samedi 18 août 2018

16 Août - Welcome To Montana

Cette nuit j'ai tenté d'aller voir les étoiles car il n'y a pas de lune. Malheureusement la fumée de l'incendie m'empêche d'accéder au spectacle. Ceci veut dire que demain la vue sera bouchée par un voile de fumée. Pas de photos...

Les ours sont vraiment sympas dans le coin car ils n'ont pas touché à mes sacs. Il faut dire que la nature regorge de baies de toutes sortes car c'est la saison. Elles doivent mieux convenir à mes potentiels visiteurs poilus que ma bouffe déshydratée.

Alors que je bois mon café, des cris caractéristiques d'oies sauvages retentissent dans le ciel. Peu après, une cinquantaine de ces volatiles passent au dessus de ma tête en formation en V si reconnaissable. Les oies se dirigent vers le Sud pour leurs quartiers d'hiver. C'est un signe très inquiétant pour moi qui m'indique que "Winter is coming" (l'hiver arrive). Il faut que j'accélère le rythme. Encore une raison de plus pour prendre le raccourci de Butte.

Je n'ai plus une goutte d'eau. J'ai encore eu un problème avec mon Camelbak. J'ai perdu l'eau que je destinais à la marche de ce matin. J'enrage d'avoir été négligeant. Le prochain point d'eau est à 8 km. C'est incroyable comme cette zone est dépourvue de point d'eau. Pourtant il y a des arbres partout. C'est la neige qui doit leur permettre de survivre.

Le Trail présente peu d'intérêt. Il est pris en tenaille entre 2 rangées d'arbres très serrés.
Le sentier...

Et des arbres à perte de vue !

Le sol est un sable de graviers volcaniques. Je suis sur une ancienne route qui a sûrement été fermée à la circulation suite au "wilderness act". Le sentier fait soudainement un virage à droite pour rentrer dans la forêt. C'est ce que j'attendais car c'est l'endroit où se trouve le point d'eau. Effectivement une rivière coule sous un pont en bois. Le prochain point d'eau est une source à 10 km. Ça sera parfait pour déjeuner. Je bois un demi litre sur place et embarque un litre. Il y a des sigles CDT partout. Ça faisait très longtemps que je n'en avais pas vus. Le sentier doit être nouveau car il dévit de la trajectoire enregistrée dans mon GPS. Avec les sigles, je suis en confiance et je suis ce "nouvel" itinéraire. Je m'aperçois rapidement qu'il part au Nord alors que je veux aller à l'Ouest. Je rejoins une ancienne route et le CDT continue vers le Nord. Si je veux en sortir, mon seul choix est de faire demi tour. Il n'y a aucun chemin alternatif qui s'offre à moi. Je commence sérieusement à m'inquiéter car je dévie de plus en plus de la route prévue. Soudain je tombe sur une route perpendiculaire et plus aucun signe ni à droite ni à gauche. Typique du CDT. On vous amène quelque part et si vous n'avez pas le tracé dans votre GPS, c'est bien dommage pour vous.

Je regarde toutes les cartes dont je dispose. Je finis par trouver un chemin qui me ramène sur le tracé que je veux faire. Je m'aperçois que je viens de suivre le tracé officiel du CDT alors que mon objectif est un raccourci que tout le monde prend. J'avais éliminé le tracé officiel car à aucun moment je n'avais l'intention de le faire. Je viens de faire 5 km pour rien. Rageant !

Je rejoins l'itinéraire prévu. Je marche sur une route forestière depuis plus d'une heure. Il fait très chaud avec ce gravier volcanique qui recouvre la piste.

Le CDT emprunte alors une ancienne route fermée. Cette route est très particulière. Habituellement les eaux et forêts américaines (USFS) ferment les routes en creusant un trou et en érigeant un barrage avec la terre récupérée du trou. Cela fait double protection pour ceux qui seraient tenter  de passer outre l'interdiction.  Ils font cela au début du chemin pour empêcher les véhicules de passer. On retrouve également ces barrages (berm en anglais) aux intersections mais pas ailleurs. Il n'y a pas d'utilité d'en faire plus. Ici un espéce de malade mental s'est amusé à ériger des barrages tous les 50 m.

