Ça tombe bien puisque j'ai une grosse montée de 1000 m de dénivelé à faire. Autant commencer à la fraîche avant que le soleil ne tape fort. Les Pyrénées ont commencé à baisser en altitude et la chaleur est plus accablante qu'en haute montagne.
Je traverse Amélie les bains endormie alors que le jour se lève. Je ne croise à peu près personne sauf des artisans qui vont boire le café au bar.
Comme d'habitude, pour sortir d'une ville Pyrénéenne, il suffit de lui tourner le dos et de monter la pente qui fait face.
L'étape du jour est simple, une grosse montée jusqu'au Roc de France (1000 m) suivi d'une grosse descente jusqu'au hameau de Las Illas (800 m).
Hier le propriétaire de l'hôtel m'a dit avec un sourire entendu "demain vous allez au Roc de France. Je connais, j'y suis allé quand je chassais". Son air était bizarre, un peu comme un connaisseur s'adresse à un autre connaisseur sur un ton de connivence... Ça m'a un peu étonné.
Ce matin, le chemin est bien tracé, aménagé par endroits par les anciens avec une sorte de pavement avec des rochers. Il y a des traces de peinture bleue. Visiblement une course d'ultra trail est passé par là récemment. Je ne risque pas de me perdre. Il n'y a que la pente que je trouve bien raide. Bref comme d'habitude quand je quitte une ville de ravitaillement.
Mon sac est bien lourd pour les 3 jours qu'il me reste. 3 jours c'est vraiment pas grand chose avant la fin. Cette pensée m'évite de me plaindre. Bientôt le retour dans le canapé à regarder Netflix... Du coup, je m'émerveille de tous les détails autour de moi.
Je m'éloigne d'Amélie. Petit à petit, les bruits de la ville s'estompent et je retrouve le silence de la montagne. En fait l'activité humaine avec ses autos et toutes ses machines est surtout et d'abord bruyante. Aucun autre animal ne fait autant de bruit que nous.
La montée est difficile mais elle va surtout être très longue. 1000 m va me prendre la matinée, autant que je prenne mon mal en patience. Ce que je fais sans problème.
Bientôt le chemin redescend. Ce n'est pas normal... Ce que me confirme le GPS qui me dit que j'ai raté une bifurcation. Je reviens en arrière et trouve un cairn qui indique un sentier...qui n'existe pas.
J'ai fait la moitié du chemin jusqu'au sommet du Roc de France et je dois prendre un sentier de chasseur pas marqué sur l'autre moitié.
Je suis au milieu des chênes verts et je dois deviner où se trouve le sentier. Cela fait des semaines que personne n'est passé par là, sûrement depuis que la chasse est fermée.
Il fait sombre dans ce sous bois d'une manière un peu inquiètante. Trouver ma voie va me prendre des heures. Je comprends maintenant l'air entendu de l'hôtelier. Sans être un chasseur local, je n'ai pas fini de galérer dans ce sous bois où tous les arbres se ressemblent.
J'ai beau chercher sur la carte, il n'y a pas d'alternative. Je n'ai pas le choix je dois y aller. En plus je me suis mis dans cette situation tout seul puisque j'ai quitté le HRP. Je le rejoindrai d'ailleurs au Roc de France. A condition d'y arriver...
J'ai quand même un avantage. J'ai un peu d'expérience pour m'être accommodé de pas mal de sentiers mal indiqués depuis toutes ces années que je randonne. Je vais mettre toute cette expérience à contribution. La première chose est de comprendre la philosophie et l'objectif du sentier que l'on suit. Celui-ci a été ouvert par des chasseurs qui ne viennent pas souvent pour rejoindre un sommet. J'en conclus que le meilleur moyen est de suivre la ligne de crête. Il y a certes des rochers mais les arbres n'y poussent pas et c'est la zone la plus à plat lorsque les pentes à droite et gauche sont escarpées.
