Je m'aperçois que depuis que je suis de retour dans le désert je parle beaucoup d'eau. Je vais malheureusement encore en parler aujourd'hui.
Pourtant tout avait bien commencé même si la nuit a été un peu tumultueuse. J'ai eu la visite des biches qui doivent être attirées par ma magnifique tente. Mais j'ai aussi eu droit aux coyotes. Je sais qu'ils sont nombreux car j'ai vu leurs déjections au milieu de leurs marques de griffes tout le long de la FR. Hier soir j'ai eu droit à une séance de vocalises, ce qui est plutôt agréable. Ce qui est moins agréable c'est qu'au milieu de nuit, un coyote proche de la tente, c'est mis à aboyer et à gémir pendant plusieurs minutes. Je ne sais pas s'il s'agissait d'une attaque ou d'une défense mais c'était traumatisant à souhait. Ses glapissements ont fini par être repris en cœur par ses congénères, ce qui a motivé le chef d'orchestre à en remettre une couche. Je n'étais donc pas seul cette nuit.
Ce matin j'ai face à moi un troupeau de biches dans le soleil levant. J'arrête de les compter tellement il y en a. Une chose est sûre c'est qu'elles se tiennent très loin de moi et que malgré la distance, elles fuient et disparaissent dès que je les regarde. Elles ont une bonne vue. Elles ont bien intégré le comportement du chasseur sauf que je n'en suis pas un.
J'étudie la carte et mes notes. La difficulté de la journée est que les points d'eau sont contaminés. Ils sont soit alcalins soit salins et totalement impropres à la consommation. Il y a seulement 2 points d'eau qui sont des réservoirs constitués par des ranchs pour le bétail qui peuvent me permettre de ravitailler.
Grâce à une gestion minutieuse en mode désert, je dispose d'un litre et demi, ce qui peut me permettre de rejoindre le 2 ème point d'eau à 8 km. En tout cas, les derniers 34 km ne possède aucun point de ravitaillement. Il ne faut pas que je me loupe.
Je retourne au col Bridger et reprends la route forestière, la FR, là où je l'ai laissée.
Cette FR est comme neuve et a dû couter une fortune car il s'agit d'un mélange de gravier et de terre compressé amené m3 par m3. Quand je pense que j'ai croisé une seule voiture en 2 jours, je me demande pourquoi ce gâchis. Je suppose qu'il s'agit d'une négociation avec les ranchers du coin pour qu'il laisse le passage public.
La FR n'est pas si terrible que ça à marcher. C'est valonné et il y a des virages même si je vois la route sur des km à la ronde.
Je croise beaucoup de vaches qui semblent faire peu de cas de la contamination des points d'eau. Elles font comme les biches et s'enfuit dès que m'approche. Comme c'est bon d'être aimé. Je suis identifié comme le grand prédateur du coin.
À ce sujet, 2 oiseaux, ressemblant à des minis aigrettes avec des plumes blanches, m'agressent. Elles poussent des cris aigus et font semblant de m'attaquer : elles plongent sur moi et s'écartent au dernier moment. Je crois être tombé sur un remake du film d'Hitchcock. En y réfléchissant, je me dis qu'ils doivent protéger leur nid. Dès que je l'aurai dépassé, je retrouverai ma tranquillité. Je passe la butte devant moi et tombe sur 2 oisillons, incapables de voler vu leur âge, qui sont au milieu de la FR. Voilà la raison de toute cette agitation !
Malheureusement pour moi, les oisillons décident de suivre scrupuleusement la route au lieu de partir dans les broussailles qui bordent la route. Les oiseaux sont de plus en plus nerveux, poussent des cris aigus et passent au ras de mon chapeau. Cette situation est ridicule car évidemment je ne veux aucun mal aux oisillons. Mais ils marchent devant moi à la même vitesse. Impossible de les doubler, quand j'accélère, ils accélérent aussi. Un des 2 oiseaux qui tournoie au dessus de ma tête abandonne la partie mais le 2ème ne me lâche pas et continue ses simulacres d'attaque. Je ne sais pas quoi faire. Je reste persuadé qu'ils vont comprendre qu'il faut quitter la route car celle ci fait un virage. Il n'en est rien et nous continuons à avancer, moi avec les 2 oisillons devant et l'oiseau (la mère ?) qui soit tourne autour de moi soit qui marche avec sa progéniture tout en pialliant à tue tête.
Franchement je trouve que cette situation n'est pas drôle. J'ai peur que les oisillons s'épuisent à marcher sur la route. Nous avons déjà fait un bon km.
Un des oisillons finit par se mettre sur le côté. Je suppose qu'il n'arrive plus à suivre. Je passe à côté de lui en me disant que tout le monde va comprendre que je ne suis pas dangereux. Ce n'est pas le cas. Nous abandonnons sur place l'épuisé et nous reprenons notre marche forcée avec les joueurs restants. Que faire ?
