelques secondes et je retombe dans ma visibilité réduite. Pour sûr, je suis en train de rater un beau spectacle.

Je traverse maintenant une zone plus plate et je distingue de gros rochers blancs autour de moi. Mon GPS indique une source toute proche. Elle sort à même le sol et forme une grosse flaque d'eau ou viennent boire les animaux. Impossible de trouver l'endroit exact d'où elle jaillit mais l'eau est transparente et fraîche. Parfait pour me faire à manger.

J'entrevois un lac et la zone plate et herbeuse qui va avec. Je m'installe et mon couscous à peine cuit, le brouillard disparaît. Enfin je vois mon environnement. Je suis coincé entre 2 lacs avec la belle barre rocheuse que j'ai longée.


A peine le temps de regarder enfin le paysage que les nuages noirs venus d'Espagne me foncent dessus. Sûrement la raison de la disparition du brouillard. Les premières gouttes tombent... J'engloutis mon couscous, remballe mes affaires et m'habille pour la pluie. Inutile de traîner, je dois passer la 2eme Hourquette avant le déluge.

Je n'aurai bien sûr pas le temps et c'est sous une pluie battante, frigorifié des pieds à la tête que j'attaque les zigs zags serrés de la dernière montée du jour. Elle s'effectue dans un gravier noir. Tant mieux au moins je ne glisserai pas.

Arrivé au sommet, l'orage s'arrête pour saluer ma victoire. Il ne me reste plus que 13 km de descente pour aller à Parzan. Il est 14h et je n'ai effectué que la moitié de la route.

Il bruine mais cela n'a rien à voir avec la pluie mélangée de grêlons que je viens d'avoir. Je croise un marcheur. Rien qu'à son look, je sais que c'est un HRPiste. Longue barbe, buriné par le soleil et sac à dos suffisamment grand pour emporter tente et nourriture. Il fait le sens inverse du mien depuis la Méditerranée vers l'Atlantique. En fait ce n'est pas le premier que je croise. J'ai même mangé avec un hier soir à l'auberge et j'en ai croisé 4 dans la journée. Et à chaque fois, on se reconnaît et on se pose des tas de questions sur ce qui nous attend. Eux ont 30 jours de marche au compteur ce qui explique la longueur de leur barbe et la couleur particulièrement bronzée de leur peau. Visiblement ils ont eu froid et pas mal de neige mais ils sont partis mi juin. Je pense que je vais en rencontrer de plus en plus. Dans 15 jours c'est moi qui serai plus expérimenté qu'eux. Si je tiens jusque là...

Une fois dans la vallée, je suis un torrent au milieu des arbres. C'est très agréable.


Et plus j'avance plus le chemin s'élargit jusqu'à devenir carrossable. Cela me permet d'accélérer le rythme. A 18h, je rejoins une nationale. Il me reste 7 km de route goudronnée à faire pour aller à Parzan.

Je devrai faire du stop car la route est encaissée entre les montagnes et un torrent. Les bas côtés sont réduits au minimum. C'est dangereux et sans aucun intérêt. Mais je crains de rester planté avec mon look de clochard et mon espagnol est trop limité pour faire la conversation au chauffeur qui acceptera de me prendre.

D'après le guide, il y a un seul hôtel plutôt miteux à Parzan. Je ne doute pas un seul instant qu'il y aura de la place. Parzan est une ville frontière constitué de quelques maisons mais de 4 supermarchés. Comme la vie est moins chère en Espagne, les français viennent faire leurs courses dans la 1ère ville espagnole après la frontière. Donc rien de touristique mais idéal pour un hiker.

Je m'envoie donc le goudron pour 7 km. Dès que mon téléphone accroche le réseau, je contacte Inigo via WhatsApp pour savoir s'il est en ville. Il me répond qu'il est au camping de la prochaine ville à 4 km. Je le trouve bien courageux de s'être envoyé 11 km de goudron. J'apprendrai après qu'il a eu la chance de tomber sur un randonneur à la journée qui récupérait sa voiture au moment où il est arrivé sur la route. Il n'a même pas fait un mètre de goudron. Je n'ai pas eu cette chance et je me suis bien mangé les 7 km maudits.

Alors que je fais 25 km par jour en montagne avec plaisir (mais avec souffrance), je deviens fou pour chaque km sur le goudron. Je regarde mon GPS 500 fois pour voir combien il me reste. A chaque 100 mètres je pense avoir fait un km. Je m'ennuie à mourir et les rase-mottes des certains conducteurs me rendent fou furieux.