Je ne sais pas si on l'a payé au barrage construit mais c'est tout simplement débile. Je ne vois pas l'utilité d'en faire autant. En tout cas pour le pauvre piéton que je suis, il faut descendre dans le trou et remonter le talus tous les 50 m. Merci à ce fonctionnaire zélé pour ce joli parcours du combattant. Au bout du 20ème barrage sous le soleil de midi, je décide que j'en ai assez d'être torturé avec ces constructions inutiles. La source est seulement à un km mais je n'ai plus la patience. Je déjeune à l'ombre des pins.

Je reprends le Trail pour aller faire le plein d'eau. Il ne reste pas grand chose de mon litre de ce matin. J'arrive à l'endroit indiqué, rien, pas de source. Prochain point d'eau à 18 km à l'intersection avec la route. Je vais devoir passer l'après midi sans eau sous une chaleur étouffante et me retrouver à faire du stop en soirée alors que la ville se trouve à 150 km. Mon plan original, dodo dans la brousse ce soir et stop demain matin, tourne à la retraite de Russie.

Je reprends le CDT qui est à nouveau une route forestière et j'enrage de ce coup du sort. A l'avoir su, j'aurai fait le plein d'eau quand je pouvais. Mais comment imaginer un seul approvisionnement d'eau sur 35 km. C'est digne des coins les plus secs du désert.

Alors que je rumine mon amertume envers ce Montana desséché auquel je ne m'attendais pas, j'entends un bruit de voiture dans mon dos. Je vois arriver une vieille voiture poussièreuse qui tire une petite caravane (taille européenne). Je fais signe au conducteur de s'arrêter. Il s'agit d'un couple dans la soixantaine et je leur explique mon problème. Ni une ni deux, le conducteur plutôt obèse se lève péniblement de son siège pour aller dans le coffre de sa voiture. Il me donne un gallon d'eau (environ 4 litres) et me dit que je peux tout prendre. Carl, c'est son nom, a reconnu en moi un hiker du CDT. Il me dit qu'il suit une hikeuse du nom de Dixie et me demande si je la connais. Ah non pas un autre malade qui s'accroche aux hikers !!! En fait, il suit la chaîne Youtube de Dixie qui a fait l'AT, le PCT et s'attaque au CDT cette année. Il me demande de la saluer quand je la rencontrerai. Il revient du mariage de son neveu et repart pour le Michigan à 13 heures de route.

Qu'est ce que fait Carl et son gallon d'eau au milieu de nulle part ? Je n'en sais rien sauf que c'est la seule voiture que je verrai de tout l'après midi. Je crois Yette a raison, il y a des personnes qui me sont chères et qui viellent sur moi de là haut. Sans eau, l'après midi aurait été très pénible.

Il fait excessivement chaud sur cette route forestière. En fin de journée, je n'ai réussi qu'à conserver 2 litres sur les 4 données par Carl. Je les ai bus sans même m'en apercevoir.

Je m'installe dans le creux d'un vallon où quelqu'un a coupé des arbres ce qui a crée une clairière. L'arbre que j'avais choisi pour pendre ma nourriture ne convient pas. Il n'est pas assez penché et la nourriture glisse jusqu'à la base quand j'essaye de la monter. J'ai le même problème qu'hier et je le traite de la même manière : j'accroche mes sacs à un mètre du sol en espérant que les ours soient cléments.

Ce soir je bois de l'eau à la santé de Carl !


