Joli bivouac au dessus du refuge des Merveilles où le soleil se lève en éclairant les montagnes derrière nous. Il y a encore des nuages au loin qui ne présagent rien de bon mais la menace de la pluie est notre quotidien depuis plusieurs jours.
La première étape du jour est de grimper jusqu'au pas du diable à 2430 m. Une montée de 300 m dans les rochers. A peine partis du refuge, nous sommes interceptés par une gardienne du parc national qui attend tous les randonneurs qui prennent le GR52. Même si nous sommes sortis de la vallée des Merveilles, il est toujours interdit d'utiliser des bâtons jusqu'au col où nous allons. Elle nous intime même de les ranger dans notre sac à dos. Encore un règlement complètement débile. Autant je comprends que la vallée des Merveilles soit protégée et encore vu qu'il est interdit de sortir du GR, je ne vois pas en quoi les bâtons pourraient abimer quoique soit. Mais interdire les bâtons alors que nous sommes sur un chemin de randonnée sans aucun site archéologique à l'horizon relève de la décision administrative sans fondement.
Bien évidemment nous obtempérons et rangeons nos bâtons pendant que la garde chiourme s'attaque à un autre groupe de randonneurs qui arrive derrière nous. A ce titre, ils feraient mieux de mettre un panneau que de payer un fonctionnaire à prendre la tête à chaque marcheur. Nous ne cherchons pas à enfreindre le règlement. C'est juste qu'il faut deviner qu'un règlement complètement débile est en place.
La montée n'est pas vraiment difficile mais elle est parcheminée d'énormément de rochers. Sans bâton et avec un gros sac à dos, garder son équilibre demande de forcer sur les jambes de manière inhabituelle. Evidemment avec la fatigue accumulée, ce qui doit arriver arrive : ma tendinite au genou gauche n'attendait que ce type d'évènement pour se déclencher et vient se rappeler à mon bon souvenir. Et c'est en grinçant des dents que j'effectue la montée en bénissant l'administration pour ces décisions à l'emporte pièce. La maladie du XXIème siècle : légiférer sur tout et n'importe quoi sans aucun discernement tout en limitant notre liberté.
Heureusement le site est magnifique et nous passons plusieurs lacs sur notre chemin.
Plus nous montons, plus l'environnement devient rocailleux.
Nous atteignons le pas du Diable, ressortons nos bâtons et plongeons dans la vallée en direction du Col de Rauss à 1999 m.
Anne souffre aussi de sa cheville qu'elle s'est tordue 2 fois dans la journée d'hier. Avec mon genou, nous sommes bons pour une séance Voltaren (antiinflammatoire en crème) pour se remettre en piste.
Heureusement le GR décide de nous épargner un peu et nous offre des pentes herbeuses à souhait - et bien jaune - même s'il n'y a pas une seule trace d'eau à des kilomètres à la ronde.
A ce sujet, les nuages gris s'accumulent de plus en plus sur nos têtes et la température chute drastiquement. Visiblement nous avons été télétransportés en Ecosse. Nous pouvons même voir un château émergé dans le lointain.
En fait de château, il s'agit d'une fortification militaire, la Redoute de la Pointe des 3 communes, établie en 1897-1899 et renforcée en 1930 (encore la ligne Maginot) afin de contrôler la crête de l'Ortiguier qui conduit au Pas du Diable.
Le site va réellement connaître l'épreuve du feu en avril 1945 après le débarquement de Provence. Les allemands se replient sur ce site. Alors que cette redoute a été mise en place par les français pour résister à une attaque en provenance de l'Italie, les soldats allemands vont l'utiliser en sens opposé pour empêcher la progression des alliés.
Le 10 avril 1945n les troupes de la 1ère Division Française Libre lance l'offensive. Les allemands résistent farouchement et il faudra 2 jours pour prendre la fortification avec l'aide d'un char de combat. 273 tués et 728 blessés côté Français. On peut encore aujourd'hui voir le résultat de cette attaque sanglante sur l'ouvrage.
Nous reprenons la route et quittant le GR52 actuel qui mène à Camp d'Argent. Ce village est l'étape officielle du jour. Il se trouve seulement à 5 km et comme il n'est même pas midi, l'étape du jour serait vraiment trop courte. Il faut dire que cette étape a été ajoutée en 2010 surement pour faire plaisir aux commerçants du coin. Le GR est une manne économique pour les villages de montagne. Le problème de Camp d'Argent est qu'il y a seulement 2 hôtels et un restaurant. Sans épicerie ni camping, cette étape ne présente aucun intérêt pour nous.
J'ai retrouvé l'ancien tracé du GR52 avant 2010 et mon objectif est d'aller en direction de Sospel, l'étape de demain, et de bivouaquer sur le chemin dès que nous aurons trouver un coin adapté (de l'eau et une zone plate pour la tente).
L'ancien tracé reste sur la crête depuis la Redoute. Les nuages sont de plus en plus noirs. Nous croisons un couple qui est sorti de sa voiture pour prendre des photos du paysage. Il faut dire qu'une route goudronnée se trouve en dessous du sentier.