Je finis quand même par arriver à Parzan. Les supermarchés sont visibles à des kilomètres avec leur grosses pancartes en français pour des marques d'alcool. En fait si les magasins sont grands plus de la moitié de la surface est réservé à l'alcool et au tabac. Les parkings sont immenses et les plaques d'immatriculation bien françaises. Visiblement les vacanciers aussi viennent remplir le coffre de pastis et de clopes.

Je trouve l'hôtel qui n'a absolument rien d'un taudis. Il est tout pimpant à la sortie de la ville et la terrasse de son restaurant donne bien envie de s'y arrêter. Étonnamment, il y a 6 marcheurs en train de boire une bière. Je ne connais pas leur tête et je trouve que ça fait beaucoup. J'arrive, je les salue et ils sont tous espagnols. Bien évidemment, ils veulent me parler mais je ne comprends pas grand chose. Va falloir sérieusement que je me remette à l'espagnol car j'ai vraiment trop perdu. J'arrive quand même à comprendre qu'ils font le GR11. Le ciel me tombe sur la tête. Je suis dans une ville étape du GR11 au mois de juillet. Je me précipite à la réception de l'hôtel et la sentence tombe. Pas de chambre disponible. Il est 19h, je suis debout depuis 6 heures et j'ai 28 km dans les guibolles. Surtout il faut que je ravitaille.

La réceptionniste pourtant jeune ne parle ni français ni anglais. Le GR11 est surtout pratiqué par des espagnols. Avec mon espagnol à la noix, j'arrive à comprendre que les supermarchés ferment à 8h et qu'elle peut me commander un taxi pour aller au camping à 4 km.

Aussitôt dit aussitôt fait. Je laisse mon barda et part faire les courses sans faire l'inventaire de ce qui me reste. Très mauvaise idée d'agir de cette manière quand chaque gramme compte mais je n'ai pas le choix. Je fais 2 supermarchés tellement le choix proposé me déconcerte. On y trouve de l'alcool à profusion, des souvenirs, des produits locaux, des chocolats mais le rayon épicerie est ridiculement petit et limité. Je sélectionne ce que je peux sans trop réfléchir pour les 5 jours à venir. J'achète n'importe quoi et surtout trop.

Je reviens à l'hôtel et je commande mon taxi. Je préviens Inigo de mon arrivée au camping. Il vient m'accueillir sur le parking et a tout arrangé. Nous allons partager son emplacement pour un supplément et me fait les honneurs de la visite et des installations. Le camping est nickel. Grand luxe avec laveuse sécheuse. Je monte ma tente, prends une douche et nous allons manger au restaurant du camping. Pour 15 €, le menu est excellent et mon moral repart à la hausse. Le temps de laver mes affaires, il est néanmoins Minuit quand je me couche. La journée aura été particulièrement longue.

dimanche 25 juillet 2021

Héas

Je retrouve Scott au petit déjeuner alors qu'il est en train de le terminer. Je suis en retard ce matin comme chaque fois que je dors dans un hôtel. La faute à Internet.

Je me gave néanmoins au buffet car la faim du hiker est maintenant bien présente. Après le dernier café, il est temps de se dire au revoir. C'est toujours triste de voir un hiker quitter le trail, quelque soit la raison. Nous sommes tous les 2 émus. Nous sommes devenus frères de sang en quelques jours. C'est un phénomène habituel entre hikers.

Je cours maintenant pour boucler mon sac et partir au plus tôt. Aujourd'hui sera couvert mais après, la météo annonce 3 jours de pluie. Il faut que je couvre le plus de distance possible aujourd'hui. Mais j'ai pris trop de retard et n'arrive pas à décoller avant 9h.

J'ai 1000 m de dénivelé à faire en passant à côté du cirque de Gavarnie. A 9h, je me retrouve donc avec le flot des touristes, soit des familles, soit des troupeaux de personnes âgées.


C'est donc à la queue leu leu que nous attaquons la montée vers le cirque. Pas du tout ma tasse de thé. Visiblement famille ou groupe on cherche à faire la course entre amis ou frères et sœurs. Ça part très très fort mais monter vers un col est une course au long cours. Et ça ne rate pas. Rapidement certains commencent à lâcher et à s'arrêter à bout de souffle. Petit à petit, je double la foule pour finir par me retrouver seul en direction de la Hourquette d’Alans (2430m).

