La pluie a enfin cessé cette nuit. Néanmoins l'humidité est omniprésente et même sur mon duvet lorsque j'y passe la main. Tout est trempé et rien ne peut sécher sans que le soleil ne revienne.
Ce matin, je n'entends toujours pas la pluie s'écraser sur le toit de a tente. Je glisse un œil dehors et les nuages sont toujours bien présents et cramponnés aux montagnes environnantes. Pas une minute à perdre, je profite de l'accalmie pour prendre mon petit déjeuner et plier les affaires dans des conditions décentes. Je grince toujours des dents quand je dois mettre des affaires mouillées - et malodorantes - en sortant directement du duvet. Le pire sont les chaussettes et les chaussures qui regorgent d'eau.
Je reprends mon plan de la veille qui est de prendre le chemin carrossable plutôt que le sentier boueux parallèle que j'aperçois de temps en temps. Mon objectif est d'aller le plus vite possible à Salardu pour me mettre au sec et prendre une bonne douche chaude.
Je suis détendu sur ce chemin où je n'ai pas besoin de regarder mes pieds à chaque pas pour me tenir en équilibre sur des rochers ou des racines. C'est vraiment plaisant de marcher naturellement sans être concentré à ne pas chuter. J'ai 10 km à faire et ce matin je vais utiliser les routes pour véhicules au maximum.
Le chemin carrossable se transforme d'ailleurs en route goudronnée. Je suis tellement bien que exceptionnellement je décide d'aller jusqu'à la ville par cette route. Avec l'humidité, il fait vraiment froid. Je ne quitte pas ma doudoune et, comme hier sous la grêle, je mets mes gants. Oui pour le 1er août, je suis équipé pour aller au ski et je n'ai pas bien chaud.
Alors que je descends vers la ville, je croise de plus en plus de véhicules qui en viennent et qui montent vers la montagne. Plus l'heure tourne plus le nombre de véhicules croît. Nous sommes Dimanche et les randonneurs se rendent sur les sites de marche. J'espère qu'ils ont prévu leurs vêtements de pluie.
J'ai enlevé le mode avion de mon smartphone pour appeler le plus tôt possible et réserver une chambre. Salardu est au pied d'un domaine skiable et le nombre de véhicules que je croise me laisse penser que la zone est aussi touristique en été qu'en hiver. Je ne souhaite pas recommencer l'expérience de Parzan et je détesterai finir au camping. Je voudrai me mettre "hors d'eau". Le premier hôtel que j'appelle a de la place et m'indique que même si la chambre se donne habituellement à 17h, elle va être nettoyée immédiatement pour qu'elle soit disponible dès que j'arrive. Quelle différence avec la France ! Je précise qu'il ne s'agit que d'un hôtel 2 étoiles et qu'on ne m'a même pas demandé le no de ma carte de crédit pour ne pas "m'éjecter".
Je continue à descendre la vallée et je vois au loin un barrage. L'hydroélectricité est omniprésente des 2 côtés de la frontière. Je ne compte plus les barrages que j'ai vus dans les Pyrénées même dans les endroits les plus improbables.
Bientôt c'est la station de ski que j'aperçois. Je suis étonné par ce complexe propret et de bon goût.
Je suppose qu'il s'agit d'une station de luxe côté Espagnol.
La ville de Salardu est aussi très belle tout en pierre. Tout est nickel et je me croirais presque en Suisse si les plaques des voitures n'étaient toutes espagnoles.
Je suis content d'arriver car j'ai surestimé ma capacité à pouvoir supporter de manger du goudron. J'ai croisé bien trop de véhicules. Le soleil a aussi fait son apparition ce qui ne fait pas bon ménage avec le goudron.
Je sens mon sac qui commence à sécher alors que jusqu'à maintenant il s'egouttait sur mes jambes à chacun de mes pas. Sensation particulièrement désagréable s'il en est.
Après avoir pris possession de ma chambre - prête comme promise, je décide d'aller manger un morceau.
Mais on mange tard en Espagne. Inigo m'a dit que 14h était l'heure idéale mais que vers 13h/13h30, on pouvait trouver des restaurants ouverts.
Je trouve un bar restaurant, donc ouvert, et comme tout le monde est à l'apéro, je suis le premier à vouloir manger (un marcheur français meurt de faim à 13,h30 ! ).
Vers 14h, les gens commencent à arriver et occupent mollement les tables extérieures du bar pour discuter plus que pour manger. L'heure espagnole n'est vraiment pas une légende.
La petite terrasse est maintenant pleine quand arrive une jeune femme qu'on case sur une petite table dans l'entrée.
Je la remarque car cette petite blonde porte uniquement des vêtements de hiker. Je suis persuadé que c'est une HRPiste car le GR ne passe pas par Salardu. Elle est dans le passage, tout le monde lui marche dessus mais aucun serveur ne s'en occupe.
J'ai une grande table ronde pour 4 et j'ai réussi à trouver le serveur qui parle anglais. Je voudrais lui proposer de partager ma table et de l'aider mais je me dit qu'elle va me prendre pour un vieux pervers qui veut la draguer. Elle doit avoir 25 ans à tout casser donc grosso modo l'âge de mon fils aîné. Donc je laisse mes préjugés prendre le dessus et je ne l'aborde pas. Effet secondaire de #Me Too. Je rumine parce que je trouve ça débile. Elle serait un homme, vieux de surcroît, je n'aurai pas hésité une seule seconde. Comme pour elle la situation ne s'améliore vraiment pas et que je la vois de plus en plus nerveuse et frustrée, je me décide à franchir le pas et lui propose de partager ma grande table. Elle est ravie de pouvoir quitter son inconfortable position et me fait un grand sourire en se précipitant sur une chaise libre. Comme quoi je suis vraiment débile. On nous bourre tellement le crâne contre le harcèlement que ça finit par empiéter sur les simples relations sociales. A vouloir tout aseptiser et réguler, on tue l'entraide et le partage. Je lui explique rapidement que je fais le HRP et que je suppose qu'elle aussi afin d'éliminer toute ambiguïté sur mes intentions. Nous faisons partie de la même tribu où l'entraide est le mot d'ordre. Elle me répond bien sûr qu'effectivement elle est sur le HRP et qu'elle le fait avec son petit ami avec qui elle est momentanément séparée à cause du mauvais temps. Voilà les choses bien claires entre nous en quelques secondes et nous pouvons sereinement échanger entre hikers. Edyta est polonaise et parle un excellent anglais pour avoir travaillé quelques mois aux US. Ceci nous permet de papoter comme de vieux amis jusqu'à 16h30. En fait, même les Espagnols ont fini de manger quand nous quittons le restaurant. On se dit adieu en espérant se revoir un de ces jours sur le trail.
L'épicerie de Salardu est plus que minuscule et on y trouve pas grand chose. Je suis déçu et je dois ravitailler pour 4 jours avant de repartir. D'après ce que m'a dit Edyta, la ville proche de Vielha est plus importante et un bus y amène toutes les heures. Voici mon objectif de demain puisque je prends mon premier jour de repos, mon premier zero (pour zéro km effectué sur le trail). Repos ne veut jamais dire ne rien faire quand on est hiker...