Je me suis réveillé à 3h. Pourquoi ? Je ne sais pas mais je sais que j'ai une grosse journée qui m'attend avec 1500 m de grimpette et 28 km au compteur. Avec la météo qui continue de menacer, j'ai décidé de me lever à 6h pour faire le plus de chemin possible avant que le ciel ne me tombe sur la tête.
Il faut absolument que je me rendorme et rien que le fait de me le dire me tient réveillé. Et comme je suis réveillé, j'ai toutes ses idées stupides et inutiles qui tournent en rond dans mon petit cerveau de piaf comme d'habitude dans ces cas là. En résumé, je me pourris ma nuit et ne dormirai pas plus que les 3h que j'ai glané en début de nuit.
C'est donc abîmé que je m'attaque au premier mille mètres de dénivelé jusqu'à la Hourquette de Héas à 2608 m. Je démarre dans la purée de pois la plus totale et je ne vois pas à 10 m. Même sans la pluie, c'est déjà une grande frustration de souffrir sans la récompense du paysage.
Aujourd'hui j'ai du mal et la montée ne m'aide pas car le chemin est constitué de petits rochers sur lesquels il faut monter, un peu comme des marches d'escaliers qui partiraient dans tous les sens.
Heureusement les nuages sont descendus et restent bloqués dans la vallée. Dès que je les dépasse à une certaine altitude, je me retrouve dans un paysage hors du commun : une mer de nuages derrière et un magnifique cirque devant.
La montée jusqu'à la Hourquette n'en reste pas moins difficile. Chaque zig zag serpente à n'en plus finir. Le sentier est à peine dessiné comme si uniquement quelques personnes l'avaient emprunté. On se dirige directement vers une crête en se demandant bien comment on va passer de l'autre côté. C'est vraiment très difficile et assez dangereux mais le site est d'une beauté sublime.
La Hourquette est en fait une brèche dans la crête à laquelle on accède en s'aidant des mains. Sans voir de l'autre côté, la grimpette finale donne quelques frissons.
Justement de l'autre côté, les nuages ont tout envahi. On y voit très mal. Je distingue au loin une procession de fantômes avec sac à dos qui se dessine sur une crête.
Comme je vais dans leur direction je tombe sur un autre groupe qui hurle dans le blanc qui nous enveloppe. Les 2 groupes n'en formaient qu'un seul mais une partie s'est perdu dans le brouillard. Ils tentent de se retrouver à la voix, sur un air de panique.
Après une descente très très raide, j'ai encore la Hourquette de Chermentas à passer à 2439 m. La zone pour aller sur celle ci est encore une fois peu visible. Dans le brouillard, sans visibilité, je me perds à mon tour. Le GPS est aussi perdu que moi et ne me donne que des informations incohérentes. Petit coup de stress mais mon ange gardien, qui vraiment n'est pas un fainéant, me donne un coup de pouce avec une mini éclaircie qui me permet de distinguer le chemin au loin. Je suis descendu bien trop bas et je dois remonter à travers les rochers.
Comble de bonheur, je n'ai pas vu d'eau depuis que j'ai basculé. Je ne m'attendais pas à ça. Je ne peux pas me faire à manger. Je continue donc d'avancer comme un robot dans le grand blanc.
Soudain une éclaircie et je vois face à moi au loin les parois noires d'une majestueuse barre rocheuse. Des plaques blanches de névés recouvrent les creux. C'est magnifique et la profondeur du sentier en balcon m'est enfin visible. Un pas de travers et il n'y a plus de Nemo. Je n'avais aucune notion de danger dans ce blanc cotonneux dans lequel je marche depuis des heures. Mais l'apparition ne dure que quelques secondes et je retombe dans ma visibilité réduite. Pour sûr, je suis en train de rater un beau spectacle.
Je traverse maintenant une zone plus plate et je distingue de gros rochers blancs autour de moi. Mon GPS indique une source toute proche. Elle sort à même le sol et forme une grosse flaque d'eau ou viennent boire les animaux. Impossible de trouver l'endroit exact d'où elle jaillit mais l'eau est transparente et fraîche. Parfait pour me faire à manger.
J'entrevois un lac et la zone plate et herbeuse qui va avec. Je m'installe et mon couscous à peine cuit, le brouillard disparaît. Enfin je vois mon environnement. Je suis coincé entre 2 lacs avec la belle barre rocheuse que j'ai longée.
A peine le temps de regarder enfin le paysage que les nuages noirs venus d'Espagne me foncent dessus. Sûrement la raison de la disparition du brouillard. Les premières gouttes tombent... J'engloutis mon couscous, remballe mes affaires et m'habille pour la pluie. Inutile de traîner, je dois passer la 2eme Hourquette avant le déluge.
Je n'aurai bien sûr pas le temps et c'est sous une pluie battante, frigorifié des pieds à la tête que j'attaque les zigs zags serrés de la dernière montée du jour. Elle s'effectue dans un gravier noir. Tant mieux au moins je ne glisserai pas.
Arrivé au sommet, l'orage s'arrête pour saluer ma victoire. Il ne me reste plus que 13 km de descente pour aller à Parzan. Il est 14h et je n'ai effectué que la moitié de la route.
