mardi 24 avril 2018

24 Avril - Direction Silver City

Un Shuttle vers Crazy Cook Monument est prévu ce matin. Ce qui veut dire que le petit déjeuner à l'hôtel est possible à partir de 6h.
Je suis donc le premier client à franchir la porte. Mon arrivée réveille la serveuse obèse qui dort sur le sofa de la réception. Elle pourrait continuer à dormir car c'est un libre service.

Bien évidemment l'ami Radar arrive pour s'occuper des prochains candidats à l'aventure. Il ne sont que 2 ce matin. Ils sont facilement reconnaissables : ils sont tout blanc alors que je suis brûlé aux endroits où je n'ai pas assez mis de crème solaire, leurs jambes sont intactes alors que les miennes sont toutes égratignées, leurs vêtements sont tout beaux alors que les miens sont tout fripés sortis de la machine.
Bref on reconnaît aisément ceux qui reviennent du front de ceux qui y partent.
Ils n'en mènent pas large les nouveaux et ils mangent silencieusement à leur table. J'avais exactement la même tête la semaine dernière. Cela semble une éternité. La notion du temps se perd sur le CDT et encore plus dans le désert.

Radar, avec son chapeau de cowboy tout miteux et sa chemise de marcheur fatigué engage la conversation. En fait on s'est croisé plusieurs fois les jours précédents y compris au moment où il est venu ravitailler une cache d'eau. Il me raconte que je suis le 4ème français cette année. J'en connais un qui traînait sur les forums et qui est parti 10 jours avant moi. Les autres sont de parfaits inconnus mais Radar s'obstine comme si la France était un village où tout le monde se connaissait. Visiblement l'Amérique a une image bien curieuse de la France.
Il me raconte qu'un des Français n'a fait que la 1ere section et a abandonné. Voilà qui ne va pas redorer notre blason.

Mon petit déjeuner avalé, je lance fièrement un "Il est tant de reprendre la route" pour m'entendre répondre "Tu ne crois pas si bien dire Nemo". Oula, qu'est-ce que ça veut bien vouloir dire ?
Je ne vais pas tarder à comprendre en me retrouvant devant une route désespérément droite dont je ne vois pas la fin. Oui je suis bien sur le CDT mais les propriétaires au Nord de Lordsburg n'ont pas autorisé le passage sur leurs terres.

Ce n'est pas ce qui va altérer mon moral. Il ne fait pas vraiment chaud, je branche mon MP3 et je me mets en route (c'est bien le cas de le dire).
Mon passage en ville a laissé des traces. C'est compliqué de replonger dans la civilisation et sa "vraie" vie pendant quelques heures à la vitesse grand V. Sur le trail, il n'y a qu'un seul objectif : couvrir la distance requise pour atteindre le prochain point d'eau, ouvrir les yeux et penser. Alors que dans la vraie vie, il faut faire des dizaines de choses en même temps sans se mélanger les pinceaux. C'est plus épuisant et stressant que de marcher vers un hypothétique réservoir d'eau.

Quoiqu'il en soit je suis content de repartir sur le CDT même en avalant de la route goudronnée. Tout à une fin et nous voilà en train de passer au dessus d'un barbelé pour quitter la route. Il s'agit bien du CDT officiel et je vais réaliser cette opération de saute barbelé une bonne dizaine de fois dans la journée. Le rancher est quand même une race à part...

Je suis dans une plaine aride où la végétation est quasi inexistante. Depuis la frontière, c'est la zone la plus sèche que nous traversons. Je dis nous car je croise toujours la même clique de 5/6 hikers depuis le début. Je ne sais pas où sont passés tous les autres. Hier, la ville débordait de hikers et aujourd'hui se sont toujours les 6 mêmes que je retrouve. Les autres se sont évaporés. Encore un mystère du CDT...

Nous faisons face à des montagnes que nous devons traverser. Ma supposition est que ces montagnes accrochent les nuages est que la plaine ne reçoit pas d'eau. Cette plaine est immense et les montagnes toutes petites à l'horizon. Le soleil se met à frapper violemment alors qu'il n'y a pas un souffle d'air.
Mon organisme souffre. La chaleur évidemment mais aussi et surtout le poids de mon sac. Car ravitailler veut dire mettre de la nourriture dans son sac. Le tarif est d'un kilo de nourriture par jour. J'ai prévu 4 jours pour Silver City. Je vous laisse faire le calcul..
Ajouter à cela que le 1er point d'eau est à 24 km, j'ai donc emporté 4 litres d'eau. Les bretelles de mon sac à dos me cisaillent les épaules et ma chemise propre de ce matin me colle dans le dos.

Mon genou recommence à faire des siennes. En fait je pensais m'être débarrassé du problème mais il est directement lié au poids que je transporte. Plus les jours passent, plus le poids diminue et mon genou est soulagé. Là seul au milieu de la plaine désertique, je commence sérieusement à souffrir. Mais je suis là pour ça aussi et je vais appliquer la même formule que quand je cours ou que je fais du VTT : je me concentre sur l'objectif et j'oublie tout le reste. Je dois atteindre ces montagnes, un point c'est tout.

Vers midi, écrasé par la fournaise et le poids, j'arrive à peine à mettre un pas devant l'autre. Je connais bien ce phénomène : perte totale d'énergie. Il faut manger sinon j'y arriverai pas. Je me colle à la paroi d'un rivière desséchée pour le peu d'ombre qu'elle procure. Je récupère dans sac le résultat de mes achats de la veille et je mange des tortillas avec du Jerky, de la viande séchée que les Américains adorent. Et ils sont bien les seuls !

