Ce matin je m'habille avec des affaires entièrement sèches ! En effet j'ai profité du radiateur qui ronronnait dans ma chambre pour faire sécher toutes mes affaires. Mêmes mes chaussures sont chaudes et un bonheur à mettre. On a beau être mi juillet, le chauffage tourne à plein régime à Roncevaux.
A 7h, heure d'ouverture de la salle du restaurant, je descends prendre mon petit déjeuner. Les randonneurs de Saint Jacques sont déjà là. Il s'agit de groupes de personnes plutôt agées, qui parlent fort et qui s'invectivent d'une table à l'autre. Les couleurs de leur vêtements techniques vont du fushia, au rose, en passant par le jaune et le vert fluo. Ils sont tous français. Mais aucune serveuse ne parle la langue de Molière. Pourtant nous sommes sur la frontière et les locaux devraient indifféremment parler les 2 langues. Ce n'est jamais le cas et ceux qui essayent de parler français ont un niveau déplorable. Je ne sais pas comment ça se passe du côté français mais la frontière est bien une réalité et les 2 pays s'ignorent. A l'heure de l'Europe c'est très étonnant.
Pour ma part, j'ai la nausée de cette avalanche de couleurs criardes et du sans gêne de ces pèlerins de pacotille. Il est tant que je taille la route. Keep the road Jack.
La météo annonçait couvert mais pas de pluie. J'ai donc rangé mes vêtements waterproof et même mis de la crème solaire (même avec la pluie, j'ai commencé à rougir).
Lorsque je passe le pas de la porte je prends une grande claque. Le temps est identique à celui d'hier. Les nuages sont accrochés et l'humidité est à 100%. Il se peut que ma bouche ait lâché un juron ou deux mais pas le choix il faut reprendre la route. Je reste sur le Camino Francès. En fait je suis en train de le prendre à contresens. Alors que je vois des hordes de pélerins partir vers le Sud, pour ma part je remonte vers le Nord.
Je suis donc complètement seul puisque la nouvelle vague de pèlerins arrivera en fin de journée.
Toutes les flèches que je croise sur le bord du chemin sont en sens inverse et m'invectivent de partir dans l'autre sens. Je me sens comme l'acteur principal de Midnight Express. Alors qu'il est emprisonné dans un asile psychiatrique, il décide de tourner en sens inverse de la promenade pour lutter et ne pas devenir fou. Moi aussi je lutte pour ne pas être un randonneur du tourisme de masse et peut être pour cultiver ma différence. Vais éviter la folie où est ce déjà trop tard ? Qui est normal et qui est fou ? Celui qui suit le troupeau ou celui qui tracé sa propre voie au risque de s'y perdre ?
En attendant, ça grimpe et ça grimpe sec. Il faut dire que tous les jours les étapes se terminent à un col. Donc pour repartir d'un col, il fait grimper lorsqu'on reste sur la ligne de crêtes. D'après le tracé, je doit monter de 1200 m en moins de 4 km. Ça pique sérieux pour un échauffement. En plus je suis dans la purée de poix la plus totale. D'ailleurs quand j'arrive au sommet, le vent et la pluie sont si forts que je redescend au plus vite de l'autre côté. Je suis frigorifié. J'enfile mes vêtements chauds prévus pour la haute montagne tellement j'ai froid. Je rage de ne strictement rien voir du paysage et enchaîne les kilomètres dans le blanc impénétrable.
Alors que je rejoins la route, je croise un vieux vacher espagnol qui vient d'aller voir ses bêtes. Il veut me parler mais je ne comprends pas un traître mot. Je n'ai pas le niveau. Nous nous contentons de nous sourire. C'est dommage parce que je n'arriverai pas à échanger avec les espagnols. C'est une grosse perte pour moi. Rencontrer les gens fait partie du voyage. Pas ce coup ci...
Les nuages commencent à remonter et me permettent de voir ce qui m'attend. Et c'est un choc.