Devant nous se profile un passage Canadien, c'est à dire des barres rondes posées sur le sol au dessus d'un trou, espacées les unes des autres pour empêcher les vaches de sortir de l'enclos.
Je me dis que nous sommes sauvés et que l'oisillon va devoir partir à gauche ou à droite. L'oiseau qui voit l'obstacle se dit que la situation s'envenime et me joue la comédie de l'oiseau blessé pour que je parte après lui et laisse son rejeton. J'avoue que je suis stupéfait par les ressources utilisées pour se prémunir des prédateurs. Nous arrivons devant le passage. L'oiseau vole au dessus et l'oisillon au lieu de partir sur les côtés ou même de passer sous les barbelés à droite ou à gauche décide de passer sur le passage Canadien. Il saute sur la première barre et glisse. Il tombe au fond du trou. Je passe le plus vite possible. Je ne veux effrayer ni l'oiseau ni l'oisillon. J'espère qu'il n'est pas blessé et qu'il pourra sortir de son trou. Mais pourquoi sont ils restés à découvert à suivre scrupuleusement la route ? C'était du pain béni pour n'importe quel prédateur ! J'ai quand même l'impression d'avoir bien nuit à la petite famille malgré mes intentions pacifistes.
Je poursuis ma route et arrive au premier point d'eau soit disant potable. En fait, le fermier doit mettre de l'eau au printemps et au fur et à mesure la quantité se réduit avec la consommation et l'évaporation. Fin juillet, il s'agit d'une flaque de boue peu ragoûtante. Il est 9h et j'ai encore de l'eau. Je laisse tomber ce cloaque et je tenterai ma chance au suivant. Je sais que je prends un risque.
Au loin je vois 3 antennes sur une montagne. Du réseau ? Je vais enfin savoir si la France a gagné. Bizarrement je n'ai accès qu'aux appels d'urgence. En fait mon téléphone ne fonctionne plus et n'accroche plus le réseau. Par contre mon MP3 capte les radios FM et je le branche. Je tombe sur une radio locale qui me donne la bonne nouvelle ! Je ne connais pas le score mais je sais que les Français ont gagné. Je hurle tout seul au milieu des vaches qui me regardent encore plus bizarrement que d'habitude. La radio passe même 4 chansons françaises en l'honneur de la victoire. La première est un groupe marseillais "Massilia Chobono" (je ne suis pas sûr d'avoir compris le nom) qui chante en je ne sais pas quelle langue mais ce n'est ni du français ni du provençal. Il n'y a que 2 phrases du refrain qui sont en Français. Bravo pour la représentation française ! C'est sur que ce n'est pas les Américains qui vont s'en apercevoir. À part Gainsbourg, les 2 autres chanteurs me sont inconnus. Je ne sais pas qui s'est occupé de la programmation mais c'est étonnant. Ça l'est encore plus de la retrouver sur une station de radio locale du Wyoming :-) Lors des infos, mis à part la rencontre Trump Poutine qui fait la une en boucle, j'entends quand même l'allocution de Macron pour acceuillir l'équipe victorieuse. En passant, les journalistes ne sont pas tendres avec Trump et les commentaires sont assassins vis à vis de sa prestation face au président Russe.
Je reprends la route le cœur léger en me disant que ça doit être autant la folie qu'en 98. J'ai raté ça. On ne peut pas être partout à la fois...
Vers 11h, je quitte la FR pour la brousse au milieu de nulle part. C'est bien ce qui est prévu et je trouve des signes du CDT au départ.
Mais comme absolument personne n'est assez malade pour se jeter dans le désert sans point d'eau, il n'y a pas de trace. Quelques piquets indiquent vaguement la direction. Sans GPS, il n'est pas question de s'y risquer. Et même à ça, ce n'est pas une partie de plaisir car il y a toujours des vallons couverts de buissons.
Je rate même le point d'eau et je dois faire demi tour pour le débusquer. Au début je pense même qu'il est à sec tellement sa taille à réduit mais il reste de l'eau en son centre.
Enfin si on peut appeler ce fond vaseux de l'eau. Il y a des nuées de taons qui me tournent autour complètement surexcitées et énervées de ne pouvoir me piquer à cause du Deet dont je me suis enduis. J'avoue que je suis dubitatif devant la flaque boueuse entourée de traces de pas de vaches. Le plus difficile est de s'approcher de l'eau. La boue s'enfonce et m'engloutit un pied comme du sable mouvant. L'odeur est nauséabonde et me soulève le cœur. L'opération s'avère difficile. Je fais le tour et trouve un endroit où je peux toucher l'eau. Dès que je le fais, un limon noir se soulève du fond et l'eau devient totalement opaque. Je n'ai pas le choix. J'ai besoin d'eau pour traverser les 34 km de désert qui font face à moi, surtout que je n'ai aucun espoir de croiser âme qui vive.