6 commentaires:

  1. Bonjour Laurent, bien calée dans mon fauteuil, je suis avec beaucoup d'intérêt le feuilleton "Laurent", autrement dit, je voyage "gratos" ! Si tu es protégé par là-haut, sache que je pense à toi tous les jours et aux difficultés que tu endures. Tu as un mental exceptionnel, mais attention au physique !! "Ménage ta monture". Autre chose : tu t'interrogeais de ton éventuel changement en profondeur, à mon avis, il ne peut qu'être, vue l'expérience que tu en train de vivre. D'ailleurs, je m'interroge souvent sur ton "atterrissage" en fin de trail chez les gens civilisés ? Mais tu sauras certainement gérer cette nouvelle étape comme tu as su si bien le faire tout au long de ton parcours. Bises, Yette

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    1. Bonjour Yette,
      Merci de penser autant à moi. Ça me touche beaucoup. Je vous rassure, je fais énormément attention à mon physique. Au point où j'en suis, je tiens à passer la ligne d'arrivée. Quant à mon atterrissage, effectivement c'est la grande inconnue à l'équation. Mais tant mieux, j'aurai un autre challenge en rentrant. J'adore les challenges. Je vous embrasse très fort ainsi que Maurice.
      A bientôt,
      Laurent

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  2. Salut Laurent, Longtemps que je ne t’ai pas laissé un petit mot. Nous avons vécu des jours de canicule ici à Genève et dans toute l’Europe, et je ne crois pas que les Etas Unis ou le Canada ont été épargné non plus. Je l’ai personnellement assez mal vécu, les températures au-dessus de 35 ne me vont pas du tout.
    J’ai beaucoup pensé à toi et tes traversées de désert avec tes fils. Je n’ai pas lu beaucoup depuis le début Aout, je me demandais pourquoi tu avais choisis le désert comme mise en bouche pour tes enfants, j’étais même assez fâché au départ quand je lisais les difficultés de Jules puis de de Paul et ta jambe qui te faisait mal, ça m’a rappeler des choses que j’ai faite en Namibie avec Sarah, Jonas et Emma qui avec le recul aurait pu nous couter la vie, tout c’est bien terminé heureusement, ces souvenirs me sont revenus comme un flash…
    Bon assez d’engueulades. Je mesure aussi, après cette canicule l’exploit que tu es en train de réaliser. Surtout côté désert, le manque d’eau, la chaleur, le manque d’ombre ! je dois dire que je suis content de te lire plutôt que t’accompagner dans ce périple, en revanche tu me force à me poser pas mal de questions sur ce que je fous ici à Genève bien confortablement posé dans un job qui ne m’apporte pas grand-chose côté esprit, je bous intérieurement et maintenant que Jonas et Emma sont à l’uni je me dis que je pourrais pêter les plombs sans trop faire de dégâts autour de moi (Watch This Space !) Faut que je trouve un truc.
    Je me dis aussi que ton retour va être très dur en me souvenant de notre retour à Marseille en sortant du ferry avec le 4x4 et que l’on n’osait pas s’élancer sur la rocade car les voitures allaient trop vites, puis que l’on a quitté l’autoroute pour les routes de campagne plus clémentes. Les voitures vont bien plus vite aujourd’hui et tu es à pied !

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    1. Tu as bien raison de m'engueuler. Moi même je m'en suis voulu d'avoir mis mes fils dans des conditions aussi difficiles. C'est une chose de traverser le Sahara dans un 4x4 ou le Nouveau Mexique au printemps. C'en est une autre de faire le désert du Grand Bassin à pied en plein mois d'août. La raison en est purement pratique. Comme tu le sais, le train est anecdotique aux US. Seul le bus peut permettre de rejoindre une ville. Et seule Rawlins est la ville la plus proche des Winds et connectée au réseau de bus. Ça a été très dur mais ils sont passés au travers...
      Concernant tes questions, il faut que tu te trouves un challenge. Et il n'est pas nécessaire de tout foutre en l'air. Déjà préparer un projet prend du temps. J'ai mis 2 ans à préparer le CDT.
      Tout le monde me pose la question du retour. Mais je n'en suis pas encore là. J'ai 1000 km à faire et bien le temps pour penser à la question.

