J'ai essayé plusieurs fois de voir les étoiles mais malheureusement la lune est grosse et ne se couchera qu'à 5h du mat. Et derrière c'est le jour qui va prendre le relais. J'ai donc raté mon rendez vous avec la voie lactée. J'avais pourtant le temps de la contempler pendant ce long voyage. Il ne faut jamais remettre au lendemain ce qui peut être fait le jour même. Encore un péché d'orgueil.
Ce matin c'est Florent qui se lève à 5h du mat. Il doit être tôt à Banyuls pour faire son test PCR. Pour ma part, je n'ai pas d'urgence et je compte bien profiter de cette dernière journée. Car le maître mot aujourd'hui est "dernier". Dernière nuit sur le chemin, dernier petit déjeuner, derniers kilomètres... La fin du voyage.
Eric est prêt alors que je me lève. Tant mieux j'ai vraiment l'intention de marcher seul aujourd'hui. J'espère toujours trouver des réponses aux questions que je me pose tout en sachant que le chemin n'a jamais répondu à aucune question. Mais il faut essayer encore et encore pour justifier tous ces efforts...
La section d'aujourd'hui ne fait pas plus de cadeau que celles des jours précédents. 800 m de montée et surtout 1300 de descente. Il faut bien retourner au niveau de la mer.
Alors que je prépare mon sac, un 4x4 arrive au niveau de la source où nous avons campé. Il s'agit du vacher dont le troupeau paisse au dessus de la source. Il appelle son troupeau par de grands cris qui ressemble à "Tiiiiiii Té". Les vaches lui répondent en meuglant et se mettent en route dans un bruit assourdissant de cloches pour suivre le 4x4. Visiblement on les mène dans un autre pâturage.
Je recolle au GR 10 que je vais encore suivre toute la journée pour les 17 km qui restent à parcourir jusqu'à Banyuls. Le paysage est une succession de sous bois de forêts de magnifiques hêtres centenaires et de pâturages, composés d'herbes brûlées par le soleil. Les vaches râclent le peu d'herbe qui reste.
Du côté français s'étale une mer de nuages alors que du côté Espagnol, on voit la côte noyée dans une légère brume.
Il y a peu de marcheurs mais l'heure est encore jeune. Le 4x4 du vacher s'arrête à ma hauteur. Il me demande si j'ai croisé des bêtes depuis la source. C'est effectivement le cas car les vaches avec de jeunes veaux n'ont pas suivi le troupeau. Nous en profitons pour discuter et j'apprends que la magnifique barrière électrifiée que je longe vient d'être installée pour empêcher les troupeaux espagnols de passer du côté français. Il n'y a pas d'eau côté Espagnol mais la sécheresse est si forte que le peu d'herbe ne peut pas être partagée avec d'autres troupeaux. D'où la nouvelle barrière sur la frontière. Un mur électrifié façon Trump pour empêcher l'immigration clandestine de vaches Espagnoles...
Le chemin monte et descend en suivant la frontière pour rester sur le point le plus haut. Je n'ai pas vraiment la sensation de descendre vers la mer mais tous les repéres derrière moi sont plus hauts. Je descends donc légèrement sans trop me rendre compte.
Bientôt c'est la ville de Banyuls et toutes ses vignes qui s'étalent sous mes yeux. La fin n'est vraiment pas loin.
Je n'arrive plus à réfléchir submergé entre les souvenirs de ce voyage, des images des précédents qui se mêlent au present flash back, des pensées sur le futur, sur le prochain voyage - ou pas, sur ce que j'ai accompli... Un bien trop gros mélange pour un cerveau aussi petit que le mien. Je décide de fuir ce déluge de sensations avant qu'il ne devienne toxique et me réfugie dans la littérature audio. Il faut que je me concentre sur autre chose que cette petite mort que j'ai déjà croisée par le passé.
C'est vrai que j'en ai plus peur aujourd'hui que par le passé car je n'ai pas travaillé à me construire une carapace comme la fois précédente. Ce voyage était trop court et physiquement trop intense pour me laisser appréhender les éléments hors de l'instant présent. Je verrai bien dans les jours à venir.
Je reçois un SMS de Florent qui m'attend sur la plage. Je suis à quelques km de Banyuls est la descente est bien raide pour rejoindre le niveau de la mer. Heureusement il y a des nuages et la force des rayons du soleil s'en trouve amenuisé. Tant mieux car il fait déjà beaucoup plus chaud qu'en haute montagne.
J'arrive en ville et je remonte l'avenue en direction de la plage. Bientôt le terme du voyage. Il y a énormément de touristes mais peu sur la plage à cause du temps voilé. Tant mieux, je profiterai encore plus de ce moment. Quelques pas sur le gravier gris et les galets et me voici face à la mer. C'est fait. J'ai traversé les Pyrénées de Hendaye à Banyuls en 45 jours, 743 km et 51 milles mètres de dénivelé. Je suis heureux parce que c'était difficile mais on ne réalise pas réellement ce qui a été accompli sur le moment.
Je rejoins Florent et Romain en train de lézarder sur la plage. Je me déshabille et me jette à l'eau bien plus chaude que celle des lacs.
La petite troupe que nous sommes se dirige vers le camping municipal, seul établissement à pouvoir nous accueillir puisqu'il n'y a pas un hôtel de libre en ville. Le camping affiche complet mais on commence à attribuer les places des personnes qui ont réservé et qui ne sont pas venus. Une chance...
Nous retrouvons les personnes que nous avons côtoyé ces derniers jours puisque les randonneurs sont tous dans la même zone.
Nous décidons d'aller manger tous ensemble et il s'avère que trouver un restaurant non complet n'est pas simple. A peine avons nous fini de manger qu'un feu d'artifice éclate sur la plage. Voilà une bien jolie façon de clôturer une soirée.
Demain lever à 5h30 pour retourner en train à Marseille. Retour à la "vraie" vie..