Je reprends la route et je retombe sur Drew que j'avais croisé dans le Greyhound. Il s'était perdu et a repéré ma belle chemise bleue au loin. Il faut dire que dans cette plaine toute plate c'est facile de prendre le mauvais cap. Vers 14h nous pénétrons dans les montagnes et nous nous retrouvons tous au fameux point d'eau. L'eau n'est vraiment pas ragoûtante mais je charge à bloc. Je vais arrêter la collection de bêtises. Les allemands décident de ravitailler au prochain point d'eau à 5 km. Je leur ai trouvé un Trail Name à ces deux là. Je les appelle la "Panzer Division" car ils n'arrêtent jamais. Ils trouvent ça rigolo et l'un d'entre eux décide même d'adopter le Trail Name de "Panzer". Faut vraiment que j'arrête de faire des blagues avec les allemands...

Quoiqu'il soit, tout le petit groupe décide de s'arrêter pour faire une pose à l'ombre. Tous non car un vaillant petit Nemo décide de continuer. Je ne sais pas pourquoi je fais ça. La peur de ne pas repartir peut être. Le fait de vouloir être seul sûrement...

Il y a de plus en plus d'arbres comme quoi ma théorie tient la route. La pluie tombe plus ici que dans la plaine...

Par contre ça grimpe sec. Entre les collines, les pins, les chemins défoncés, j'ai un peu l'impression d'être à la maison. Il y bien les cactus avec leur espèce de long plumeau planté au milieu pour me rappeler que je suis ailleurs. Dans une côte, je vois venir vers moi tout doucement un 4 roues rouge. Rien à voir avec la patrouille de la frontière. Il s'agit d'un employé du ranch que je traverse, qui amène à manger aux vaches que je viens de croiser. Il s'agit d'un Mexicain avec une casquette crasseuse et une belle chemise à carreaux. Il s'arrête à mon niveau pour me demander tout sourire si tout va bien malgré la chaleur. Il m'annonce qu'il fait 32 degrés. Je m'en doutais un peu mais maintenant c'est officiel.

Le prochain point d'eau s'entend avant de se voir. Il s'agit d'une pompe actionnée par une éolienne qui fait un bruit lugubre à des centaines de mètres à la ronde. J'y retrouve deux hickers que je ne connais pas encore. Il y a entre autre "Man in Black" habillé, comme son nom l'indique, tout en noir. Il a même un chapeau de Zorro en guise de couvre chef. Il est très fier de son Trail Name et visiblement fait tout son possible pour le conserver ! J'ai d'ailleurs droit à mon premier "Trail Magic" car MIB me donne un sachet à mettre dans l'eau pour l'aromatiser. Il s'avère que le goût pamplemousse qu'il m'a donné est tout simplement excellent.

J'avais pensé camper prés de cette pompe mais le bruit assourdissant de cette éolienne me fait fuir. Je reprends la route et la côte qui va avec. Il y a de plus en plus d'arbres et la végétation est dense. C'est vraiment étonnant ce changement de végétation. Je cherche un endroit où camper mais ça s'annonce mal. Arrivé au sommet j'ai une vue magnifique sur la nouvelle plaine qui m'attend. La colline est recouverte d'arbres et la descente se fait dans un tunnel de verdure. Je vois une clairière et je décide de planter la tente. J'ai fait 35 km et j'en ai plein les bottes. J'ai joué au mulet entre la nourriture et l'eau et je vais descendre les niveaux de l'un et l'autre.

Il y a quand même des cactus et l'un de ces petits malins s'est occupé de mon matelas de sol. Il est à nouveau crevé. Impossible de trouver le trou. Cette nuit je dormirai à même le sol. Ça m'apprendra à vouloir faire le CDT. Embrace the brutality. 

2 commentaires:

  1. bonjour Némo
    c'est super! et on se régale de te lire. Cette notion de temps dans le désert que tu soulèves est intéressante car elle permet d'imaginer la longueur de tes minutes! Quelle chance de pouvoir apprécier à sa juste valeur le temps qui passe et de pouvoir rêver entre les heures...cela nous réconforte aussi la description que tu fais de tes "co-aventuriers" car cela montre tu n'es pas seul, et en plus en compagnie de la panzer! fais quand même bien attention à toi, à bientôt
    grosses bises
    shivaandganesh
    ps: au fait, pourquoi dur à porter nos trail name?...:)

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    1. Je ne suis effectivement pas le seul à tenter l'aventure et le fait que les points d'eau soient rares fait que nous nous croisons aux points de ravitaillement. Mais d'après les rumeurs, la multiplicité des points d'eau au Nord fait que nous allons nous voir de moins en moins et pour certains plus du tout. C'est pour cette raison que les Trail Days ont lieu à Silver City. On verra dans les jours qui viennent mais certains hikers vont me manquer...
      Quant au temps qui passe, je n'ai malheureusement pas l'impression qu'il aille plus lentement ici. Mais une chose est sûre, tous les sentiments sont exacerbés du fait de la solitude et c'est pourquoi les Trail Magic nous semblent si extraordinaires. Si on y réfléchit, ce n'est qu'un muffin... Mais il m'avait chauffé le cœur et dans mon âme il brûle encore...
      Quand aux Trail Names, la question qui revient systématiquement est : comment as tu eu ton Trail Name ? Car en principe il y a une histoire derrière. Il va falloir expliquer comment tu as pu avoir des noms de Dieux Indiens. Mais je suis sûr que tu vas trouver une jolie histoire. Tu sais si bien le faire ;-) Et si ma petite aventure peut vous motiver pour un long Trail, je serai le plus heureux des hikers.
      Plein de bisous du CDT

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