Je me suis installé dans le camping recommandé par le guide. Très sympa, style hippie, mais juste en dehors de la ville de Benasque. Suffisamment éloigné pour ne plus avoir accès à la 4G. Il y a quand même le wifi au bar mais il est vraiment poussif.
J'ai une famille de hollandais à ma droite et une bande de jeunes espagnols à ma gauche qui écoutent du heavy métal à fond depuis leur van. Je ne me suis pas méfié des hollandais. On en trouve dans tous les campings du monde même s'ils sont particulièrement discrets surtout en famille. C'est par eux que le drame est arrivé alors que j'étais persuadé que j'allais me prendre la tête avec les jeunes pour qu'ils arrêtent de me casser les oreilles.
Tout a commencé quand j'étais au bar en train de me battre avec le wifi. J'ai vu arriver la famille, papa, maman et les 2 enfants, un garçon, une fille. Visiblement tous les soirs ils viennent boire l'apéro et manger au bar. Alors que tout semblait se passer dans le meilleur des mondes, la jeune fille, un adolescente au cheveux bleus, est parti dans un monologue et s'est mise à pleurer. Elle a parlé pendant plus d'une heure, un monologue entrecoupé de pleurs sans qu'aucun membre de la famille ne dise un seul mot. Une crise d'adolescence comme on a pu en voir ailleurs. Au bout d'une heure, la famille s'est levée et est allée à son campement. Je pensais que l'affaire s'arrêterait là. Que nenni ! A 2h du matin, ils étaient encore en train de discuter à voix hautes avec la fille et à m'empêcher de dormir. J'ai fini par retrouver mes bouchons d'oreilles pour finir ma nuit. Leurs voix couvraient même le bruit du torrent qui longe le camping.
Ce torrent m'a joué un bien vilain tour. Ce matin j'ai retrouvé les affaires que j'avais lavées la veille encore plus trempées que quand je les ai mis sur la corde à linge. Il y a encore de l'eau qui sort quand je presse les manches. Je n'ai pas le choix et je dois enfiler ces affaires. On ne porte jamais ces affaires de nuit durant le jour. C'est une règle sacrée pour dormir au sec.
Tout cela démarre mal une journée pourtant épique. C'est la journée où je dois faire le plus de dénivelé positif et négatif de tout le voyage. J'ai 2252 m à monter et 1287 m à descendre. Ça me paraît monstrueux quand je vois dans quel état je finis avec 1000 m.
Je démarre donc à 7h30, trempé de la tête au pied avec une nuit pourrie par une ado hollandaise. Toutes les conditions sont réunies pour exploser les compteurs.
Nous sommes dans une vallée très encaissée, creusée par un puissant torrent qui coule en son creux. Il y a donc peu de chemin pour sortir de cette vallée sauf un chemin carrossable. Il est en pente douce car il a été creusé par l'homme à flanc de montagne. Les pentes sont très raides et je vois clairement les coulées d'avalanches qui ont tracés des coupures dans la ligne des arbres. Malgré la pente, les pins ont poussés absolument partout. En contrebas le torrent gronde à travers son défilé qui l'oblige souvent à se transformer en cascade.
Je suis encore le GR11. En fait je vais rejoindre le HRP demain mais en attendant je me suis transformé en GRiste. La faute à la météo. Les nuages ne m'ont pas lâchés et seront là demain. La pluie est à nouveau annoncée pour dans 2 jours. Chaque jour son arrivée décale. Chaque jour je me dis que je dois en profiter. A ce petit jeu, je n'arrivais pas à prendre une journée de repos avant la fin. J'ai 18 jours de marche au compteur, et pas des faciles, et pas un seul jour de repos... En tout cas, aujourd'hui est l'antithèse du jour de repos. J'avoue que je me pose de grosses questions sur ma capacité physique à pouvoir passer au travers et je suis plutôt concentré.
J'en profite même pour faire de la philosophie. J'ai amèné des podcasts de l'émission "les chemins de la philosophie" de France Culture et j'en profite pour les écouter. Comme tout scientifique, j'ai profité des cours de philo pour faire mes exercices de math et j'essaye de récupérer les dégâts maintenant que j'ai plus de maturité. Et rien de mieux que la philosophie quand on médite en marchant.
Il faut dire qu'elle est longue cette route en gravier gris. Heureusement qu'elle monte pour enlever du dénivelé à la journée. Comme tout, je finis par en arriver au bout.
Les choses sérieuses commencent. Le GR emprunte maintenant une ancienne rivière avec ce que ça représente comme cailloux à grimper et à contourner. Le changement de rythme est aussi subit que brutal. On change aussi de paysage car on se trouve propulsé dans un cirque de roches blanches parsemées de pins tordus par les conditions climatiques. Nous sommes montés et la haute montagne est toute proche. Le cadre est superbe et me rappelle les Winds dans le Wyoming.
