samedi 1 septembre 2018

1er Septembre - West Fleshner

Le vent n'a absolument pas baissé d'intensité de toute la nuit. Je suis né avec le Mistral qui souffle comme un forcené dans la vallée du Rhône. J'avais un ami Alsacien quand j'étais étudiant qui devenait fou lorsque le Mistral soufflait pendant plusieurs jours. Il était professionnel dans l'équipe de basket d'Avignon. Il a laissé tomber cette équipe pour en prendre une moins bonne afin de s'éloigner du Mistral. Je pense qu'il aurait aussi laissé tomber le CDT pour s'éloigner de ce vent dément qui m'accompagne depuis plusieurs jours.

Bien entendu, ces conditions météorologiques maintiennent la température à son plus bas niveau. Je déjeune dans la tente qui me coupe du vent mais j'ai les mains gelées. Le temps de tout ranger et je démarre à 8h. J'ai l'intention de faire 30 km aujourd'hui afin que demain je puisse faire du stop sur l'autoroute à une heure décente. Je suis mal parti...

J'ai campé à la lisière de la forêt et je me retrouve dès le départ sur une prairie.

Le vent souffle si fort que j'ai du mal à respirer. Il m'arrache mon chapeau pourtant maintenu par une sangle. Je titube en fonction des bourrasques.

Le chemin monte en direction du "lookout". Il s'agit d'une tour de guet carrée, totalement vitrée sur ces 4 faces permettant de surveiller la forêt et de voir les départs d'incendie.

Je rêve d'en visiter une en activité. J'en ai raté une au Nouveau Mexique, l'autre occupé par Hercules et Kettle était désaffectée. Pour celle-ci le temps joue contre moi. Si je m'arrête je vais discuter pendant au moins une heure et je ne pourrai pas faire mes 30 km.

Le chemin mène directement au pied de la tour. Au moment où je fais une photo, les 2 occupants me font de grands signes de la main. Je vois qu'il y a de la fumée qui sort du toit. Ils ont allumé le poêle à bois. Il doit y faire chaud...
Un des occupants sort et me fait des signes pour que je monte les rejoindre. Malgré ma décision de ne pas m'arrêter, je ne peux pas refuser l'invitation et je grimpe dans la tour.
Ce qui frappe en premier quand on y pénètre c'est la vue. A 360 degrés s'étalent les montagnes à perte de vue. Nous sommes sur la plus haute montagne à des kilomètres à la ronde et rien ne bouche l'horizon.

L'équipement de la tour est très basique et le confort minimum. Un matelas à même le sol. Un pupitre central avec une carte en dur collée dessus. Cette carte permet d'identifier le nom de l'endroit d'un départ de feu. Tout autour sous les fenêtres des étagères pour ranger des affaires personnelles et de la nourriture. Cette tour me fait penser à un voilier au port devant une mer de montagnes.

On m'offre un café devant le poêle bien chaud qui me réconforte. On me demande si j'ai besoin de quelque chose comme de la nourriture ou de l'eau. Toujours un accueil à la hauteur de cette gentillesse qui est devenue légendaire.

Je m'étonne de ne voir aucun appareil électronique et au minimum une radio pour communiquer avec un central quelconque. Comme je pose la question, John, 54 ans, m'explique que le lookout est désaffecté et qu'il l'a loué pour y passer ses vacances avec sa femme et un de ses fils. Il va faire le CDT l'année prochaine et me pose plein de questions. Nous parlons sections du Trail, matériel, difficultés...

Il connaît bien le CDT et je sens qu'il a potassé le sujet pendant des heures. Il est même capable de me citer des noms de cols dans le Colorado où il n'a jamais mis les pieds. Chaque fois que je raconte une anecdote, je vois ses yeux briller comme celui d'un enfant pour un conte de fée. Il est inquiet pour son physique. Je retrouve chez lui exactement toutes les questions que je me posais avant de commencer. Au moment où je le quitte, il me dit à quel point il a hâte de commencer et combien il m'envie d'être sur le Trail. Je reconnais dans l'expression de son visage la même ferveur qui m'habitait pendant tous ces mois de préparation.