Je sors mon filtre et commence l'opération. Il me faudra 2h pour filtrer 4 litres d'eau. Je suis exaspéré par les taons qui finissent par ignorer le répulsif pour me piquer. J'ai du limon noir plein les mains et sur toutes mes affaires. Impossible de s'en débarrasser.
Je pars aussi vite que je peux. Il est 13h et le soleil cogne de toutes ses forces. Je n'ai pas mangé mais j'aimerais un peu d'ombre pour le faire. Il n'y a pas un seul arbre en vue. Je me dis qu'en passant un vallon, je trouverai bien quelque chose. Ce n'est malheureusement pas le cas. En plus des vallons, je dois faire face à des rivières desséchées dont la profondeur rend la traversée périlleuse.
Je bois l'eau que j'ai filtré et c'est l'horreur ! Je passe sur le goût, le vrai problème est qu'elle est saline.
Plus je bois plus j'ai soif ! J'essaye de manger du sucré pour contrebalancer mais cela ne fait rien à l'affaire. Ma bouche est desséchée avec un horrible goût de sel qui ne me quitte pas. Je me prends à rêver d'une simple bouteille d'eau juste pour me rincer la bouche. La journée va être extrêmement pénible. Par dépit, je m'arrête sans même disposer de la moindre ombre et je fais ma tambouille pour me mettre quelque chose dans l'estomac. J'essaye d'utiliser les poudres aromatisées pour boire en atténuant le goût du sel mais il reste le plus fort. Je reprends la route, même s'il y en a pas. Il faut sortir de là.
Vers 17h, je passe un portail et tombe sur un chemin. Je suis de retour à la civilisation.
Il y a d'ailleurs une caravane sur le bas côté et un chemin qui mène à un étang salin (je vois bien le sel autour). Il y a des toilettes et un petit auvent. Une voiture est garée à côté. Une autre me dépasse pour aller vers les toilettes. Je tente ma chance pour récupérer de l'eau. La voiture est occupée par 2 jeunes femmes qui sont clairement effrayées par mon allure. Elles ouvrent la vitre à moitié. Mais mon charme naturel à vite fait de les rassurer :-) Elles n'ont pas d'eau mais se propose de me donner les glaçons de leur glacière. Je préfère largement de l'eau de glaçon à ce que je bois. Je jette sur le sol 1h de travail et récupére de l'eau potable. Quel bonheur de se rincer la bouche. Mais j'ai troqué les 3 litres de mon Camelbak contre 1 seul et ça ne sera pas suffisant pour finir la section. Je vais donc voir l'autre voiture. Il s'agit d'un paysagiste qui tond l'herbe autour d'un auvent qui abrite une table de pique nique. Je mendie de l'eau et gentiment le gars me donne 3 bouteilles et me dit que je peux en avoir autant que je veux. Il ajoute avec un sourire que c'est le gouvernement qui paye. Je suis paré. J'ai encore 2 litres d'eau salée mais ils serviront pour cuire la nourriture. Tout va bien.
Alors que je transfère le contenu des bouteilles dans mon Camelbak, le paysagiste revient vers moi pour me montrer la falaise que je dois grimper pour monter sur le plateau. Un front de nuages noirs arrive à la vitesse grand V. Il me dit qu'il s'agit d'un orage qui sera bref et violent. Il me conseille de ne plus être sur la crête lorsque ça va tomber.
J'écoute son conseil et repars aussitôt vers le haut de la falaise. Je ne peux m'empêcher de boire comme un trou. L'eau est si bonne. La côte est horriblement raide. Encore un chemin pour Buggies. Sur le chemin, je tombe sur mon premier "vrai" serpent du Wyoming. Ça m'aurait étonné que ce désert en soit exempt. Je repense à cet après midi où j'ai traversé les buissons en short sans réfléchir. Il faut que je fasse plus attention.
À peine j'arrive sur la crête que l'orage se déchaîne en quelques secondes.
Il s'accompagne d'une tempête de vent totalement hallucinante. Je n'arrive pas à mettre ma veste sous la furie de l'air qui tourne dans tous les sens. Je suis trempé en quelques secondes et il n'est pas question de sortir le parapluie. Le tonnerre gronde et les éclairs claquent autour de moi. Je quitte la crête aussi vite que je le peux et quelques minutes plus tard la tempête s'arrête comme elle a commencé. Très surprenant mais surtout très violent !
Il est 17h, j'ai déjà parcouru 30 km et il en reste 12 pour arriver à Rawlins. Je n'ai pas prévu de faire une marche forcée. Mon plan est de passer encore une nuit dans la brousse avant de rejoindre la ville. De toutes façons mes enfants ne seront pas à Rawlins avant 3 jours donc rien ne presse.