Physiquement tout va à la perfection et mes jambes avancent toutes seules. Je fais maintenant corps avec le trail et je souffre plus des kilomètres ni des dénivelés. 

Pour tout dire, je croise un coureur qui me demande depuis combien de temps j'ai passé le Refuge des Espuguettes qui se trouve à 2027m. Je suis tellement en médiation que je ne sais sincèrement pas. Comme devant ma réponse, il ouvre des yeux ébahis et pense que je me moque de lui, je lui donne un temps au hasard. Il repart content. Par contre ça m'a filé un choc de m'être perdu en moi-même autant que ça.
Il faut dire que le cirque et les montagnes autour sont majestueuses. La profondeur de vision donne véritablement le vertige. Je me sens comme une poussière dans l'univers et je perds encore plus pied. Ce sentiment est loin d'être agréable. Je me sens fourmi aspiré par l'immensité du paysage.


Autre chose désagréable, le ciel s'est couvert de nuages noirs. Le petit vent qui accompagne cette couverture nuageuse fait chuter la température. Je suis trop peu vêtu en short et chemise.

Heureusement une fois la Hourquette passé, il n'y a plus de vent dans la Vallée d’Estaubé. Je revis. Il ne reste plus qu'à descendre pour tout le reste de la journée en longeant la vallée où coule gentiment un torrent. D'ailleurs on peut voir une myriade de touristes dans la vallée. Elle est en pente douce et ils remontent le cirque sans grande difficulté.


Mon sentier fusionne avec la ronde touristique et je retrouve la foule. Il va falloir que je m'y fasse. Je continue à garder mes habitudes de montagnards et continue à dire bonjour aux personnes que je croise ou que je double même si j'obtiens rarement des réponses. D'ailleurs j'entends un "Buenos dias" derrière moi à qui je réponds poliment. L'espagnol me double et je reconnais... Inigo.

Il a abandonné Chris et Fanny à Gavarnie qui ont craqué. La voie qu'ils ont choisi était bien trop difficile et dangereuse. Je m'en doutais un peu avec sa qualification niveau Expert.

Je fais donc chemin faisant avec mon camarade espagnol. Le problème est le mauvais temps à venir et le prochain obstacle se présente sous la forme d'un dénivelé de 1000m. Il est 16h nous venons d'arriver au bas de la côte et les nuages sont déjà là. Il ne serait pas raisonnable de tenter l'aventure si tard 
Nous décidons donc de dormir à Héas dans le mini camping proposé par l'auberge du hameau dont l’écriteau indique "dernier bistrot avant l'Espagne". Tout un état d'esprit.

Espérons que demain, le temps sera un peu de notre côté...

samedi 24 juillet 2021

Gavarnie

Ma tente ressemble à un gros ballon de baudruche dégonflé. C'est d'ailleurs ce que doivent dire les marcheurs devant ma tente. Je ne comprends pas ce qu'ils disent mais ils m'ont bien réveillé. Une sardine n'a pas résisté à l'assaut du vent et mon abri de toile n'a pas belle allure.

Il n'est pas encore 6h ce qui veut dire qu'ils sont partis à 4h du matin depuis le parking de la vallée. C'est le prix à payer pour faire un sommet comme le Vignemale. En attendant, moi qui descend n'avait pas besoin d'être levé aux aurores. Nous sommes Samedi et je ne doute pas que les montagnards du weekend vont se ruer sur ce sommet. Je n'ai plus qu'à plier mon matériel et descendre à Gavarnie. J'ai 16km à faire et je vais dégringoler de 1700 m.

La descente est raide et très longue. Le sentier qui suit la rivière est très encaissée. L'eau a formé les montagnes depuis des milliers d'années et oblige le chemin à composer avec ses canyons et ses cascades. Je suis à l'ombre des montagnes et même si le vent s'est bien calmé il fait froid. Ça ira mieux quand je serai au soleil dans la vallée.


Je croise toutes sortes de personnes qui montent. Des ultras trailers équipés du minimum vital, des montagnards qui vont faire le glacier avec casque, crampons et cordes et des touristes en short et baskets qui s'essoufflent. Je suis le seul à descendre à cette heure et je suis heureux de ne pas faire partie de cette foule qui monte.

