jeudi 9 août 2018

9 Août - Départ De Paul Et Jules

Le jour de la séparation est arrivé. On a beau faire comme si, il faut bien que les choses arrivent. Paul et Jules commencent aujourd'hui leur voyage de retour vers la France. Le rapatriement vers Denver se fait via un taxi bus qui les récupère à 10h à Dubois.

Tout va très vite : douche, petit déjeuner, bouclage des sacs et nous voilà devant le petit bus. Hier j'ai appris de Kathy que la ville de Jackson, première étape de leur voyage, est dans la même direction que Togwotee Pass où je dois reprendre le Trail. Je négocie avec le chauffeur pour qu'il accepte de me lâcher au niveau du Trail. Il hésite puis accepte. Non seulement je passe plus de temps avec les enfants mais je n'ai pas de stop à faire.

Il n'y a que 30 km jusqu'au col et le "voyage" est vite fait. Je leur dit au revoir et il est temps de sortir du bus. Le véhicule repart et je me retrouve seul sur le bord de la route. Voilà ils sont partis.

Le chauffeur m'a laissé sur un parking et le Trail est à 800 m. Je prends la route et je suis rapidement sur le CDT. Je sors mes bâtons et j'attaque la montée.

Je n'arrête pas de penser à mes fils. Ils ont vraiment assuré. Ils ont été forts dans les moments difficiles qui n'ont pas manqué. Je n'ai pas entendu une seule plainte dans les moments critiques. Je suis fier d'eux parce qu'ils ont une force physique et mentale de premier ordre. Ce sont de vrais adultes qui vont réussir quoique ce soit qu'ils entreprennent s'ils le désirent vraiment. Physiquement, ils me dépassent largement et mentalement je ne sais pas si j'aurai pu faire la même chose qu'eux à leur âge.

Je suis content qu'ils soient venus partager une partie de mon expérience. Je ne sais pas s'ils comprendront pourquoi je la fais mais il auront goûté à cette aventure. Seven o'clock, qui a déjà fait le PCT, me disait que le plus difficile est le retour au sein de la famille. Que le traumatisme est le même que celui des soldats qui reviennent de la guerre : comme personne ne l'a vécu, personne ne peut comprendre ce que c'est. J'en avais conscience avant de partir et c'est pourquoi j'ai créé ce blog. Malheureusement Paul et Jules m'ont clairement expliqué qu'entre le lire et le vivre, il y a un immense fossé. Qu'ils n'avaient aucune idée de mon quotidien avant de venir. J'ai donc complètement raté mon coup avec mes écrits. Au moins, mes fils sauront et comprendront puisqu'ils ont été avec moi. C'est important d'être bien entouré lors du retour. Je regrette que Anne n'est pas pu venir à cause de son opération au pied mais elle n'a pas besoin de ça pour me comprendre. J'aurai aimé qu'elle voit les garçons évoluer, je sais qu'elle aurait partagé mon avis et qu'elle aurait été aussi fière que moi de les voir faire.

J'espère aussi que cette expérience leur donnera l'envie de voyager et de rencontrer des personnes de culture différente. C'est de cette manière qu'on se construit et qu'on grandit.

C'est très difficile pour moi aujourd'hui de repartir seul. J'aurai bien continué le voyage avec mes fils. C'est dur d'être éloigné des gens qu'on aime si longtemps. Je sais que je n'ai pas le droit de me plaindre car c'est moi qui est décidé seul d'être là oú je suis. Mais cela ne m'empêche pas de sentir un grand vide en moi avec leur départ. On ne dit jamais assez aux personnes qu'on aime qu'on les aime. Je ne leur ai pas dit au moment du départ. Alors je vais l'écrire : Paul et Jules je vous aime pour ce que vous êtes et pour ce que vous faites. Et je vous aimerai toujours quoiqu'il advienne.

C'est donc le cœur gros que je passe cette première journée en direction de Yellowstone. Je suis dans le parc du "Teton". L'influence française est importante dans la région sur les noms (cirque, col, Dubois) même si les américains ne s'en rendent pas compte. Le Wyoming a eu son heure de gloire avec le négoce de la fourrure de castor. Hors ce sont les trappeurs français qui excellaient dans cette chasse grâce à l'utilisation des canots et leur relation avec les indiens. Je suppose que ce sont eux qui ont nommé les lieux.


Le parc porte bien son nom, du moins pour les français, quand on regarde la forme des montagnes.

Le paysage reste sublime même si on est plus dans les Winds.

Je croise un pickup arrêté sur le bas côté du chemin que j'emprunte. Le chauffeur m'apostrophe pour savoir si je suis un hiker sur le CDT. Il porte une casquette avec le sigle du Trail. Il m'explique qu'il suit les Thru-hikers depuis le Colorado. Il attend depuis plusieurs jours une dizaine de hikers qui ne sont pas encore passés. Il me parle des hikers que je connais. Je lui demande si cela fait 2 mois qu'il est sur la route. Il me répond que ça fait 17 mois... De ce que je comprends, il est complètement désœuvré et s'accroche aux hikers pour donner un sens à sa vie. Déjà que je broie du noir, mon malaise s'agrandit à cette rencontre. Je le quitte très vite.

