A 5h30 le réveil sonne et j'ai dormi comme un bébé malgré le stress au moment du coucher. En fait, j'étais plus contrarié par mon histoire de câble que la peur du Ranger du parc. Ce matin le spectacle des glaciers dans le soleil levant est juste magique.
J'ai tout le parc pour moi tout seul et cela vaut tout l'or du monde.
J'ai allumé mon téléphone pour faire des photos. Tant pis pour la consommation. Je devrais y arriver. Mon objectif est de faire les 18 km qui me mène au refuge de Savoia en passant par le col du Manteau à 2790 m.
Je vois d'ailleurs qu'il y a un sentier sous mon cirque qui rejoint l'axe principal. Je vais le prendre afin de rester discret.
Je pars le coeur vaillant avec des étoiles plein les yeux. Il n'y a pas un mais 4 glaciers dans la vallée. Malgré ma fascination, je constate à quel point ils fondent. La roche noire qui marque l'ancienne position montre qu'ils ont réduit de plus de la moitié. Quelle tristesse ! Et dire qu'il y a encore des climatoseptiques. Je les engage à venir faire un tour ici plutôt qu'à lire des anneries sur leur écran.
J'ai toute la vallée pour moi et je savoure l'instant. Le sentier sur lequel je suis n'est plus utilisé depuis longtemps. Les herbes hautes l'ont envahi et seules les pierres empilées de soutènement laissent deviner la direction à suivre.
Je croise un cours d'eau ou je refais le plein. Le chemin "officiel" se trouve au fond de la vallée. Il paraît tout petit car je suis resté sur les hauteurs et je marche à flanc de montagne.
Soudainement au détour d'un virage les choses se compliquent. Le sentier a peine discernable s'enfonce juste sous les falaises des pics rocheux qui constitue le flanc de montagne. Je me dis qu'il s'agit d'un mauvais passage plutôt casse gueule. Il y a de grandes herbes qui cachent où on met les pieds et c'est bien escarpé. Un faux pas et c'est le grand plongeon dans la vallée. La pompe a adrénaline fonctionne à plein régime et j'avance pas à pas le plus prudemment possible. L'obstacle passé, il s'avère que le suivant est pire. Je le passe en me disant qu'il faut être totalement malade pour mettre un sentier ici. Le pic suivant me réserve le même sort. Je me dis que je ne peux pas continuer à compter sur ma chance. Ça va mal finir. Je commence à calculer comment rejoindre le fond de la vallée en faisant des zigzags. Mes premières tentatives me démontrent que c'est encore plus dangereux que de continuer. Je continue en ayant des suées froides. Je suis arrivé au bout des pics rocheux. Je prononce des "p**ain" en chapelet tellement j'ai eu peur de ne pas m'en sortir. Pour une mise en bouche c'était plutôt violent.
Mais la beauté du paysage me fait vite oublier cet épisode.
Je rejoins le chemin principal au bord d'un lac pour m'attaquer à la montée du col dans... Un méga pierrier. Quand le destin s'en mêle. Mais il ne pleut pas et le parcours a été travaillé par la main de l'homme.
J'arrive au col pour voir un paysage grandiose et pas une âme qui vive. Le nirvana.
Il ne me reste plus qu'à redescendre vers le refuge.
Je croise une équipe en train d'aménager le sentier qui a été endommagé par une avalanche.
Plus j'avance vers le refuge plus je croise de personnes. Retour à la civilisation. Mais c'est ce que recherche. Le parking du refuge est bondé et il y a bien un bus mais sans chauffeur. Direction la buvette ou l'accueil est plutôt froid. Nous sommes à quelques km de la frontière française mais personne ne parle la langue de Molière. Et j'ai comme la sensation que les Français ne sont pas les bienvenus.
Il y a quand même un serveur qui parle un peu anglais à qui j'explique mon problème de cable. Il me dit d'aller à la ville de Ceresole par le bus qui part à 15h et que j'achèterai mon billet directement dedans. Bien. Je paye mon coca 5 € - encore plus cher que dans les refuges en France - et il y ajoute 1 € pour recharger mon portable. Non vraiment on aime pas trop les français ici...
Il est midi j'ai donc 3 heures à attendre. Vu l'accueil au bar je n'ai pas envie d'aller au restaurant du refuge. Je me fais donc des ramens au bord du Lac. Je suis en train de nettoyer ma gamelle quand je vois du monde dans le bus. Il est 12h55 et je comprends que le bus part à 13h et non à 15h ! Je mets toutes mes affaires en vrac dans mon sac et court vers le chauffeur. Il part bien dans 3 minutes. Je cours au bar récupérer mon portable et saute dans le bus avant qu'il ne démarre. Le chauffeur refuse mon argent car la navette est gratuite. Conclusion le gars du bar m'a raconté n'importe quoi et j'ai eu de la chance de ne pas le louper.