Pour l'instant, la pluie recommence mais ce n'est plus une tempête. Elle cesse rapidement. Le soleil se remet à briller alors que je n'ai jamais vu autant de biches. Est ce que c'est la pluie qui les fait pousser comme des champignons ? En tout cas, elles se tiennent aussi loin que possible. Je comprends mieux quand je regarde le sol couvert de douilles. Et ce n'est pas du petit calibre. On tire à balles dans le coin.
Je décide de marcher jusqu'à 18h30 et de voir où j'en suis. La topographie du vallon où je suis ne se prête pas au camping. C'est beaucoup trop encaissé pour planter une tente.
Vers 18h, je commence à tomber sur des immondices. Un poste de TV explosé, des pneus et surtout des canettes de bière et des douilles. Des centaines de douilles. Visiblement les locaux viennent tirer pour se défouler. Ils utilisent des armes automatiques vu la quantité de douilles similaires sur le sol. En tout cas, c'est immonde et plus j'avance plus j'ai l'impression d'être dans une décharge à ciel ouvert. Je suis à 8 km de Rawlins. Il n'est pas question pour moi de dormir au milieu des poubelles. J'irai donc à Rawlins ce soir.
Pour m'alléger, je jette les 2 derniers litres d'eau polluée que je gardais par nécessité pour ce soir. Une autre heure de dur labeur qui ruisselle sur le sol... Je prends mon courage à 2 mains, ça sera une journée à 42 km. Je passe sur les derniers km qui transformeraient n'importe quel citoyen en écologique extrémiste. C'est proprement scandaleux de se comporter de cette manière.
J'arrive sur la route goudronnée prise par les autres hikers qui ont eu peur du désert. Je dois la suivre pendant 4 km pour arriver à Rawlins. Il est 19h et je vais perdre une heure sur cette phase d'approche. Je décide de faire du stop tout en marchant. Malheureusement le vent est contraire et je n'entends pas les voitures arriver. De plus il y a des camions qui me surprennent. C'est trop dangereux et je décide de passer de l'autre côté de la route et de faire le chemin à pied.
J'arrive donc dans la ville de Rawlins. Mon portable ne fonctionne toujours pas. Du moins je ne peux plus me connecter au réseau. Je n'ai pas d'explication à ce phénomène alors que je n'ai jamais eu le moindre problème depuis le début. Par contre il faut que je trouve l'hôtel où j'ai donné rendez vous à Paul et Jules. J'ai suffisamment d'applications qui fonctionnent hors ligne pour m'en sortir. Bien sûr l'hôtel est à l'autre bout de la ville à la sortie de l'autoroute. J'espère qu'il y a de la place. Je ne peux ni vérifier ni appeler pour réserver.
L'hôtel est sûrement le plus miteux de la ville. Rawlins en tant que tel ne vaut pas beaucoup mieux. Une autoroute, une gare de marchandises monstrueuse et le désert tout autour. 10 000 habitants. Je n'ai aucune idée de leur source de revenus mais le tourisme n'en fait clairement pas partie.
J'ai l'impression d'être de retour au Nouveau Mexique. Finies les villes cossues du Colorado. Au moins les prix vont revenir à la normale. C'est bien le cas même si l'hôtel est à moitié rempli. Je croise 2 hikers que je ne connais pas qui retournent dans leur chambre. Le réceptionniste est très gentil meme s'il est un peu dans l'état de l'hôtel :-) Encore un gars qui devrait être à la retraite depuis longtemps. M'enregistrer prend un temps fou et je discute avec le client qui attend derrière moi. Je n'ai pas remarqué mais il a un badge étoilé à la ceinture et un revolver à la hanche avec un chargeur de rechange. Comme dans les films ! Le plus étonnant est qu'il a gardé son arcenal dans l'hôtel. En tout cas, ça ne l'empêche pas d'être sympa et je discute moto avec Dave, mon premier shérif.
Je finis par avoir ma clé et Dave me serre la main en me souhaitant un bon séjour. Je serai volontiers aller boire une bière avec lui mais je dois m'occuper de ma lessive.
Je suis coincé pour 4 nuits ici... Je vais me reposer :-) La journée a été intense !
Pourtant tout avait bien commencé même si la nuit a été un peu tumultueuse. J'ai eu la visite des biches qui doivent être attirées par ma magnifique tente. Mais j'ai aussi eu droit aux coyotes. Je sais qu'ils sont nombreux car j'ai vu leurs déjections au milieu de leurs marques de griffes tout le long de la FR. Hier soir j'ai eu droit à une séance de vocalises, ce qui est plutôt agréable. Ce qui est moins agréable c'est qu'au milieu de nuit, un coyote proche de la tente, c'est mis à aboyer et à gémir pendant plusieurs minutes. Je ne sais pas s'il s'agissait d'une attaque ou d'une défense mais c'était traumatisant à souhait. Ses glapissements ont fini par être repris en cœur par ses congénères, ce qui a motivé le chef d'orchestre à en remettre une couche. Je n'étais donc pas seul cette nuit.