Je retourne dans la tempête totalement décontenancé. En fait, cette rencontre m'a fait énormément de bien. Elle me permet de me rappeler combien j'ai de la chance de pouvoir faire ce Trail. Combien je suis privilégié. Au lieu de penser à chaque instant à la fin du voyage, combien les conditions climatiques sont difficiles, je dois me réjouir de chaque minute que je vis en marchant. Le voyage est toujours en cours et je dois en profiter.
Je dois encore faire un parallèle avec la vie. On ne peut pas passer le reste de sa vie en pensant à sa mort. On ne peut pas gâcher tous les jours qui nous restent à vivre en pensant uniquement au dernier. Il faut profiter de chacun de ces jours qui nous sont donnés pour les vivre pleinement. C'est bien cette raison qui m'a poussé sur le CDT. Je ne dois pas aller à l'encontre de ma motivation première.
Donc oui le CDT va se terminer un jour, comme ma vie va avoir une fin, et je vais profiter pleinement de chaque instant qui m'est donné pour me réjouir de ce qui se passe et du spectacle qui m'est offert.

Je me sens beaucoup plus léger. Je trouve le paysage plus beau. Grâce à John, miroir de ma propre démarche, je replonge dans mon objectif premier. Je suis sur le Trail et la nature éclate autour de moi. Les difficultés ne sont là que pour rehausser les couleurs de la vie.

J'enchaîne les montées et les descentes. Je sais que je vais faire les 30 km même si j'ai 2 heures de retard sur mon planning habituel. Plus aucun doute.

A midi j'arrive au seul point d'eau de la journée. Il faut que j'y fasse le plein. Hier et aujourd'hui, j'ai trouvé des caches d'eau comme dans le désert du Nouveau Mexique au niveau des Trail Heads que j'ai croisés. Je n'y ai pas touché puisqu'il y a au moins un point d'eau par jour. Je le cherche en suivant le sentier qui y mène. Le sentier s'arrête et je ne vois rien. En fait le bourbier devant lequel je suis est le point d'eau. Je fais le tour, remonte et descend la pente, tend l'oreille. Il n'y a rien que de la boue piétinée en tous sens par les animaux. Je trouve une flaque d'eau stagnante avec un fond de vase et un morceau de bois en décomposition qui flotte dedans. Pas le choix, il n'y a rien de mieux sur la zone. Je sors mon filtre afin de traiter cette eau marron dans lequel flotte des débris de végétaux. Je dois nettoyer mon filtre plusieurs fois pour arriver à extraire 2 litres de la flaque. Je n'en tirerai pas plus car elle est quasiment à sec. Je dois dire que même si l'opération est douloureuse, le résultat est spectaculaire. J'ai 2 litres d'une eau fraîche et claire qui n'a aucune odeur. Lorsqu'ils fonctionnent, ces filtres sont d'une efficacité redoutable.

J'ai réglé mon problème d'eau mais j'ai encore perdu une heure de plus. Je me remets à marcher pour essayer de trouver un endroit abrité du vent afin de déjeuner. Je finis par m'arrêter dans une clairière au milieu d'un bois. Je n'ai pas de vue mais au moins le vent me laisse tranquille.

Je n'ai pris aucune pause ce matin et je n'en prend pas cet après midi. A 17h, j'ai fait 31 km et 900 m de dénivelé. Je crois que j'ai bien marché en prenant en compte les heures de retard. Je suis à côté d'un endroit ensoleillé, totalement protégé du vent et je vois une magnifique zone plate pour ma tente. Je ne résiste pas. Il est tôt mais j'ai rempli mon contrat. Je m'installe pour la nuit. Si tout va bien demain je serai à Lincoln.

3 commentaires:

  1. Bonjour Laurent
    Super récits.
    En rentrant, tu pourras faire éditer ces reportages journaliers sou forme de livre.
    C'est passionnant, surtout lorsque tu rencontre un grizzly ou un puma.

    Profites bien et prend soin de toi.
    Christian

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est pas gentil de se moquer :-) Veux tu devenir éditeur ? Je sens que le business te manque ;-)
      Je profite à fond surtout que la fin est proche !
      A bientôt

      Supprimer
  2. correction : sous forme, tu rencontres

    RépondreSupprimer

25 août - Sospel > Menton

Il est 6h, l'heure des braves et de l'apparition du soleil. Je suis tellement proche d'eux que je réveille les squatteurs du jar...