Le bus est de taille normale et la route sinueuse à souhait avec des vélos, des motos et des campings cars qui montent. Je ne sais comment le chauffeur s'en sort mais c'est un virtuose. Le paysage est une succession de montagnes et de lacs mais la route fait que la zone est surpeuplée. S'il fallait le faire à pied, il y aurait sûrement moins de monde.
Je me fais lâcher devant l'épicerie du village de Ceresole. Il est 14h et elle est fermée. Elle est minuscule et les chances de trouver un câble sont très faibles. Direction le bar attenant pour vérifier. Le jeune black qui fait la plonge derrière le comptoir ne parle qu'Italien. Le patron qui pense parler anglais crois que je cherche simplement à recharger mon portable et m'envoie dans un autre établissement. "500 m à gauche" me dit-il. A 500 m rien d'autre qu'un campement de camping cars... Il y a un bar au dessus oú la patronne parle un français parfait. Elle me confirme ce que je pense déjà : aucune chance de trouver un câble dans ce village. Il faut que je tente ma chance à Cuorgné. Comment y aller ? Il doit y avoir un bus ..
Une chose que je m'aperçois sur ce voyage c'est que le système de bus en Italie est juste extraordinaire. Il y a des bus partout et ça ne coûte quasiment rien. Un billet coûte 4,50 € quelque soit le nombre de km. Autre chose qui me sauve la vie c'est Google maps. Il connaît tout les horaires de tous les bus et trains du monde. D'ailleurs il m'annonce un bus pour Cuorgné à 14h45 pile poil là où je me trouve. Effectivement je vois sur le bord de la route un signe jaune de bus brûlé par le soleil. Les horaires sont totalement effacées donc il ne me reste plus qu'à faire confiance à Google.
Le bus a 15 minutes de retard ce qui fait bien monter mon niveau de stress mais il arrive. C'est terrible pour moi de ne pas parler italien car le chauffeur ne comprends rien quand je lui demande s'il y un bus retour pour ce soir. Un passager qui a appris le français à l'école arrive à comprendre ma question : pas de bus retour avant 7h demain. Conclusion : je suis bon pour dormir à Cuorgné.
Je ne sais pas combien de km représente le trajet mais il nous faut 1h30 pour arriver. On fait tous les petits villages et on passe dans des rues improbables. Il est même nécessaire de faire des marches arrière pour passer des virages serrés en U. Croiser une voiture est un enfer. Ne parlons des campings cars ou les conducteurs paniquent totalement tétanisés par l'idée de manœuvrer.
Le trajet est épique mais nous arrivons à Cuorgné. Je traverse la route et je tombe sur une boutique de téléphonie. La patronne a le même âge que le jeune client qui lui prend la tête sur la répartition de son iPhone. Ça crie beaucoup et ça parle avec les mains. Surtout ça n'en finit pas. J'arrive quand même à acheter mon câble. 5 € et l'affaire est bouclée. J'ai mis 5h de transport pour acheter un câble à 5 €. Et je suis bloqué dans une ville à attendre un bus pour revenir à mon point de départ.
Cuorgné n'est pas spécialement jolie et surtout elle n'est pas touristique. Booking m'annonce le 1er hôtel dispo à 26 km. Quand on est à pied c'est un drame. Google me dit qu'il y a en tout et pour tout un seul hôtel qui est à 500 m. Pourvu qu'il y ait de la place. Je m'y présente. Il est dans son jus. La réceptioniste hors d'âge ne parle rien d'autre que l'italien. Mais bon elle comprend qu'avec mon sac à dos, je ne suis pas venu faire un ping pong. 5 minutes plus tard j'ai une chambre double pour 50 € petit déjeuner compris avec clim et wifi. Que rêver de mieux !
Une douche et je pars pour le ravito. Je ne trouve rien dans les 3 supérettes de la ville qui ressemblent toutes à des minis Lidl. La ville est pauvre et ça se voit.
Je décide de manger une pizza pour couronner la journée. Au restaurant, j'ai droit au plus mauvais accueil depuis le début du voyage. Alors qu'il fait une chaleur à crever, le patron dit que la terrasse est entièrement réservée alors que seules 2 tables sont occupées et que la serveuse allait me placer. Si je veux manger c'est à l'intérieur ou il règne une chaleur épouvantable avec le four à pizza. Je n'ai pas envie de me prendre la tête et j'accepte. Il me place alors à la plus mauvaise table entre les 2 portes des WC alors que la salle est vide. Je ferme ma gueule. Je baigne dans mon jus en lisant le menu. Une famille avec un tout jeune bébé ne veut pas manger en terrasse - tiens je croyais que tout était réservé - et préfère manger dedans. Du coup le patron allume la clim pour rafraîchir la salle. Il a bien de la chance que je parle pas la langue parce qu'il s'est vraiment foutu de moi. Je bouffe ma pizza le plus rapidement possible et je me casse avant d'exploser. Une journée bien remplie s'il en est. Demain on repars dans les montagnes si je ne rate pas le bus. C'est Samedi et c'est le seul de la journée...