mardi 5 juin 2018

5 Juin - La Chaîne Des San Juans

Il n'y a rien à faire dès que nous sommes au dessus de 3000 m, le gel nous tombe dessus pendant la nuit. Nous pensions y échapper car la soirée était chaude et c'est bien raté. Tout a gelé cette nuit y compris l'intérieur des tentes.

La plaine, couverte de gelée blanche, que nous traversons nous améne dans la chaîne des San Juan. Il y a des sommets à plus de 4000 m et nous devrions y goûter avant la fin de cette section.

En attendant ils nous faut remonter sur les San Juan depuis la plaine.


Ce qui veut dire une montée violente qui va nous amener à 3900 m. Mathieu en pleine forme me laisse sur place pendant que j'enlève ma doudoune sous l'effet combiné du dénivelé et du soleil qui me réchauffe enfin les os.
Le dénivelé ressemble à celui que l'on trouve dans les Alpes.

Mathieu m'a donné de la Ventoline qui fait effet sur mon souffle. C'est un vrai soulagement. Il n'en reste pas moins que c'est difficile. Puisque je suis là à ramer pour monter cette longue côte, j'en profite pour me demander pourquoi je m'inflige cette épreuve. C'est vrai, personne ne m'y oblige. Je le fais volontairement et quand je serai au sommet, je serai heureux de l'avoir fait. Mon nom ne sera pas dans le livre des records. Des tas de gens l'ont fait avant moi et des tas le feront derrière. Qu'est-ce qui nous pousse tous à nous dépasser 10 fois par jour à faire des choses physiquement difficiles et à y trouver autant de plaisir ?
Hier soir je discutais avec un hiker que je croise régulièrement, Storytime. Il me disait qu'il avait tout le temps du "fun" même quand c'est difficile ou dangereux. C'est vrai qu'il est tout le temps avec le sourire et tout le temps heureux. Au point que Mathieu et moi même l'avons surnommé "Lou Ravì" en référence au santon de la crèche un peu idiot du village qui se réjouit de la naissance de Jésus.

Il y a 2 jours, c'est Jerry, un autre hiker qui me disait qu'il était le plus heureux des hommes. Quand je lui ai demandé pourquoi, il m'a répondu "Regarde tu as la chaîne des San Juan devant les yeux, est ce que ce n'est pas le plus beau spectacle du monde ?". Jerry est tombé dedans depuis 4 ans. Depuis 4 ans, il marche et il ne peut plus s'arrêter. Il a 28 ans et il n'avait jamais quitté New York avant ses 22 ans. Diplômé en finance, au lieu d'aller à Wall Street comme ses amis de l'Université, il a fait le Colorado Trail. Sa vie a basculé. Il est allé habiter au Colorado pour pouvoir marcher. Il fait un job de serveur pendant la saison de ski. L'automne il vend des pommes dans une ferme en habitant chez ses parents. Et le reste du temps, il marche avec l'argent qu'il a mis de côté avec ses jobs. Il a fait l'AT, le PCT et cette année le CDT. Et il ne sait pas comment il va s'arrêter. Son frère à un job, une famille, une maison et il est heureux.
Lui ne se sent bien que lorsqu'il est dans la nature avec un sac sur le dos...

Ceci pour dire que toutes ces difficultés : les dénivelés, le froid, la malnutrition, le manque d'hygiène, les blessures font parties d'un ensemble qui permettent de ressentir un bonheur inexplicable à vivre dans des paysages de cartes postales. Et c'est parce que tous ces petits malheurs existent que notre bonheur est décuplé. Si vous obtenez un bonheur sans souffrir vous n'en profiterez pas aussi intensément.
Qu'est-ce qui compose notre bonheur ?
D'abord, les paysages à couper le souffle que nous avons gagnés à la sueur de notre front - enfin de nos jambes surtout - à chaque col atteint, un décor pour dormir qui change tous les jours, toujours aussi fantastique et chaque matin nous n'avons aucune idée du prochain lieu où nous nous arrêterons. Le coucher et le lever du soleil, rien que pour nous. Le chant des oiseaux le matin qui correspond au lever du soleil. Le temps ensuite. Nous avons le temps de penser à nous, à ceux que nous aimons. Nous regardons au fond de notre âme, en permanence enfouis par les choses futiles que nous faisons quotidiennement. Ici il n'y a qu'une seule chose à faire, c'est mettre un pied devant l'autre et bien regarder autour de soi. On arrive même à retrouver son âme d'enfant en s'émerveillant devant les animaux et en jouant à l'explorateur. Si tout cela ne ressemble pas au bonheur...

Les San Juans sont effectivement très belles. Je sais que mes photos de portable ne peuvent pas leur rendre hommage. Elle sont très minérales et les roches grises brillent de mille feux sous le soleil. Des sapins poussent directement sur cette roche soupoudrée de dizaines de lacs de toutes tailles.

Storytime, aka Lou Ravi, que je recroise aujourd'hui me dit que ces montagnes sont "épiques". Même si le terme en anglais est moins fort qu'en Français, je le trouve adapté à cette découverte extraordinaire.

Une fois que nous sommes remontés, nous reprenons notre danse entre montée et descente de col en vallée. Le paysage à changé. Les vallées sont plus profondes et les remontées prennent plus de temps.
Mathieu qui vole sur le sentier est toujours loin devant. Nous nous retrouvons habituellement au col. C'est ce que nous avons fait à midi pour déjeuner ensemble. À 16h, seule pause de la journée, pas de Mathieu quand j'arrive au col. Je suis étonné surtout que je vois bien le tracé du sentier qui descend profondément dans la vallée... Mais oú est passé Mathieu ? Alors que je commence à m'inquièter, le voilà qui apparaît dans mon dos. Il n'a pas fait attention et à pris un autre sentier et il a mis longtemps à s'en apercevoir.
Nous repartons ensemble et il remet les gaz plein pot. Je suis pendant un moment la cadence Marathon mais j'ai mis ma veste en l'attendant au col. Le temps de l'enlever et de la caler sur mon sac, il a disparu. Il est 17h et en principe il faut penser au camp du soir, ce qui veut dire faire le plein d'eau. Je me dis que Mathieu m'attendra au 1er point d'eau. Première rivière pas de Mathieu. Deuxième non plus. 3ème, je me dis qu'il a oublié ce point de détail et je fais le plein en pensant partager quand je le retrouverai m'attendant plus loin. Alors que je repars, voilà Mathieu qui apparaît à nouveau dans mon dos. Il s'est encore perdu. Il est temps que cette journée s'arrête, tout le monde est bien fatigué :-)
Quand on regarde le GPS, nous avons 1200 m de dénivelé positif et 450 m de négatif. Nous sommes à plus de 3600 m et nous avons parcouru 25 km. Nous n'arrivons pas à faire plus mais les dénivelés ne nous aident pas.

Nous mettrons 8 jours au lieu de 7 pour aller à Lake City. Nous allons être un peu juste au niveau nourriture mais on se rattrapera en ville !

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