Devant moi s'élève une vraie montagne qui n'a rien à voir avec les vallons que je traverse depuis 4 jours. Je savais que les choses sérieuses commençaient car il n'y a plus que des refuges pour les 5 jours à venir. Pour moi la montagne qui me fait face est la vraie porte des Pyrénées. Fini de faire joujou avec les GR de Saint Jacques, voici la haute montagne qui pointe son nez. C'est comme un voyage dans le voyage. Je me mets à paniquer. Ai je vraiment le niveau ? Je me rappele d'un coup que le guide anglais que j'ai acheté précisait bien que la HRP s'adresse à des montagnards expérimentés. Je ne suis ni l'un ni l'autre...
Aujourd'hui je dois monter au sommet de cette moyenne montagne. Depuis le bas je vois bien les zig-zags serrés qui permettent de la grimper.
Je décide donc d'attaquer ce passage comme si je gravissais l'Everest. Je dois la passer à fond et sans arriver fatigué en haut. Si je n'y arrive pas, c'est que je ne suis pas capable de faire la HRP.
Concentré comme pas possible, je m'avale les 400 m de dénivelé comme si de rien n'était. La bêtise mais surtout la motivation donnent des ailes.
De l'autre côté, les nuages s'en vont et je vois même des rayons du soleil. Quelle récompense ! Je prends ça comme un signe divin. Peut être que je vais réussir la HRP.
Après avoir dévalé la pente, je vois au loin mon Italien et mon Californien qui ont installé leur tente. Il n'est que 15h mais il est vrai que c'est la fin officielle de la section du jour. Je n'ai pas envie d'arrêter là. Je vois d'ailleurs qu'il y a un restaurant d'altitude à 8 km. En 2 heures ça devrait le faire même si il y a 600 m de dénivelé pour y arriver.
Je commence donc à monter le sentier. Je sors quand même mon téléphone (je n'ai plus de GPS) pour vérifier. Le sentier que je suis ne mène pas à l'endroit prévu. En fait il n'y a pas un sentier mais des 10aines et des 10aines de sentiers tracés par les chevaux, les vaches et les moutons. Ces animaux sont partout autour de moi et me regardent d'un air morne. Par contre il n'y a aucun sentier qui correspond au tracé officiel. Après plusieurs tentatives, j'en suis convaincu. La HRP n'est pas pour les débutants... J'analyse donc le trajet pour repérer quel col je dois franchir parmi tous ceux qui m'entourent. Je grimpe droit dans sa direction mais sans chemin, c'est une vraie galère. J'avance tout doucement et mon énergie baisse à la vitesse de l'éclair. En résumé, j'en prends plein les gencives.
A 17h, je passe le col pour m'apercevoir que la suite est un sommet. Je ne suis pas prêt de manger au restaurant. Un vent à décorner les boeufs se lève et je suis frigorifié en quelques minutes. Pas le choix. il faut que je sorte de là, que je trouve de l'eau et un endroit où planter ma tente. Autant dire que je dois m'armer de patience et ne pas lâcher. J'aurai du faire comme mes camarades et m'arrêter à l'étape au lieu de vouloir continuer. Bien fait pour moi.
Un pas après l'autre, je finis par passer le sommet et enchaîner jusqu'au col suivant. Je vois des arbres ce qui veut dire qu'il y a de grandes chances pour qu'il y ait une rivière. Effectivement j'y trouve une source et à la sortie du bois une belle zone planne pour planter ma tente. Adieu le restaurant, je n'irai pas plus loin.
Je mange avec délectation un lyophilisé (qui a dit c'était pas bon ?) en regardant une jeune bergère et son chien récupérer son troupeau de chèvres. Autour de moi les chevaux et leur poulains font des grandes cavalcades en hénissant à qui mieux mieux. Finalement ça valait le coup et c'est bien mieux qu'un restaurant !
❤️
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