Il est midi et avant qu'on se retrouve dans les pierriers que j'entrevois à l'horizon, je décide de manger mon ramen dans l'herbe à côté d'un petit torrent qui coule gentiment. Autant profiter pendant qu'on le peut encore. De ce que me dis le GPS, il reste 500 m de dénivelé sur le 1er col.
J'ai bien fait de profiter car la montée au col est des plus physique. Le pierrier d'abord qui demande à chaque pas de jouer les équilibristes mais aussi les rochers à grimper avec les mains. Mon énergie fond comme neige au soleil. L'accès au col Ballibierna (2710 m) se fait sans quitter le pierrier dans une pente quasi verticale. Le col est en fait une brèche dans la crête qui permet de changer de vallée.
Évidemment c'est très beau. Mais le plus inquiétant est que l'autre côté est un pierrier à perte de vue. D'ailleurs je ne vois pas pourquoi ça serait autre chose vu ce que je viens de faire mais on espère toujours.
Je continue donc à crapahuter mais j'ai un 2eme col à faire, le Collet dels Estanyets à 2521 m.
Je n'ai pas quitté les pierriers depuis que je suis rentré dedans à 13h. Il est 16h30 et je passe devant un refuge moderne tout en aluminium. Logiquement, je devrai m'y arrêter mais j'ai décidé de faire ma section au complet. Il n'y a pas de raison d'ailleurs. Je ne suis pas en compétition et j'ai pris 2 jours d'avance sur le planning. Le manque d'oxygène ou trop de philo ce matin... En résumé, je suis un imbécile.
J'arrive en dessous du col qui est un réplique de celui que je viens de faire. Un immense pierrier vertical à grimper. Je n'ai plus de jus et je ne sais pas comment y arriver. J'ai juste à faire demi tour pour aller au refuge que je viens de passer. J'ai mal à la cheville droite et au genou gauche.
Et là je comprends que c'est mon corps qui me fait son cinéma. Pas question de me faire avoir. Je m'engage dans la côte et ne ferai pas demi tour. On va aller chercher ce qui nous reste car il en reste j'en suis sûr. Et bizarrement pas après pas, les fameuses douleurs disparaissent aussi vite qu'elles sont apparus. Mais il faut quand même trouver la force à chaque mouvement. Mais pourquoi je m'impose ça. Personne ne me regarde. Personne ne le saura jamais. Je n'aurai même pas de médaille en chocolat, comme celles qu'on distribue lorsqu'on fait des compétitions de course à pied. Non il s'agit d'un plaisir solitaire, égoïste, pour s'épater soit même et être fier de soi. Je l'ai fait donc je suis grand beau et intelligent. La nature humaine avec ses faiblesses qui lui fait accomplir des choses qu'elle pensait impossible.
Le col vaincu, le paysage qui s'offre à mes pieds est la fois magnifique et rageant. Magnifique ces 3 lacs en affilade. Rageant ce pierrier à perte de vue. Je n'en peux plus de jouer à saute montons. Mais il n'y a rien que je puisse faire sauf reprendre ma route et la descente en espérant que bientôt je quitterai ce champ de rochers.
Derrière moi arrive un important groupe de marcheurs espagnols. Ils sont bruyants. Ils sifflent, ils s'invectivent à tue tête et chantent ensemble des chansons qui les fait mourrir de rire. On les entend à des kilomètres à la ronde et leur attitude fait tâche dans le silence des pierres. On dirait des soudards en vadrouille. Une attitude de mecs bien machos comme on en voit trop souvent !
Enfin je vois le refuge, objectif de la journée. Je n'irai pas au refuge qui n'est même pas gardé et je n'irai pas plus loin non plus. J'ai rempli le contrat mais je suis lessivé. 5h de pierriers ont eu raison de moi.
Je n'ai vu aucune tente sur le parcours et je n'en vois pas non plus autour du refuge. Je crois qu'ici le bivouac est interdit. Mais Inigo m'a dit "Tu sais ici on est en Espagne. Tant que tu es discret, tu peux tout faire". Je décide donc de chercher un endroit discret hors de vue du sentier. Je pense avoir trouvé l'endroit idéal mais j'entends des voix. Une famille, hors sentier, descend dans mon dos. J'attends qu'elle soit bien partie pour planter ma tente. Mais c'est peine perdue. J'entrevois d'autres marcheurs sur la crête. Ils me font de grands gestes. C'est trop tard, j'ai planté ma tente et on verra bien. Même couché, j'entends encore des voix de marcheurs qui passent au loin. Pour la discrétion, c'est bien raté...
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