Ce matin j'ai face à moi un troupeau de biches dans le soleil levant. J'arrête de les compter tellement il y en a. Une chose est sûre c'est qu'elles se tiennent très loin de moi et que malgré la distance, elles fuient et disparaissent dès que je les regarde. Elles ont une bonne vue. Elles ont bien intégré le comportement du chasseur sauf que je n'en suis pas un.
J'étudie la carte et mes notes. La difficulté de la journée est que les points d'eau sont contaminés. Ils sont soit alcalins soit salins et totalement impropres à la consommation. Il y a seulement 2 points d'eau qui sont des réservoirs constitués par des ranchs pour le bétail qui peuvent me permettre de ravitailler.
Grâce à une gestion minutieuse en mode désert, je dispose d'un litre et demi, ce qui peut me permettre de rejoindre le 2 ème point d'eau à 8 km. En tout cas, les derniers 34 km ne possède aucun point de ravitaillement. Il ne faut pas que je me loupe.
Je retourne au col Bridger et reprends la route forestière, la FR, là où je l'ai laissée.
Cette FR est comme neuve et a dû couter une fortune car il s'agit d'un mélange de gravier et de terre compressé amené m3 par m3. Quand je pense que j'ai croisé une seule voiture en 2 jours, je me demande pourquoi ce gâchis. Je suppose qu'il s'agit d'une négociation avec les ranchers du coin pour qu'il laisse le passage public.
La FR n'est pas si terrible que ça à marcher. C'est valonné et il y a des virages même si je vois la route sur des km à la ronde.
Je croise beaucoup de vaches qui semblent faire peu de cas de la contamination des points d'eau. Elles font comme les biches et s'enfuit dès que m'approche. Comme c'est bon d'être aimé. Je suis identifié comme le grand prédateur du coin.
À ce sujet, 2 oiseaux, ressemblant à des minis aigrettes avec des plumes blanches, m'agressent. Elles poussent des cris aigus et font semblant de m'attaquer : elles plongent sur moi et s'écartent au dernier moment. Je crois être tombé sur un remake du film d'Hitchcock. En y réfléchissant, je me dis qu'ils doivent protéger leur nid. Dès que je l'aurai dépassé, je retrouverai ma tranquillité. Je passe la butte devant moi et tombe sur 2 oisillons, incapables de voler vu leur âge, qui sont au milieu de la FR. Voilà la raison de toute cette agitation !
Malheureusement pour moi, les oisillons décident de suivre scrupuleusement la route au lieu de partir dans les broussailles qui bordent la route. Les oiseaux sont de plus en plus nerveux, poussent des cris aigus et passent au ras de mon chapeau. Cette situation est ridicule car évidemment je ne veux aucun mal aux oisillons. Mais ils marchent devant moi à la même vitesse. Impossible de les doubler, quand j'accélère, ils accélérent aussi. Un des 2 oiseaux qui tournoie au dessus de ma tête abandonne la partie mais le 2ème ne me lâche pas et continue ses simulacres d'attaque. Je ne sais pas quoi faire. Je reste persuadé qu'ils vont comprendre qu'il faut quitter la route car celle ci fait un virage. Il n'en est rien et nous continuons à avancer, moi avec les 2 oisillons devant et l'oiseau (la mère ?) qui soit tourne autour de moi soit qui marche avec sa progéniture tout en pialliant à tue tête.
Je sais qu'on ne distingue quasiment rien mais il y a bien 3 oiseaux devant moi qui prennent le virage
Franchement je trouve que cette situation n'est pas drôle. J'ai peur que les oisillons s'épuisent à marcher sur la route. Nous avons déjà fait un bon km.
Un des oisillons finit par se mettre sur le côté. Je suppose qu'il n'arrive plus à suivre. Je passe à côté de lui en me disant que tout le monde va comprendre que je ne suis pas dangereux. Ce n'est pas le cas. Nous abandonnons sur place l'épuisé et nous reprenons notre marche forcée avec les joueurs restants. Que faire ?
Devant nous se profile un passage Canadien, c'est à dire des barres rondes posées sur le sol au dessus d'un trou, espacées les unes des autres pour empêcher les vaches de sortir de l'enclos.