Comme aujourd'hui, je ne croise que des gens bien intentionnés, l'homme me met en garde sur les risques élevés de prendre la foudre. Merci de ces bons conseils, ils viennent de changer ma vie. Si encore il me proposait de me descendre en voiture je comprendrai l'avertissement. Mais si c'est juste pour me faire peur, ça serait préférable qu'il garde son clapet bien fermé.
A midi, nous nous arrêtons à un ancien observatoire - en ruine - qui a l'avantage de proposer un bel arbre où nous nous abritons pour faire la popotte alors que les premières gouttes tombent.
Anne en profite pour faire de la câlinothérapie à notre abri de fortune.
Nous reprenons notre route et il est évident que nous allons nous faire saucer. Ca commence gentiment et nous avons le temps de nous équiper de pied en cape. Malheureusement les nuages nous tombent sur la tête et nous n'avons plus aucune visibilité alors que la pluie ne cesse de s'intensifier.
Nous sommes toujours sur les crêtes et le tonnerre gronde accompagné de ses amies les éclairs. Le décompte de temps entre la vision de l'éclair et la perception du bruit est de plusieurs secondes, ce qui me laisse penser que nous sommes à l'abri du danger.
Nous basculons d'un côté à l'autre de la montagne alors que nous passons à côté d'enclos à brebis. Je ne sais pas si nous nous retrouvons sur le côté le plus exposé mais un déluge d'eau nous tombe sur la tête. On se dirait sur un bateau en pleine tempête avec des paquets d'eau qui nous tombent dessus. La visibilité est réduite au minimum alors que les chiens de berger nous aboient après (où sont ils ?). Les brebis sont passés et repassés dans tous les sens autour des enclos. Il est impossible de voir où est le GR. Le mélange de boue et d'excrément ovin rend le sentier glissant au possible. Il est quasi impossible de remonter le sentier sans glisser à chaque pas.
Le plus difficile n'est pas d'être mouillé. C'est vraiment de ne rien voir de son environnement ni même de son objectif à court terme. Marcher pendant des heures dans la purée de poix sans objectif visible tape sur les nerfs déjà bien mis à l'épreuve par la pluie.
Soudain une petite éclaircie alors que nous approchons du sommet du Mangiabo à 1821 m. Ceci nous donne de l'espoir et une vague idée de ce que nous avons manqué en terme de points de vue.
Puis en quelques minutes, les nuages quittent la crête et nous rendent notre liberté. Nous découvrons alors le panorama.
Avec tout cela l'heure a tourné et nous n'avons pas croisé un seul point d'eau depuis le début de la journée. Nous n'avons pas de quoi bivouaquer pour la nuit et le seul plan possible commence à se dessiner à l'horizon. Il va falloir aller jusqu'au village de Sospel et donc faire 2 étapes en une. Un petit 46 km en une seule journée...
Heureusement les montées et les descentes qui se succèdent sont raisonnables et se passent sous le couvert des arbres. Maintenant que l'orage est passé, une chaleur étouffante a repris le dessus.
Le temps passe et l'espoir de trouver de quoi bivouaquer diminue. Il y a bien des emplacements de rêve, bien plats avec des vues fantastique mais sans une goutte d'eau nous sommes condamnés à poursuivre notre route. Bien évidemment, la descente finale sur Sospel est éprouvante car nous avons accumulés de nombreuses heures de marche. Alors que nous avons démarré à 7h30, il est maintenant 20h30 quand nous arrivons à Sospel. C'est un joli village traversé par une rivière.
Le seul hôtel ouvert de la ville est bien évidemment complet. Le premier camping est à 2.5 km du village. Ajouter 45 mn de marche à la journée, pour nous retrouver au milieu de nulle part avec de surcroit la route à faire dans l'autre sens demain matin ne nous tente pas. Par contre, ce matin une randonneuse de Sospel, bien remontée contre sa municipalité, m'a expliqué que le camping municipal a été fermé mais qu'il est toujours opérationnel. C'est maintenant un organisme privé qui l'opère et qui n'autorise que des campings cars. Tout est automatisé et géré par Internet ce qui fait que le site n'est pas surveillé par du personnel.
Nous décidons de squatter un carré d'herbe au milieu des campings cars. Nous ne sommes pas les seuls car 2 autres tentes sont déjà sur le site qui est à moitié vide. Nous nous mettons au fond du camping pour ne pas gêner. Visiblement personne ne trouve à redire à notre présence peu encombrante. Une dame vient même nous dire qu'une toilette est ouverte et qu'on peut y prendre une douche chaude. C'est totalement inespéré ! Nous profitions donc des commodités du camping mais pas des restaurants pourtant proches. Il est bien trop tard une fois que nous avons fini notre installation. Nous mangeons notre dernier lyophilisé en nous disant que nous avons eu bien de la chance en cette fin de journée particulièrement chargée !