Je marche donc sur la ligne de crête en utilisant les quelques cairns que les chasseurs ont posé. J'ai pas mal de varape à faire mais dans l'ensemble ça ne se passe pas si mal. Par contre, le chemin n'est absolument pas aménagé ou même fréquenté et je perds beaucoup de temps. Je suis un peu inquiet car la météo a annoncé un orage pour l'après-midi et que je ne veux plus être sur les hauteurs après 14h.
Je n'arrive pas à accélérer car je passe beaucoup de temps à me repérer. Je suis vraiment au milieu de nulle part et je n'ai aucune visibilité en profondeur. Je ne vois même pas le ciel à cause de la densité des arbres. J'avance au coup par coup quand je trouve la ligne de crête dans le dédale des arbres. Le peu de marques sont soit des cairns, soit des morceaux d'écorce enlevés à la hache soit des points de peinture sur les zones les plus critiques. C'est à la fois inquiétant et très excitant de se frayer un chemin dans cette demi obscurité. Mon seul vrai stress est l'heure qui tourne et le peu de dénivelé que j'avale.
Soudain un poteau face à moi. Un autre sentier rejoint le mien et il y a un balisage pour aller au sommet. Je me crois sauvé par ces marques jaunes. Malheureusement ils ont visiblement embauché un chasseur pour le marquage. Il y a peu de marques et uniquement sur les zones critiques. L'aide est vraiment succinte. Mais ayant compris l'esprit du sentier, j'arrive à m'en sortir.
J'arrive avec soulagement au Roc de France. La vue est dégagée et j'en profite abondamment après cette matinée un peu compliquée.
Il est 13h30, le ciel est clair et c'est donc le moment idéal pour manger.
Je redescends l'autre face de la montagne dans une forêt d'immenses hêtres bien plus gros et plus haut que les petits chênes verts que j'ai eu jusqu'à maintenant.
Je ne sais pas si je suis en France ou en Espagne. Le peu de panneaux que je vois sont écrits en Catalan, langue utilisée des 2 côtés de la frontière.
Maintenant que j'ai rejoint le HRP, les tracés sont clairs et bien marqués. La navigation devient vraiment simple. Je croise aussi de l'eau, élément totalement absent sur l'autre face de la montagne.
Je descends tranquillement vers Las Illas alors que les nuages noirs s'accumulent sur ma tête
J'accélère pour arriver avant que l'orage n'éclate. Je suis sur le "chemin des exilés" et des stèles rappellent que le gouvernement de espagnol est venu chercher refuge en France sous la dictature franquiste.
J'arrive sur Las Illas alors que le tonnerre gronde. Mes notes m'indiquent qu'il y a une zone de camping gratuite à la sortie du hameau avec douche, WC et eau courante. Je suis très étonné que la mairie mette à disposition une telle zone. Surtout qu'il y a une auberge qui doit voir cette compétition gratuite d'un mauvais oeil.
En arrivant sur la zone, je vois déjà des tentes et je retrouve Florent, qui s'anime à ma vue. En fait la zone est envahie de randonneurs faisant le GR 10. Nous partons en troupe boire une bière à l'auberge alors que l'orage nous lâche quelques gouttes. Au retour, nous partageons un repas sur les tables de pique nique de la zone de camping. Il y a un menuisier, un serveur, un retraité, une responsable informatique qui discutent ensemble de manière conviviale. Autant de diversité d'âges, d'expériences, de niveaux sociaux mélangés ne se retrouve ailleurs que dans un groupe de hikers. Tout est gommé et le partage se fait naturellement et avec bienveillance. Exactement la même chose que sur le CDT. C'est un aspect que j'adore et qui me manque quand je ne marche pas où la convention veut qu'on ne se mélange pas.
Néanmoins à 22h tout le monde part se coucher car demain il faut être en forme pour marcher. Et surtout il faut se lever tôt pour profiter de la fraîcheur du matin avant que le soleil ne nous brûle de ses rayons.
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