Je me dis que nous sommes sauvés et que l'oisillon va devoir partir à gauche ou à droite. L'oiseau qui voit l'obstacle se dit que la situation s'envenime et me joue la comédie de l'oiseau blessé pour que je parte après lui et laisse son rejeton. J'avoue que je suis stupéfait par les ressources utilisées pour se prémunir des prédateurs. Nous arrivons devant le passage. L'oiseau vole au dessus et l'oisillon au lieu de partir sur les côtés ou même de passer sous les barbelés à droite ou à gauche décide de passer sur le passage Canadien. Il saute sur la première barre et glisse. Il tombe au fond du trou. Je passe le plus vite possible. Je ne veux effrayer ni l'oiseau ni l'oisillon. J'espère qu'il n'est pas blessé et qu'il pourra sortir de son trou. Mais pourquoi sont ils restés à découvert à suivre scrupuleusement la route ? C'était du pain béni pour n'importe quel prédateur ! J'ai quand même l'impression d'avoir bien nuit à la petite famille malgré mes intentions pacifistes.
Je poursuis ma route et arrive au premier point d'eau soit disant potable. En fait, le fermier doit mettre de l'eau au printemps et au fur et à mesure la quantité se réduit avec la consommation et l'évaporation. Fin juillet, il s'agit d'une flaque de boue peu ragoûtante. Il est 9h et j'ai encore de l'eau. Je laisse tomber ce cloaque et je tenterai ma chance au suivant. Je sais que je prends un risque.
Au loin je vois 3 antennes sur une montagne. Du réseau ? Je vais enfin savoir si la France a gagné. Bizarrement je n'ai accès qu'aux appels d'urgence. En fait mon téléphone ne fonctionne plus et n'accroche plus le réseau. Par contre mon MP3 capte les radios FM et je le branche. Je tombe sur une radio locale qui me donne la bonne nouvelle ! Je ne connais pas le score mais je sais que les Français ont gagné. Je hurle tout seul au milieu des vaches qui me regardent encore plus bizarrement que d'habitude. La radio passe même 4 chansons françaises en l'honneur de la victoire. La première est un groupe marseillais "Massilia Chobono" (je ne suis pas sûr d'avoir compris le nom) qui chante en je ne sais pas quelle langue mais ce n'est ni du français ni du provençal. Il n'y a que 2 phrases du refrain qui sont en Français. Bravo pour la représentation française ! C'est sur que ce n'est pas les Américains qui vont s'en apercevoir. À part Gainsbourg, les 2 autres chanteurs me sont inconnus. Je ne sais pas qui s'est occupé de la programmation mais c'est étonnant. Ça l'est encore plus de la retrouver sur une station de radio locale du Wyoming :-) Lors des infos, mis à part la rencontre Trump Poutine qui fait la une en boucle, j'entends quand même l'allocution de Macron pour acceuillir l'équipe victorieuse. En passant, les journalistes ne sont pas tendres avec Trump et les commentaires sont assassins vis à vis de sa prestation face au président Russe.
Je reprends la route le cœur léger en me disant que ça doit être autant la folie qu'en 98. J'ai raté ça. On ne peut pas être partout à la fois...
Vers 11h, je quitte la FR pour la brousse au milieu de nulle part. C'est bien ce qui est prévu et je trouve des signes du CDT au départ.
Mais comme absolument personne n'est assez malade pour se jeter dans le désert sans point d'eau, il n'y a pas de trace. Quelques piquets indiquent vaguement la direction. Sans GPS, il n'est pas question de s'y risquer. Et même à ça, ce n'est pas une partie de plaisir car il y a toujours des vallons couverts de buissons.
Je rate même le point d'eau et je dois faire demi tour pour le débusquer. Au début je pense même qu'il est à sec tellement sa taille à réduit mais il reste de l'eau en son centre.
Enfin si on peut appeler ce fond vaseux de l'eau. Il y a des nuées de taons qui me tournent autour complètement surexcitées et énervées de ne pouvoir me piquer à cause du Deet dont je me suis enduis. J'avoue que je suis dubitatif devant la flaque boueuse entourée de traces de pas de vaches. Le plus difficile est de s'approcher de l'eau. La boue s'enfonce et m'engloutit un pied comme du sable mouvant. L'odeur est nauséabonde et me soulève le cœur. L'opération s'avère difficile. Je fais le tour et trouve un endroit où je peux toucher l'eau. Dès que je le fais, un limon noir se soulève du fond et l'eau devient totalement opaque. Je n'ai pas le choix. J'ai besoin d'eau pour traverser les 34 km de désert qui font face à moi, surtout que je n'ai aucun espoir de croiser âme qui vive.
Je sors mon filtre et commence l'opération. Il me faudra 2h pour filtrer 4 litres d'eau. Je suis exaspéré par les taons qui finissent par ignorer le répulsif pour me piquer. J'ai du limon noir plein les mains et sur toutes mes affaires. Impossible de s'en débarrasser.