Arrivé en bas, je suis la vallée jusqu'au parking où démarre la route goudronnée qui va jusqu'à Gavarnie. Il y a beaucoup de voiture et je retrouve les éternels camping cars avec leur tables et chaises bien en vue. Je ne vois pas bien l'intérêt de venir ici pour s'avachir sur une chaise. Même si le cadre est joli pour s'affaler, c'est encore mieux d'aller faire un tour dans la carte postale.

Pour ma part, le HRP fusionne avec le GR10 qui part dans la montagne au lieu de prendre la route goudronnée. Dieu merci. Ce n'est bien sûr pas le plus direct mais c'est tellement plus agréable. Le nombre de personnes sur le GR diminue drastiquement par rapport à la foule qui va vers le glacier.

J'ai enlevé le mode avion sur mon téléphone. Nous sommes Samedi et Gavarnie est très touristique comme j'ai pu le constater ce matin. Je suis très inquiet sur mes chances de dégoter une chambre sur un weekend d'été. Tout doit être archi plein comme à Lescun. Dès que je serai connecté au réseau, je vais commencer la chasse à l'hébergement. C'est très basique un randonneur au long cours. Manger, dormir et se laver.

Je viens de croiser un panneau m'indiquant que Gavarnie est à 2h45 de marche quand mon téléphone accroche. J'appelle le premier hôtel de ma liste et il a une chambre de libre. J'avoue que je ne crois pas ma chance. Ma carte de crédit est au fond de mon sac, ce que j'explique à l'hôtelier. Il me répond que si je ne suis pas là dans 3 h, il "m'éjecte". Encore une fois, je suis stupéfait de la manière dont on traite les clients. Bien sûr je remets pas en cause le fait qu'on m'impose un délai mais la forme laisse franchement à désirer.

J'ai assuré mon coucher, il ne me reste plus qu'à arriver en ville. Le GR joue les monts et s'amuse à monter et descendre en permanence pour éviter des obstacles naturels. Je continue à suivre le ruban gris de la route qui se fait de plus en plus petit.
En final, l'arrivée sur Gavarnie est un méchant plongeon vers le village. Le parking à l'entrée de la ville est entièrement occupé par des campings cars. Les voitures se comptent sur les doigts de la main. Ceci explique en partie pourquoi il y a encore des chambres à l'hôtel. 


Gavarnie est tout petit et ne vit que par le tourisme. Son attrait est d'être placé juste en face du splendide cirque dont il porte le nom. Le village est un peu carton pâte avec tous ses magasins souvenirs. L'âme du village s'est vendu au diable touristique. Même la supérette où je suis sensé me ravitailler ne dispose que de paquets de biscuits pour les randonneurs à la journée. Tout est abusivement cher. 


Bien entendu tous les touristes sont là plus ou moins pour randonner. La tenue de rigueur est celle du marcheur. Pour une fois, je ne dépareille pas trop même si la tendance de mon look vire plus au clochard que le reste de la population.

L'hôtel que j'ai retenu est à l'entrée de la ville. Alors que je rejoins ma chambre je reçois un message. Scott, le californien est en ville et s'est installé... dans le même hôtel. Son temps de vacances est terminé et il repart demain pour Berlin où il vit. Fin du HRP pour lui.

Nous décidons de dîner ensemble pour fêter son départ. La soirée est très agréable agrémenté par une bonne bouteille de rouge. Demain nous nous dirons adieu sûrement pour toujours. La loi du trail...



vendredi 23 juillet 2021

Le Vignemale

Ce matin, le vent fait claquer la tente comme les voiles d'un bateau. Il est temps pour le capitaine Nemo de reprendre son exploration du monde inconnu. Sauf que le Nautilus c'est mon corps et que j'espère n'avoir pas trop d'avaries...

C'est une grosse journée qui m'attend, il va falloir monter 3 cols pour un total de 1700 m de montée. La HRP consiste en gros a enchaîné plusieurs sommets dans la journée. C'est violent. Soit mon corps va s'adapter soit il va lâcher. Je vais vite être fixé...


La première étape est de descendre jusqu'au refuge Wallon au creux de la vallée. Mes muscles répondent plutôt bien et je suis confiant. Dans la vallée, des ouvriers sont en train d'installer une canalisation d'eau pour alimenter le refuge Wallon qui est train d'être entièrement refait. Je ne sais pas qui est le mégalomane à l'origine du projet mais c'est un double bâtiment en pierre et en bois d'architecture moderne qui sort du sol. Avec 2 étages, il y aura au moins 300 personnes qui pourront dormir là. C'est juste démentiel et ça n'a rien à voir avec les refuges de montagne que je connais. Ceci m'inquiéte sur la surexploitation de la montagne.