      Je suis sûr que tu vas trouver un beau projet. Avec tous tes talents, skipper, pilote d'avion et de véhicules tout terrain, tu vas bien trouver un moyen de les exploiter. Rappelle toi que le Sahara, c'était ton projet au départ ! Je n'ai fait que te suivre ;-)
      A bientôt, Laurent

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  3. Bonjour Laurent,

    Je m'appelle Patrick et je suis un ami de Ben. Il m'a parlé de votre projet et de votre blog qui lui permettait de suivre votre périple (un peu fou) à travers le continent américain. Bien que n'étant pas un de vos proches, je me suis permis de lire votre blog et je l'ai dévoré. J'ai commencé à vous lire mi août et j'ai donc lu avec plaisir vos post (de l'explication du CDT à votre arrivé au Montana). Merci pour vos textes, ils nous font bien sur partager votre aventure, mais plus que cela, ils nous font réfléchir sur beaucoup de sujets (la société, la famille, l'environnement, la relation entre le corps et l'esprit, les differences de culture, les relations aux autres,...), ils nous font voyager. C'est un vrai plaisir.
    Je vous souhaite de réussir ce périple (quête?) et j'espère pouvoir continuer à vous suivre jusqu'au Canada.
    Je vous souhaite bon courage (mais vous n'en manquez pas) pour la suite de votre trail.
    Encore merci pour vos textes.
    Patrick.

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    1. Mon très cher Patrick,
      J'espère que vous allez me permettre de vous tutoyer parce que je tutoies toutes les personnes qui me sont chères. Et vous... pardon.. tu m'es déjà très cher. J'espère que tu me tutoieras en retour, j'en serai très flatté.
      Dire que ton message m'a fait plaisir est vraiment trop loin du compte. Il m'a carrément donné du bonheur et même là, le mot est toujours aussi faible. En plus, je l'ai lu à un moment où j'en avais bien besoin et j'ai gardé le sourire bien bien longtemps après l'avoir lu.
      Pour tout dire, je n'espérais même pas qu'un message comme celui là arrive un jour. J'ai évidemment créé ce blog pour que mes proches, et plus particulièrement ma famille, sachent exactement ce que je vis pendant que je suis loin d'eux. Maintenant si mes scribouillages peuvent toucher une seule autre personne, je suis le plus heureux des hommes. Donc merci cher Patrick de m'avoir élevé bien plus haut que je n'ai jamais espéré pouvoir parvenir. Je n'ai jamais eu la prétention de faire réfléchir mais si cela est le cas, je suis un homme comblé. Malheureusement je suis un peu comme maître Jourdain qui fait de la prose sans le savoir...
      Je vais donc en profiter pour passer un message : si d'autres personnes, que je ne connais ni d'Eve ni d'Adam - ou pas d'ailleurs -, veulent bien partager avec moi leur ressenti à la lecture de ce blog, je vous conjure de le faire. Vous n'imaginez pas ce que le pouvoir des mots peuvent me faire et combien tous vos messages m'aident à accomplir mon projet. Dans un sens comme dans l'autre... Donc ne soyez pas trop méchants. Mais merci à tous ceux qui auront la gentillesse de s'exprimer.
      J'en profite aussi pour remercier tous ceux qui me laissent si souvent des messages : Louise, Ben, Nathalie, Erik, Stéphane, Ingrid, Laurence, Jean-Pierre, Yette... "You rock!" comme disent mes amis américains. Bon j'arrête là, on dirait la remise des Césars et j'ai encore 25% du tournage à faire :-)
      Encore une fois, mon très cher Patrick, merci du plus profond de mon cœur. Je suis extrêmement honoré de te compter parmi mes lecteurs.

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25 août - Sospel > Menton

Il est 6h, l'heure des braves et de l'apparition du soleil. Je suis tellement proche d'eux que je réveille les squatteurs du jar...