Je pars aussi vite que je peux. Il est 13h et le soleil cogne de toutes ses forces. Je n'ai pas mangé mais j'aimerais un peu d'ombre pour le faire. Il n'y a pas un seul arbre en vue. Je me dis qu'en passant un vallon, je trouverai bien quelque chose. Ce n'est malheureusement pas le cas. En plus des vallons, je dois faire face à des rivières desséchées dont la profondeur rend la traversée périlleuse.
Je crois bien que j'en perds le sourire
Je bois l'eau que j'ai filtré et c'est l'horreur ! Je passe sur le goût, le vrai problème est qu'elle est saline.
On voit des traces de sel partout sur le sol.
Plus je bois plus j'ai soif ! J'essaye de manger du sucré pour contrebalancer mais cela ne fait rien à l'affaire. Ma bouche est desséchée avec un horrible goût de sel qui ne me quitte pas. Je me prends à rêver d'une simple bouteille d'eau juste pour me rincer la bouche. La journée va être extrêmement pénible. Par dépit, je m'arrête sans même disposer de la moindre ombre et je fais ma tambouille pour me mettre quelque chose dans l'estomac. J'essaye d'utiliser les poudres aromatisées pour boire en atténuant le goût du sel mais il reste le plus fort. Je reprends la route, même s'il y en a pas. Il faut sortir de là.
Vers 17h, je passe un portail et tombe sur un chemin. Je suis de retour à la civilisation.
C'est ce que j'ose appeler la civilisation. Il n'en faut pas beaucoup pour un homme qui sort de la brousse.
Il y a d'ailleurs une caravane sur le bas côté et un chemin qui mène à un étang salin (je vois bien le sel autour). Il y a des toilettes et un petit auvent. Une voiture est garée à côté. Une autre me dépasse pour aller vers les toilettes. Je tente ma chance pour récupérer de l'eau. La voiture est occupée par 2 jeunes femmes qui sont clairement effrayées par mon allure. Elles ouvrent la vitre à moitié. Mais mon charme naturel à vite fait de les rassurer :-) Elles n'ont pas d'eau mais se propose de me donner les glaçons de leur glacière. Je préfère largement de l'eau de glaçon à ce que je bois. Je jette sur le sol 1h de travail et récupére de l'eau potable. Quel bonheur de se rincer la bouche. Mais j'ai troqué les 3 litres de mon Camelbak contre 1 seul et ça ne sera pas suffisant pour finir la section. Je vais donc voir l'autre voiture. Il s'agit d'un paysagiste qui tond l'herbe autour d'un auvent qui abrite une table de pique nique. Je mendie de l'eau et gentiment le gars me donne 3 bouteilles et me dit que je peux en avoir autant que je veux. Il ajoute avec un sourire que c'est le gouvernement qui paye. Je suis paré. J'ai encore 2 litres d'eau salée mais ils serviront pour cuire la nourriture. Tout va bien.
Alors que je transfère le contenu des bouteilles dans mon Camelbak, le paysagiste revient vers moi pour me montrer la falaise que je dois grimper pour monter sur le plateau. Un front de nuages noirs arrive à la vitesse grand V. Il me dit qu'il s'agit d'un orage qui sera bref et violent. Il me conseille de ne plus être sur la crête lorsque ça va tomber.
J'écoute son conseil et repars aussitôt vers le haut de la falaise. Je ne peux m'empêcher de boire comme un trou. L'eau est si bonne. La côte est horriblement raide. Encore un chemin pour Buggies. Sur le chemin, je tombe sur mon premier "vrai" serpent du Wyoming. Ça m'aurait étonné que ce désert en soit exempt. Je repense à cet après midi où j'ai traversé les buissons en short sans réfléchir. Il faut que je fasse plus attention.
À peine j'arrive sur la crête que l'orage se déchaîne en quelques secondes.
Vues de la crête juste avant la tempête.
Il s'accompagne d'une tempête de vent totalement hallucinante. Je n'arrive pas à mettre ma veste sous la furie de l'air qui tourne dans tous les sens. Je suis trempé en quelques secondes et il n'est pas question de sortir le parapluie. Le tonnerre gronde et les éclairs claquent autour de moi. Je quitte la crête aussi vite que je le peux et quelques minutes plus tard la tempête s'arrête comme elle a commencé. Très surprenant mais surtout très violent !
Il est 17h, j'ai déjà parcouru 30 km et il en reste 12 pour arriver à Rawlins. Je n'ai pas prévu de faire une marche forcée. Mon plan est de passer encore une nuit dans la brousse avant de rejoindre la ville. De toutes façons mes enfants ne seront pas à Rawlins avant 3 jours donc rien ne presse.
Pour l'instant, la pluie recommence mais ce n'est plus une tempête. Elle cesse rapidement. Le soleil se remet à briller alors que je n'ai jamais vu autant de biches. Est ce que c'est la pluie qui les fait pousser comme des champignons ? En tout cas, elles se tiennent aussi loin que possible. Je comprends mieux quand je regarde le sol couvert de douilles. Et ce n'est pas du petit calibre. On tire à balles dans le coin.