J'arrive à Brooks Lake et son Lodge du même nom qui visiblement s'adresse aux amateurs d'équitation. Il y a des chevaux partout et surtout au niveau des Trails.

Sans le savoir, je viens d'arriver sur la zone où les cavaliers s'en donnent à cœur joie sur les sentiers environnants. Je n'ai rien contre les chevaux mais leur présence sur le Trail me pourrit rapidement la vie. Des hordes de taons me tournent autour et m'agressent. Rien qu'en relacant mes chaussures, j'écrase 4 spécimen taille XXL qui s'attaquent à mes jambes. Les sentiers sont défoncés par le passage d'animaux bien plus lourds que les humains. Leurs passages répétés sur le chemin a transformé la terre en fine poussière qui s'infiltre partout dans les chaussures. Pas sûr que l'idée soit bonne de partager les mêmes sentiers...

Le Trail est dans une vallée herbeuse bordée de forêts.

Au dessus des arbres, de grandes falaises encadrent le tableau. Des ruisseaux alimentent une rivière qui louvoie dans la vallée. Il me faut la traverser. Elle est très large mais heureusement peu profonde. Il n'y a pas de passage à sec. Je râle car mes chaussures sortent de la machine à laver. Je n'aurais pas tenu 24h. Elles vont reprendre cette odeur pestilentielle caractéristique du séchage en marchant.

En fait, je croise beaucoup de cours d'eau et certains m'obligent à me mouiller les pieds. Avec la poussière, le résultat sur mes chaussures fait peur à voir.
Je croise aussi les premiers Sobos (Southbounders). Pour la plupart, il s'agit de section hiker et certains finissent cette année leur CDT. Je vois très bien ce qu'ils font, j'ai fait la même chose avec le Chemin de Saint Jacques de Compostelle. Il m'a fallu 10 ans à coup de 15 jours par an pour compléter le trajet.

Un des hikers avec qui je discute me raconte qu'il a croisé hier un Grizzly sur la "Horses Highway" et su'il était à même pas 5 m de distance. Par contre, il n'en a vu aucun à Yellowstone. Il pense qu'il y a trop de monde et que les Grizzlys sont descendus dans le parc Teton que je suis en train de traverser. Il va falloir être vigilant.

Le Trail se poursuit en vallon herbeux au milieu des forêts.

Les pentes ne montent pas très haut et sont de courte durée.
Il est 18h30 et j'ai fait 20 km. En ayant commencé à 10h30, c'est acceptable. Je me trouve une clairière avec une zone plate pour ma tente et un arbre pour prendre la nourriture. Par contre, je n'ai pas d'eau et je ferai avec ce dont je dispose.

Je me couche et à peine la nuit tombée, j'entends des craquements de branches et des bruits de pattes tout autour de la clairière. Visiblement celle-ci est un lieu de rendez-vous et ma présence ne gêne pas les va-et-vient. Je ne suis pas stressé car les ours ne font pas de bruit et feraient fuir les cervidés. J'ai accroché ma nourriture dans un arbre donc je ne présente aucun intérêt. Je m'endors alors que les passages continuent.

2 commentaires:

  1. Laurent

    Cela fait maintenant plus de 20 ans que l'on se connait. Quel chemin parcouru !!
    Et après 20 ans je découvre encore une autre de tes facettes.
    Avec ce blog tu nous as tous embarqué dans ton aventure.
    Mais plus que les paysages magnifiques que tu traverses.
    Bien plus que le soutien moral que nous essayons à notre manière à tous de t'apporter.
    Tu te dévoiles. Chapeau et merci car ce n'est pas un exercice facile.
    L'arrivée approche a grand pas. Elle est la ... toute proche. Juste derrière la montagne. Ou celle d'après.
    Et chacun sait que très souvent le plus dur c'est de conclure.
    Terminer un projet n'est pas chose facile et prends souvent du temps.
    Alors par la pensée je t'envois toutes les ondes positives nécessaires pour te donner le courage mais aussi la force physique et surtout mentale pour poursuivre cette aventure.
    Continue de nous faire rêver et continue le chemin.
    Merci.

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    1. Salut Stéphane,
      Quel gentil message ! Alors que ça fait 20 ans que tu m'as sur le dos, tu arrives encore a être sympa ;-) Je ne sais pas si je me dévoile mais j'ai toujours été naturel et entier. Je crois que tu le sais bien ;-) Il n'y a pas de raison pour que je change de comportement dans ce voyage. Dans tous les cas, j'apprécie à sa juste mesure ton soutien et tous ceux de l'équipe. Les photos m'ont vraiment fait super plaisir.
      Il est vrai que l'arrivée approche, comme tous les jours d'ailleurs, mais il reste un peu d'effort à fournir avant de sabrer le champagne. Il me reste plus d'un mois et 1000 km à parcourir. Il serait bien prétentieux de ma part de penser que ce n'est rien. Mais avec toutes les ondes positives que tu m'envoies, je ne peux que réussir.
      Merci pour tout ce que tu fais pour moi.
      Laurent

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