Il bruine mais cela n'a rien à voir avec la pluie mélangée de grêlons que je viens d'avoir. Je croise un marcheur. Rien qu'à son look, je sais que c'est un HRPiste. Longue barbe, buriné par le soleil et sac à dos suffisamment grand pour emporter tente et nourriture. Il fait le sens inverse du mien depuis la Méditerranée vers l'Atlantique. En fait ce n'est pas le premier que je croise. J'ai même mangé avec un hier soir à l'auberge et j'en ai croisé 4 dans la journée. Et à chaque fois, on se reconnaît et on se pose des tas de questions sur ce qui nous attend. Eux ont 30 jours de marche au compteur ce qui explique la longueur de leur barbe et la couleur particulièrement bronzée de leur peau. Visiblement ils ont eu froid et pas mal de neige mais ils sont partis mi juin. Je pense que je vais en rencontrer de plus en plus. Dans 15 jours c'est moi qui serai plus expérimenté qu'eux. Si je tiens jusque là...
Une fois dans la vallée, je suis un torrent au milieu des arbres. C'est très agréable.
Et plus j'avance plus le chemin s'élargit jusqu'à devenir carrossable. Cela me permet d'accélérer le rythme. A 18h, je rejoins une nationale. Il me reste 7 km de route goudronnée à faire pour aller à Parzan.
Je devrai faire du stop car la route est encaissée entre les montagnes et un torrent. Les bas côtés sont réduits au minimum. C'est dangereux et sans aucun intérêt. Mais je crains de rester planté avec mon look de clochard et mon espagnol est trop limité pour faire la conversation au chauffeur qui acceptera de me prendre.
D'après le guide, il y a un seul hôtel plutôt miteux à Parzan. Je ne doute pas un seul instant qu'il y aura de la place. Parzan est une ville frontière constitué de quelques maisons mais de 4 supermarchés. Comme la vie est moins chère en Espagne, les français viennent faire leurs courses dans la 1ère ville espagnole après la frontière. Donc rien de touristique mais idéal pour un hiker.
Je m'envoie donc le goudron pour 7 km. Dès que mon téléphone accroche le réseau, je contacte Inigo via WhatsApp pour savoir s'il est en ville. Il me répond qu'il est au camping de la prochaine ville à 4 km. Je le trouve bien courageux de s'être envoyé 11 km de goudron. J'apprendrai après qu'il a eu la chance de tomber sur un randonneur à la journée qui récupérait sa voiture au moment où il est arrivé sur la route. Il n'a même pas fait un mètre de goudron. Je n'ai pas eu cette chance et je me suis bien mangé les 7 km maudits.
Alors que je fais 25 km par jour en montagne avec plaisir (mais avec souffrance), je deviens fou pour chaque km sur le goudron. Je regarde mon GPS 500 fois pour voir combien il me reste. A chaque 100 mètres je pense avoir fait un km. Je m'ennuie à mourir et les rase-mottes des certains conducteurs me rendent fou furieux.
Je finis quand même par arriver à Parzan. Les supermarchés sont visibles à des kilomètres avec leur grosses pancartes en français pour des marques d'alcool. En fait si les magasins sont grands plus de la moitié de la surface est réservé à l'alcool et au tabac. Les parkings sont immenses et les plaques d'immatriculation bien françaises. Visiblement les vacanciers aussi viennent remplir le coffre de pastis et de clopes.
Je trouve l'hôtel qui n'a absolument rien d'un taudis. Il est tout pimpant à la sortie de la ville et la terrasse de son restaurant donne bien envie de s'y arrêter. Étonnamment, il y a 6 marcheurs en train de boire une bière. Je ne connais pas leur tête et je trouve que ça fait beaucoup. J'arrive, je les salue et ils sont tous espagnols. Bien évidemment, ils veulent me parler mais je ne comprends pas grand chose. Va falloir sérieusement que je me remette à l'espagnol car j'ai vraiment trop perdu. J'arrive quand même à comprendre qu'ils font le GR11. Le ciel me tombe sur la tête. Je suis dans une ville étape du GR11 au mois de juillet. Je me précipite à la réception de l'hôtel et la sentence tombe. Pas de chambre disponible. Il est 19h, je suis debout depuis 6 heures et j'ai 28 km dans les guibolles. Surtout il faut que je ravitaille.
La réceptionniste pourtant jeune ne parle ni français ni anglais. Le GR11 est surtout pratiqué par des espagnols. Avec mon espagnol à la noix, j'arrive à comprendre que les supermarchés ferment à 8h et qu'elle peut me commander un taxi pour aller au camping à 4 km.
Aussitôt dit aussitôt fait. Je laisse mon barda et part faire les courses sans faire l'inventaire de ce qui me reste. Très mauvaise idée d'agir de cette manière quand chaque gramme compte mais je n'ai pas le choix. Je fais 2 supermarchés tellement le choix proposé me déconcerte. On y trouve de l'alcool à profusion, des souvenirs, des produits locaux, des chocolats mais le rayon épicerie est ridiculement petit et limité. Je sélectionne ce que je peux sans trop réfléchir pour les 5 jours à venir. J'achète n'importe quoi et surtout trop.
Je reviens à l'hôtel et je commande mon taxi. Je préviens Inigo de mon arrivée au camping. Il vient m'accueillir sur le parking et a tout arrangé. Nous allons partager son emplacement pour un supplément et me fait les honneurs de la visite et des installations. Le camping est nickel. Grand luxe avec laveuse sécheuse. Je monte ma tente, prends une douche et nous allons manger au restaurant du camping. Pour 15 €, le menu est excellent et mon moral repart à la hausse. Le temps de laver mes affaires, il est néanmoins Minuit quand je me couche. La journée aura été particulièrement longue.
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