Cette monstruosité n'empêche pas la beauté du site. On y retrouve des arbres qui me manquaient un peu et aussi beaucoup de cascades.


A partir du refuge, j'attaque la première montée de 800 m de dénivelé pour le col d'Arratille à 2528 m. Mon corps se porte comme un charme et j'enchaîne les virages serrés sans en souffrir. Je suis bien concentré et le paysage de sapins et de cascades m'aide beaucoup. 


Bien entendu, la pente augmente avec l'approche toute relative du col. C'est un immense pierrier qui nous fait face. Je me trompe et je suis visiblement d'anciens cairns qui n'ont plus lieu d'être.  Au lieu du sentier au milieu du pierrier, je me retrouve dans les falaises à suivre un GR abandonné. Je n'ai rien sur la carte mais il va en direction du col. Au lieu de redescendre je décide de suivre cet itinéraire oublié. Visiblement à l'époque on ne faisait pas dans la dentelle et la sécurité passait au second plan. L'objectif était de trouver une voie quitte à enchaîner les passages pour le moins techniques. Heureusement je suis en forme et un peu d'adrénaline ne gâche pas mon plaisir. En final au lieu de louvoyer dans le pierrier, je suis monté tout droit par les falaises. 

Je rejoins le pierrier pour le final des plus abrupts et une petite traversée d'un névé au dessus d'un lac qui aurait pu me manquer. Les jours se suivent et se ressemblent. J'arrive au col et je peux à peine tenir debout tellement le vent est violent. Je suis à nouveau en Espagne. D'ailleurs les Espagnols ont badigeonné les marques de GR que les français ont osé faire en Espagne. Ça ne m'étonnerait pas que Français fassent pareil de leur côté. Imbéciles de tous les pays du monde, donnez vous la main.

Le vent ne se calme pas et il faut maintenant faire le tour d'un immense cirque à flanc de pierrier sur plusieurs kilomètres. Le sentier ouvert dans les pierre est assez étroit et se voit sur des kilomètres. 



Il est 13h. Je n'ai plus d'eau sauf dans ma réserve au fond de mon sac. De plus, je n'ai pas mangé.  Quitte à m'arrêter et à démonter mon sac, je ferai bien un coup double. Quoiqu'il en soit je ne peux pas m'arrêter sur le sentier et déballer mes affaires avec si peu de place à ma disposition. Je croise quand même avec difficulté d'autres marcheurs. Comme je vois au loin de l'eau qui coule dans la pente, je demande confirmation au randonneur qui se contorsionne pour me croiser. Il me répond qu'il n'y a pas d'eau et sa femme qui le suit le confirme. Il n'y a rien avant le prochain refuge.

Je n'ai pourtant pas la berlue et je vois bien la marque de l'eau qui coule sur les hauteurs. Peut être l'eau disparaît elle dans le sol et n'arrive pas au sentier. Je décide donc de le quitter et de remonter dans le pierrier pour aller chercher l'eau. Je trouve bien l'eau où je l'avais vu et elle coule jusqu'au sentier et au delà. Les 2 comiques que j'ai croisés ont mis les pieds dedans mais ne l'ont même pas vu. Bien ma chance.

Je suis à flanc de montagne et comme je suis monté, c'est encore plus pentu. Je récupère de l'eau et je décide de me faire à manger dans une vraie position d'équilibriste. J'y arrive mais ce n'est pas très reposant. J'ai surtout peur qu'un de mes sacs ne mette à dévaler la pente.

L'énergie acquise par ce succinct repas va me permettre de passer le 2eme col, celui des Mulets à 2591 m. Je suis dans un pierrier depuis 2 heures, le sommital en est juste un avec de plus gros rochers.

Une fois le col passé, la surprise est de taille. Face au refuge que je vois au loin dans la vallée, il y a un glacier qui lui fait face. 


Celui-ci se trouve sur la face nord du Vignemale qui est le plus haut sommet des Pyrénées à 3298m. Le glacier est ridiculement petit devant sa moraine qui elle s'étend sur toute la vallée. Dans quelques années, il aura complètement disparu. Il se vide de son sang formé d'eau d'un bleu blanchâtre s'écoule en une multitude de ruisseaux qui s'écoulent sur la moraine. C'est très beau et très triste à la fois.