Je décide de marcher jusqu'à 18h30 et de voir où j'en suis. La topographie du vallon où je suis ne se prête pas au camping. C'est beaucoup trop encaissé pour planter une tente.
Vers 18h, je commence à tomber sur des immondices. Un poste de TV explosé, des pneus et surtout des canettes de bière et des douilles. Des centaines de douilles. Visiblement les locaux viennent tirer pour se défouler. Ils utilisent des armes automatiques vu la quantité de douilles similaires sur le sol. En tout cas, c'est immonde et plus j'avance plus j'ai l'impression d'être dans une décharge à ciel ouvert. Je suis à 8 km de Rawlins. Il n'est pas question pour moi de dormir au milieu des poubelles. J'irai donc à Rawlins ce soir.
Pour m'alléger, je jette les 2 derniers litres d'eau polluée que je gardais par nécessité pour ce soir. Une autre heure de dur labeur qui ruisselle sur le sol... Je prends mon courage à 2 mains, ça sera une journée à 42 km. Je passe sur les derniers km qui transformeraient n'importe quel citoyen en écologique extrémiste. C'est proprement scandaleux de se comporter de cette manière.
J'arrive sur la route goudronnée prise par les autres hikers qui ont eu peur du désert. Je dois la suivre pendant 4 km pour arriver à Rawlins. Il est 19h et je vais perdre une heure sur cette phase d'approche. Je décide de faire du stop tout en marchant. Malheureusement le vent est contraire et je n'entends pas les voitures arriver. De plus il y a des camions qui me surprennent. C'est trop dangereux et je décide de passer de l'autre côté de la route et de faire le chemin à pied.
J'arrive donc dans la ville de Rawlins. Mon portable ne fonctionne toujours pas. Du moins je ne peux plus me connecter au réseau. Je n'ai pas d'explication à ce phénomène alors que je n'ai jamais eu le moindre problème depuis le début. Par contre il faut que je trouve l'hôtel où j'ai donné rendez vous à Paul et Jules. J'ai suffisamment d'applications qui fonctionnent hors ligne pour m'en sortir. Bien sûr l'hôtel est à l'autre bout de la ville à la sortie de l'autoroute. J'espère qu'il y a de la place. Je ne peux ni vérifier ni appeler pour réserver.
L'hôtel est sûrement le plus miteux de la ville. Rawlins en tant que tel ne vaut pas beaucoup mieux. Une autoroute, une gare de marchandises monstrueuse et le désert tout autour. 10 000 habitants. Je n'ai aucune idée de leur source de revenus mais le tourisme n'en fait clairement pas partie.
J'ai l'impression d'être de retour au Nouveau Mexique. Finies les villes cossues du Colorado. Au moins les prix vont revenir à la normale. C'est bien le cas même si l'hôtel est à moitié rempli. Je croise 2 hikers que je ne connais pas qui retournent dans leur chambre. Le réceptionniste est très gentil meme s'il est un peu dans l'état de l'hôtel :-) Encore un gars qui devrait être à la retraite depuis longtemps. M'enregistrer prend un temps fou et je discute avec le client qui attend derrière moi. Je n'ai pas remarqué mais il a un badge étoilé à la ceinture et un revolver à la hanche avec un chargeur de rechange. Comme dans les films ! Le plus étonnant est qu'il a gardé son arcenal dans l'hôtel. En tout cas, ça ne l'empêche pas d'être sympa et je discute moto avec Dave, mon premier shérif.
Je finis par avoir ma clé et Dave me serre la main en me souhaitant un bon séjour. Je serai volontiers aller boire une bière avec lui mais je dois m'occuper de ma lessive.
Je suis coincé pour 4 nuits ici... Je vais me reposer :-) La journée a été intense !
Du coup Paul et Jules vont t'accompagner pour une traversée du désert ? Qu'as tu trouvé plus dur ? le nouveau Mexique et le désert ou le Colorado et les montagnes ?
RépondreSupprimerOui ils vont m'accompagner dans le désert. Ça risque d'être un peu violent mais c'est ça qui fait les souvenirs ;-)
SupprimerJe n'ai sincèrement rien trouvé de vraiment dur. Ce n'est que du bonheur ! Les 2 états sont très différents et les expériences ne se comparent pas. Toi qui sais faire les 2, préfères tu piloter un avion ou skipper un bateau ? J'aime beaucoup le désert parce je suis un homme du soleil. J'aime aussi les montagnes pour le challenge des sommets. Les sensations sont très différentes mais aussi enchanteresses l'une que l'autre. Les paysages sont fantastiques dans les 2 cas.