Le refuge des Oulettes de Gaube (2151m) offre un parfait panorama sur le Vignemale et le reste de son glacier. J'y déguste une tarte à la myrtille et un coca avant d'attaquer le gros morceau de la journée, la Hourquette d’Ossoue à 2734m soit 600 m de dénivelé (j'en ai déjà 1100 dans les pattes).

La dernière bouchée avalée, je balance mon sac à dos sur mes épaules et me voici reparti. Je vois parfaitement le sentier qui Zig Zag sur la face Est du cirque. Je m'y attaque tranquillement et le physique continue de suivre. Aujourd'hui il me semble que j'ai passé un cap et que j'ai fusionné avec le HRP. Je ne sais plus depuis combien de jours je marche et le nombre qui reste n'a plus d'importance. Je regarde autour de moi et profite de l'instant présent sachant que la magie va se répéter encore et encore tant que je marche.

Au sujet des évènements qui se déroulent autour de moi, il y a de gros nuages noirs qui s'accumulent autour du Vignemale. Il est 17h, heure habituelle des orages, et s'attaquer à un sommet dans ces conditions est déraisonnable. Mais je suis beaucoup plus près du sommet que du refuge et il me sera beaucoup plus long de faire demi-tour que de basculer sur l'autre versant. Je décide de tenter ma chance mais je n'en mène pas large avec le souvenir de l'orage que j'ai subi.

Pour me rassurer, j'entends un énorme craquement qui raisonne jusqu'aux tréfonds du Vignemale. C'est le glacier qui se fissure et qui crache quelques blocs de glace qui roulent jusqu'à la moraine. Une mort lente qui donne la chair de poule...

Je croise 2 grimpeurs casqués qui descendent à toute vitesse vers le refuge. Alors que je m'attends à ce qu'ils m'enjoignent à les suivre, ils me souhaitent gentiment une bonne ascension. Je suis dans le pierrier sommital et bataille à trouver un passage un peu moins raide pour que je puisse monter.

Le ciel est noir mais il ne pleut pas. De toute façon j'y suis et je bascule sur l'autre versant. Il y fait un vent à décorner les boeufs. Il est si violent que j'ai du mal à tenir debout. J'ai l'impression que mes boutons de chemise vont sauter. 

En tout cas, je suis en sécurité. En contrebas je vois le refuge de Bayssellance qui est le plus haut des Pyrénées (2651m). Il sert de camp de base pour faire le sommet du Vignemale.



Malgré le temps maussade, j'ai une vu sur tous les sommets du cirque de Gavarnie. Si l'orage se déclenche, je serai où aller trouver abri. Tout autour du refuge, il y a des zones de bivouac. Il s'agit de petits murets de pierre qui encadre une zone ronde en terre où on peut planter sa tente. Certains de ces ronds sont occupés ou réservés par des sacs à dos. Tous attendent 19h, heure légale oú l'on peut monter sa tente pour bivouaquer dans un parc national.

Pour ma part, je n'envisage pas de grimper le Vignemale ou son glacier. Je décide donc de continuer ma route et de chercher un endroit isolé pour passer la nuit. Je me lance donc dans la descente. Elle est très longue cette descente vers Gavarnie et surtout très pentu. Il n'y visiblement aucun endroit où planter sa tente. Mais d'après mes notes, il y a un lieu entre 2 virages où s'est jouable. Espérons qu'il ne sera pas occupé.

Effectivement je tombe dessus et l'emplacement est libre. Heureusement que je suis seul car on ne peut mettre qu'une seule tente. Le seul problème est que je suis au bord du chemin. Demain matin dès l'aube j'aurai droit aux apprentis montagnards qui voudront tâter du Vignemale.

A l'heure actuelle, mon problème c'est le vent qui ne se calme pas. Monter la tente relève de l'exploit. Impossible de se laver dans le torrent, l'eau gelée passe encore mais doublée avec le vent, cela dépasse ma tolérance au froid.
Je mange donc dans la tente mais une bourrasque arrive tout de même à éteindre mon réchaud qui possède un pare-vent intégré. Du jamais vu ! Je me couche le plus vite possible en regardant les parois de ma tente se déformer dans tous les sens par un monstre fou. Pourvu que les sardines tiennent toute la nuit...

25 août - Sospel > Menton

Il est 6h, l'heure des braves et de l'apparition du soleil. Je suis tellement proche d'eux que je réveille les squatteurs du jar...